Bilodeau, Martin -
Plusieurs ont qualifié d'électoraliste la décision rendue publique cette semaine par la ministre de la Culture, Line Beauchamp, de pérenniser l'aide supplémentaire de dix millions de dollars à la production cinématographique québécoise qu'elle avait octroyée à la SODEC l'automne dernier sous forme de «fonds d'urgence». Tout bien considéré, quelle décision politique ne l'est pas? Personne, à ma connaissance, n'a qualifié cette décision de la onzième heure de paresseuse et de mal avisée. Permettez que je m'en charge.
Les décideurs politiques ont de toute évidence des interlocuteurs biaisés: les gros diffuseurs, les gros distributeurs, les gros producteurs. Ça se voit dans le dossier chaud du Fonds canadien de télévision, ça se voit également dans celui du financement du cinéma québécois. Le plus extraordinaire dans tout ça, c'est la candeur de la ministre, qui convoquait les médias lundi en faisant asseoir à sa table les principaux bénéficiaires de sa décision, soit ceux qui ont fait pression sur elle.
Ce que même la ministre fait semblant d'ignorer, c'est que plusieurs des scénarios que ces bénéficiaires - qui ont grenouillé jusqu'à son bureau - défendent devant la SODEC et à Téléfilm Canada se font souvent refuser du financement au profit d'autres projets, vraisemblablement mieux écrits ou plus aboutis. La leçon que ceux-ci retiennent de cette défaite: il y a une crise du financement du cinéma au Québec. Pas un manque d'imagination dans les projets qu'ils soutiennent ou, plus globalement, une mauvaise exploitation du talent de nos artistes du cinéma. Non, ils persistent et signent: on n'a pas assez d'argent pour faire nos films. Dans lesquels ils n'investissent eux-mêmes pas un sou - pas plus que l'entreprise privée, d'ailleurs, bonne chance à M. Macerola, l'ami du Parti libéral présentement chargé de convaincre la ministre. Par miracle, la haute gomme de notre chère industrie est parvenue à convaincre Line Beauchamp du bien-fondé de sa position et de la nécessité d'ouvrir les vannes.
Car tout le monde sait qu'au Québec, on éprouve un besoin impératif de produire 26 longs métrages par année, programme caché des lobbyistes, objectif avoué de la ministre. Alors que les Pays-Bas, dont la population est le double de la nôtre et dont le cinéma rayonne sur la planète, en produit moins de 20. Idem pour la Belgique (10,5 millions d'habitants), qui en produit une dizaine par année en moyenne, et la Norvège (4,5 millions d'habitants): douze au dernier comptage.
Quel besoin avons-nous de tant de longs métrages alors qu'on en produit si peu qui ont une grande valeur artistique? Pourquoi une politique de la quantité quand la qualité est à ce point déficitaire ou mal diffusée lorsqu'elle est au rendez-vous? La première valeur d'une cinématographie devrait être le talent de ses artisans. Pas l'infrastructure et la capacité de produire, qui sont pourtant les deux seules variables de l'équation auxquelles la ministre Beauchamp semble accorder de l'importance en dotant la SODEC d'un moyen de dire oui à deux fois plus de projets, au nez de Téléfilm, où le Fonds du long métrage est gelé. Convainquez-nous, ou faites semblant d'essayer de nous convaincre, que notre cinématographie s'enrichira des subsides supplémentaires mis à sa disposition. Qu'il y aura deux fois plus de Congorama, deux fois moins de Roméo et Juliette. La création d'emplois et les retombées économiques (vraies ou fictives) sont les arguments d'un patron d'usine. Pas ceux d'une ministre de la Culture.
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