Premier de deux textes
S'appuyant sur l'oeuvre des pionniers d'un septième art québécois qui ont fait naître dans les années 1970 et 1980 une véritable cinématographie nationale, le cinéma québécois d'aujourd'hui est reconnu pour sa grande valeur artistique et reflète l'identité culturelle propre du Québec. Il est aussi caractérisé par une nouvelle diversité et des succès populaires.
Le cinéma d'ici a élargi considérablement son public, et le fait que les films produits au Québec aient accaparé 18,9 % des recettes de guichets en 2005 est révélateur de ce succès populaire. Le Québec compte d'ailleurs aujourd'hui parmi les rares nations qui réussissent à occuper ses écrans avec une part significative de leur cinématographie nationale.
En dépit de cette qualité et de ce succès, et notamment de la réussite actuelle au guichet du film Bon cop, bad cop d'Érik Canuel, le cinéma québécois vit une crise que diverses interventions des gens du milieu ont mise en lumière au cours des dernières semaines. Cette crise a ainsi donné lieu à deux interventions de collectifs de cinéastes les 7 et 12 juillet 2006 ainsi qu'à des déclarations de Robert Lepage, Charles Binamé et Fabienne Larouche.
Les origines et causes de la crise ne font toutefois pas l'objet d'un consensus. Pour les uns, la crise a pour cause le manque «crucial» de fonds et explique notamment la demande faite auprès de la ministre du Patrimoine canadien par un groupe de producteurs d'instituer un fonds d'urgence de 20 M$.
Pour les autres, la crise résulte davantage d'un système de financement fondé sur une aide sélective qui est soumise à des «sélectionneurs» de la SODEC et de Téléfilm Canada «protégés par l'anonymat» et, s'agissant de Téléfilm Canada, sur une aide fondée sur la performance qui entraîne une «tendance lourde à la production de films de plus en plus commerciaux» et une «privatisation forcenée des fonds publics».
Pour bien comprendre la crise et envisager des solutions, il importe d'abord de présenter les données exactes sur les sommes que la SODEC et Téléfilm Canada ont versées pour la production québécoise de longs métrages de fiction entre 2001-2002 et 2006-2007 et s'intéresser ensuite au processus de sélection des projets de films.
Variations
S'agissant des projets de longs métrages de fiction et des aides versées par la SODEC, le tableau 1 révèle d'abord que le nombre de projets soutenus par la société d'État québécoise s'est révélé irrégulier.
L'année en cours annonce une chute considérable du nombre de projets que pourra soutenir la SODEC, puisque seuls 16 d'entre eux ont fait l'objet d'une recommandation favorable. Ce nombre pourrait toutefois augmenter si la SODEC était en mesure de financer, d'ici la fin de l'année financière, des longs métrages du secteur indépendant qui peuvent encore faire l'objet d'un dépôt à la SODEC, ainsi que des coproductions minoritaires qui sont susceptibles d'être déposées d'ici au 15 septembre 2006.
Les sommes que la SODEC a consacrées à la production de longs métrages de fiction ont également varié et connu tantôt des augmentations, tantôt des diminutions. Si le montant total de l'aide versée ne peut être établi pour la présente année financière 2006-2007, l'on sait en revanche que les fonds disponibles sont de l'ordre de 14 500 000 $, ce qui constitue un montant inférieur à toutes les années précédentes.
S'agissant de l'aide versée par Téléfilm Canada pour des projets de longs métrages de fiction émanant du Québec, le nombre de projets soutenus a également connu des variations importantes et une diminution sensible depuis 2003-2004, comme l'indique le tableau 2. Pour l'année 2006-2007, le nombre de projets semble avoir augmenté par rapport aux deux années précédentes, et il est également possible que d'autres projets puissent être signés d'ici à la fin de l'année financière.
Bien qu'il connaisse une remontée en 2006-2007, le pourcentage de projets signés par Téléfilm Canada a régressé de façon significative. Les sommes que la société d'État fédérale a consacrées à la production de longs métrages de fiction émanant du Québec ont, comme pour la SODEC, connu d'importantes variations depuis 2001-2002 et sont sur une pente décroissante depuis 2004-2005. Les fonds disponibles n'ont guère augmenté depuis 2001-2002 et sont, pour l'année financière 2006-2007, stables à 22 400 000 $.
Pouvoir discrétionnaire
Les sociétés d'État québécoise et canadienne attribuent l'une et l'autre une aide sélective sur la base d'une évaluation des projets qui leur sont présentés. Ces projets font l'objet d'un examen par des comités d'évaluation externe ou de lecteurs indépendants et sont assujettis à des critères énoncés dans les programmes de la SODEC et Téléfilm Canada.
Pour ce qui est de la SODEC, ces évaluations ne sont pas accessibles aux auteurs de projets. La décision de verser une aide sélective ne repose d'ailleurs pas nécessairement sur les conclusions de l'évaluation et est prise selon un processus qui confère une discrétion absolue à la directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle et au président de la SODEC.
Si les évaluations faites dans le cadre de projets présentés à Téléfilm Canada sont quant à elles accessibles, elles ne lient pas non plus les personnes appelées à prendre les décisions, et la directrice de l'unité de long métrage possède un très large pouvoir discrétionnaire dans la sélection des projets de films.
D'ailleurs, sur la base de leurs programmes respectifs, la SODEC et Téléfilm ont pris des décisions contradictoires, la SODEC soutenant certains films et Téléfilm Canada rejetant les demandes de soutien pour ces mêmes films, comme en fait foi le sort réservé au film La Trilogie des dragons de Robert Lepage. Par ailleurs, pour l'année 2006-2007, seuls neuf projets ont obtenu une aide sélective à la fois de la SODEC et de Téléfilm Canada.
Devant ces faits, nous pouvons légitimement nous interroger sur la capacité de la SODEC et Téléfilm Canada d'arrimer leurs politiques d'attribution de l'aide financière afin de servir le cinéma et les cinéastes québécois.
S'agissant des modalités d'attribution de l'aide, Téléfilm Canada accorde quant à elle une aide fondée sur la performance et le succès des films au guichet. Cette aide est versée aux producteurs et n'est aucunement assujettie à un processus de sélection. On constate d'ailleurs, dans le tableau 2, que l'enveloppe à la performance a eu tendance à s'accroître aux dépens de l'enveloppe sélective et qu'elle a dépassé pour les deux dernières années l'enveloppe consacrée à l'aide sélective.
À la lumière de ces données et de ces faits, il est difficile d'expliquer, et surtout d'accepter, l'indifférence de la ministre de la Culture et des Communications du Québec, madame Line Beauchamp dans le dossier. Celle-ci est demeurée complètement silencieuse, alors qu'elle devrait plutôt chercher à prendre des mesures exceptionnelles pour soutenir le cinéma québécois et défendre énergiquement son avenir auprès de son homologue à Ottawa. La ministre Beauchamp n'a aucunement pris acte des doléances du milieu du cinéma québécois et n'a toujours pas officiellement admis que le cinéma québécois vivait une crise.
Les sources qui sont à l'origine de la crise qui sévit dans du cinéma québécois sont connues et multiples. Il faut trouver des réponses ponctuelles pour résorber cette crise, mais également formuler des solutions durables pour éviter que cette situation ne se répète et freine l'élan de notre cinématographie nationale et de ses artisans.
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Demain : Des solutions
Daniel Turp
_ Député de Mercier, vice-président de la Commission de la culture de l'Assemblée nationale du Québec et porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications.
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