Le fédéralisme assumé

"Reconquérir le Canada" est imprégné d'une pensée fédéraliste sereine et confiante, loin du pessimisme des années 90

"Reconquérir le Canada"


Le livre qui vient de paraître sous la direction d'André Pratte: Reconquérir le Canada, un nouveau projet pour la nation québécoise permet de mesurer à quel point la pensée fédéraliste a évolué dans la bonne direction au Québec.
Le contraste est saisissant avec un passé encore récent. Qu'on relise, par exemple, les mémoires soumis à la commission Bélanger-Campeau, au début des années 90. On y trouve une pensée fédéraliste renfrognée, pessimiste, sous l'emprise des mythes indépendantistes de l'époque. On pourrait la qualifier de "fédéralisme de la dernière chance". Au contraire, Reconquérir le Canada est imprégné d'une pensée sereine, confiante, un "fédéralisme assumé".
Le fédéralisme de la dernière chance décrit le Canada comme un pays qui ne marche plus, entravé par un régime fédéral dysfonctionnel et chicanier, où les empoignades incessantes entre gouvernements coûtent des milliards de dollars en dédoublements inutiles. La centralisation y est étouffante et le Québec ne peut s'y épanouir. C'est la théorie de la "boîte à outils": le gouvernement du Québec n'aura en main les outils qu'il lui faut qu'en se gonflant de nouveaux pouvoirs, sans quoi les Québécois feraient mieux de faire l'indépendance.
Dans cette perspective, tout transfert de responsabilité du gouvernement fédéral vers le gouvernement du Québec est par définition un "gain" pour le Québec. La satisfaction de ces demandes "traditionnelles" revêt un caractère existentiel et doit être enchâssée dans une nouvelle Constitution: on nage en pleine obsession constitutionnelle. Quant au Canada, il n'est l'objet d'aucun investissement de valeurs. On n'en veut que s'il est utile au Québec, dans une perspective purement instrumentale.
Le fédéralisme assumé de Reconquérir le Canada bat en brèche toutes ces prémisses. "Les auteurs de ce livre () sont convaincus que le Québec a déjà en main les outils pour relever les défis auxquels il est confronté", nous dit André Pratte dès l'introduction.
Et il conclut le livre en affirmant que "le fédéralisme est certainement la forme de gouvernement la mieux adaptée à la diversité et à la complexité internes des États d'aujourd'hui."
Une rupture patente
La rupture avec le fédéralisme de la dernière chance est patente, comme dans ce passage du texte de Marie Bernard-Meunier: "Les fédéralistes québécois ont peu de chance de convaincre leurs concitoyens d'adhérer au fédéralisme si leur unique obsession est de paraître aussi nationalistes que le PQ ou aussi autonomistes que l'ADQ, voire plus nationalistes ou autonomistes qu'eux."
Dans le fédéralisme assumé, les tensions entre ordres de gouvernement sont dédramatisées, perçues comme inhérentes à la marche d'une fédération. Par exemple, oui nous nous disputons sur des enjeux comme la péréquation, mais les Allemands le font aussi (Bernard-Meunier). Mieux vaut se disputer là-dessus que de ne pas avoir de péréquation du tout.
Le fédéralisme assumé reconnaît que notre fédération nous a bien servi au cours de notre histoire (André Pratte) et est devenue l'une des plus décentralisées au monde (Hervé Rivet et Fabrice Rivault). Les propositions de changement ne revêtent plus un caractère existentiel; elles sont plutôt présentées comme une façon d'améliorer un régime qui fonctionne déjà très bien. Les gouvernements sont invités à travailler ensemble, dans le respect des rôles de chacun, plutôt qu'à pratiquer la guerre de tranchée.
"La résolution en solitaire des problèmes de santé est une tâche impossible et absurde", explique Pierre-Gerlier Forest. L'accord sur le commerce intérieur devrait devenir beaucoup plus contraignant en étant adopté par les parlements des provinces et des territoires, suggère Martin Cauchon. Les gouvernements doivent collaborer davantage pour la circulation des idées scientifiques et technologiques, plaide Marc Garneau.
Des changements constitutionnels sont envisagés, mais l'obsession constitutionnelle a disparu. Comme le note Daniel Fournier, aucune des trois principales préoccupations de l'heure - l'environnement, les soins de santé et la guerre en Afghanistan - ne sera réglée par un autre débat constitutionnel. ()
Le fédéralisme assumé invite à un débat serein, décrispé, dans le respect des points de vue contraires. L'interlocuteur indépendantiste est moins un adversaire qu'un ami à convaincre, avec qui on doit entretenir un dialogue intense et rigoureux, comme le font Patrice Ryan et Frédéric Bérard. Le simplisme binaire, qui opposait le "Canada anglais" et le Québec comme deux entités monolithiques, est remplacé par une prise en compte de la complexité de la société québécoise et du Canada dans son ensemble.
Loin d'être opposées, l'identité québécoise et l'identité canadienne sont acceptées comme complémentaires, surtout chez les jeunes nous dit Mathieu Laberge. Ainsi, le ministre Benoît Pelletier fait reposer sa vision du Québec dans le Canada sur la double appartenance, la conciliation des allégeances québécoises et canadiennes. ()
Je retiens de la lecture de ce livre un enseignement. Je crois que les personnalités politiques doivent cesser de vouloir se faire du capital politique facile en dénigrant la fédération canadienne. Dénoncer un mythique "fédéralisme dominateur", accuser le Parti libéral du Canada d'être en faveur d'une "extrême centralisation", comme le fait le premier ministre Harper, est démagogique et faux. Nous avons tous nos idées sur la façon dont notre fédération peut être améliorée. Discutons-en sereinement, dans le respect mutuel, comme l'ont fait M. Pratte et ses collaborateurs.


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