Le fantôme encombrant de Jacques Duchesneau

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Un gouvernement sans gouvernail ni coeur, en proie à ses vieux démons





Le jour même où le caucus de Philippe Couillard se réunit au bucolique Manoir Montmorency en privé et sans attachés politiques, voilà que l’ex-chef de police et ex-député caquiste Jacques Duchesneau revient hanter les libéraux.


Déjà que ce caucus «spécial» est un événement exceptionnel en soi et surtout, un signe indéniable d’insatisfaction montante chez les députés, voilà que l’ex-patron de la défunte Unité anticollusion accorde une entrevue à ma collègue Sarah-Maude Lefebvre. Une entrevue qui, on ne s'en sort pas, risque d’alimenter d’autant plus leurs inquiétudes.


Selon Jacques Duchesneau, l’«argent sale» - i.e. des fonds collectés illégalement par des partis politiques -, circuleraient toujours dans ce milieu :


«Et l’argent sale ne sert pas uniquement à faire des élections. Il y a des gens qui s’enrichissent personnellement avec ça, et on ne le voit pas [...] Il y a une autre chose qu’on n’a pas encore comprise avec le financement illégal des partis politiques. On a souvent parlé du système des prête-noms. Mais les prête-noms ne sont que la pointe de l’iceberg. Le gros morceau du financement illégal vient en argent comptant. [...] Les gens se surveillent un peu plus aujourd’hui, mais il y a encore beaucoup d’argent qui circule. (NDLR: M. Duchesneau n’a pas cité de noms spécifiques.)


Notons que dans son premier rapport déposé en 2011 au Ministère des transports - lequel décrivait un «univers clandestin» liant l’industrie de la construction, le crime organisé et la politique -, M. Duchesneau parlait déjà de l’«enrichissement personnel de certains élus». Là aussi, il ne nommait personne.


Dès 2011, il avançait également qu’il y aurait corruption chez certains fonctionnaires et chez d’autres, la crainte de «parler» sans subir de réprésailles.


Dans son entrevue de ce matin, il en dit ceci :


«Je constate qu’il y a des gens qui savent des choses actuellement et qui ne veulent pas parler. Elles ont peur de ne pas être crues et de subir les coups [...] J’ai rencontré entre 40 et 50 personnes dans la dernière année, des gens des ministères, des gens qui souffrent et qui n’osent pas parler. Ça prend beaucoup de courage pour se lever et dénoncer une situation. Au bout du compte, ce sont les sonneurs d’alerte qui paient le prix énorme de leur dénonciation, et on les oublie.»


Dans la foulée de l’«affaire Poëti», il dénonce la mollesse de la réaction du gouvernement face aux inquiétudes persistantes exprimées par l’ex-ministre des Transports et son ex-enquêteuse indépendante Annie Trudel :


«La situation ne change pas, parce qu’il y a une résistance en haut. La corruption et la collusion, c’est d’abord une question de culture et ça commence par le haut. Quand c’est flou en haut, comme on l’a vu la semaine dernière avec les sorties peu convaincantes de M. Couillard et de M. Daoust, les gens se questionnent [...] Quand on ne déchire pas sa chemise lorsqu’on apprend 10 ans plus tard que le problème n’est pas encore résolu, on a un gros problème [...] On a dénoncé la situation avec mon rapport en 2011. Rien n’a changé.»


Jacques Duchesneau rappelle également – il importe en effet de s’en souvenir -, l’indifférence totale d’un autre ex-ministre des Transports, Sam Hamad, lors du dépôt de son rapport de 2011 :


«Poser la question, c’est y répondre. Ça ne m’a pas surpris, ce qui lui est arrivé. Après ma rencontre avec M. Hamad en 2011, je me suis dit qu’il était clair que mon rapport serait tabletté. Il aurait au moins pu avoir la décence d’écouter ce qu’on avait à dire. Alors, j’ai fait de la désobéissance éthique (il a coulé son rapport à des médias). Je pouvais être la police du peuple et la police du prince. J’ai choisi d’être la police du peuple, parce que mon prince n’a pas pris ça au sérieux.»


M. Duchesneau fait bien entendu référence ici à l’«affaire» Hamad qui, suite à des allégations de trafic d’influence le touchant, s’est vu obligé de quitter son poste de nouveau président du Conseil du trésor.

Plusieurs se demanderont toutefois si la sortie de Monsieur Duchesneau n’est pas également motivée par des fins partisanes. Après tout, l’ex-député caquiste s’est engagé à venir prêter main forte au chef caquiste François Legault pour l’élection partielle qui sera tenue dans le comté de St-Jérôme suite à la démission de Pierre Karl Péladeau.


Il est en effet fort possible que cette sortie de M. Duchesneau ne soit pas tout à fait fortuite...


Il n’en reste pas moins que sur les questions d’intégrité et le ministère des Transports lui-même, ses propos sont aussi d’une rare cohérence depuis des années déjà. D'autant plus que l'ex-ministre des Transports, Robert Poëti, faisait lui-même état d'irrégularités tenaces au MTQ avant d'être exclu du conseil des ministres en janvier dernier par le premier ministre Couillard.


***


 



Une session très, très difficile...


Donc, au crépuscule d’une session parlementaire lourde à porter pour Philippe Couillard, le caucus libéral se réunit ce lundi, en privé et sans attachés politiques – bref, sans témoins -, pour ventiler leurs inquiétudes avec leur chef.


Et ce fut en effet une session très, très difficile pour eux :


- Arrestations de deux ex-ministres libéraux par l’UPAC;


- L’«affaire» Hamad,


- L’«affaire» Poëti;


- Un premier ministre dont le tout premier réflexe est de banaliser les manquements en matière d’intégrité;


- Un premier ministre qui, dans l’«affaire» Poëti en savait fort possiblement pas mal plus qu’il ne l’avoue;


- Pertes de sièges sociaux québécois;


- Compressions qui mettent encore à mal les services publics;


- Un remaniement ministériel raté sur plusieurs plans;


- Un budget éclipsé par les arrestations de l'UPAC;


- La perte temporaire du ministre Pierre Moreau parti en congé de maladie;


- Gestion erratique du dossier «Uber»;


- Une économie en panne sèche;


- Volte-face multiples à l’Éducation;


- Une «réforme» de l’aide sociale dénoncée de toutes parts;


- Des «réformes» en santé qui déstructurent dangereusement un système public de santé et de services sociaux souffrant déjà de compressions majeures;


- Un sentiment profond d’injustice au sein de la population face aux augmentations pharaoniques de revenus accordées aux médecins;


- Des ministres qui cumulent les déclarations gaffeuses ;


- Controverse troublante autour du projet de loi 59 sur les «discours haineux», etc.


***



Contrairement à ce qu’en disent les partis d’opposition, cette réunion exceptionnelle du caucus libéral n’annonce toutefois aucune «fronde» des députés libéraux contre leur chef.


Les mots «fronde» et «Parti libéral du Québec», de toute manière, ne vont jamais dans une même phrase... Le concept même d'une «fronde» est antinomique à leur propre culture politique. Et encore plus, au pouvoir.


Bien au-delà des sondages qui favorisent toujours le PLQ, elle exprime néanmoins une inquiétude concrète du caucus face à l’image qui s’installe d’un gouvernement sans gouvernail, empêtré dans une austérité budgétaire sans cœur et incapable de se défaire de ses vieux démons en matière d'intégrité et d'éthique.


Et ça, ça ne se change pas en trois heures autour d'une table au chic Manoir Montmorency...


 


 




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