Que retenir des années Jean Charest ? Biographe de René Lévesque, de Daniel Johnson père, connu aussi comme critique des médias, le journaliste et historien Pierre Godin lance Corruption, collusion, absolution, une longue chronique des années Jean Charest, dont le règne, laisse-t-il entendre, s’étire effrontément, en toute impunité, jusque dans notre présent si malmené.
Ce n’est pas à proprement dit au résultat d’une enquête que Pierre Godin convie le lecteur, mais plutôt à un exercice de collectionneur patient habité par un sens moral de l’État dont il déplore, presque entre chaque ligne, la triste décadence.
Godin a compulsé les médias et en a tiré un repas. Ses sources proviennent essentiellement des journaux, ces témoins de l’histoire immédiate dont souvent, dès le lendemain, on a tout oublié à moins d’y retourner. C’est ce qu’il fait dans une accumulation patiente de faits qui épinglent les petits travers et les grands vices de ce monde politique auquel la présente campagne électorale nous invite une fois de plus à nous intéresser de plus près.
L’ancien journaliste ne s’en cache pas : son ouvrage prend volontiers quelques tours pamphlétaires. Mais ce pamphlet semble s’écrire tout seul, par un simple effet d’accumulation des faits. Leurs références sont jetées en vrac à la fin de l’ouvrage. « Face au pandémonium libéral où règnent corruption, copinage, laisser-faire et nominations partisanes », on se trouve ici, pour reprendre ses mots, dans le désordre total de la cour du roi Pétaud.
Photo: Valérian Mazataud Le DevoirLe journaliste et historien Pierre Godin propose sa lecture des années Charest.
Des révélations-chocs ? Non. Plutôt l’effet d’un pilonnage produit par une accumulation des faits ainsi rassemblés dans une seule et même coulée. Car là où le journal s’arrête le plus souvent, c’est-à-dire à la relation de l’actualité découpée par tranches quotidiennes, Godin rétablit un sens de la durée. Il donne de la sorte à considérer un horizon plus vaste qu’une suite hachurée où un fait chasse l’autre au seul nom de sa nouveauté. Nous revoici donc sur le yacht de Tony Accurso, dans la résidence subventionnée de Jean Charest à Westmount, au milieu des fleurs offertes par Lino Zambito à Nathalie Normandeau, devant les déclarations abracadabrantes de Sam Hamad, tout cela situé au milieu d’un discours froid sur la réingénierie de l’État.
Devant tant d’excès, la charge de Godin va-t-elle trop loin ? Qui que ce soit en tout cas qui s’oppose fermement au régime libéral reçoit sa part de qualificatifs admiratifs, nonobstant ses propres turpitudes. Le monde apparaît parfois sous un éclairage quelque peu manichéen chez Godin. Sylvie Roy de la CAQ est ainsi présentée telle une « battante » parce qu’elle houspille le gouvernement au pouvoir, ce qui est après tout son rôle en tant que membre de l’opposition. Et parce qu’il taraude bien le ministre Pierre Moreau au sujet des liens de son gouvernement avec l’entrepreneur Tony Accurso, Nicolas Girard est qualifié pour sa part de « pitbull du PQ ». Et ainsi de suite. De son admiration pour Pauline Marois, éphémère première ministre du Parti québécois, Godin ne fait pas secret. Il regrette, de façon quelque peu envahissante dans son livre, qu’elle n’ait pas eu l’occasion de mieux se faire valoir.
Bien sûr, Godin n’oublie pas que le régime de bassesse qu’il vilipende possède de profondes ramifications que l’on n’explique pas seulement en observant au présent le faîte d’un arbre politique sur lequel règne un premier ministre. Au chapitre municipal, Godin rappelle au passage les tristes cas de quelques maires, dont celui de Gilles Vaillancourt à Laval. Il est aussi question des gourmandises du syndicalisme d’affaires, souligné par les scandales qui frapperont la FTQ-Construction.
Godin n’est pas sans connaître la trame du passé sur laquelle se sont agglutinées des années de corruption et de malversations de toutes sortes. Il observe que le régime d’Alexandre Taschereau, dans les années 1930, fut villipendé par Maurice Duplessis, alors à la tête de l’opposition, avant que ce dernier ne fasse à son tour, à raison, l’objet de critiques acerbes et méritées pour les mêmes raisons.
Quelle leçon tirer de ce triste constat ?
Faut-il en tirer la conclusion que le Québec, pour se bercer comme il le fait dans l’idée de sa bonne santé démocratique, n’est en fait qu’une république de bananes qui ignore sa vraie nature en se berçant d’illusions ? Pour Godin en tout cas, « même l’État démocratique n’est pas à l’abri de la corruption ». Au fond, le sujet fondamental de son livre est bien celui-là : la déperdition du sens de l’État, tout étant désormais ramené à la dimension étroite d’un jeu très provincial où chacun cherche à tirer avantage. « Depuis Duplessis, l’eau a coulé sous les ponts, mais sans vraiment d’embellie durable côté éthique politique, sauf peut-être durant les années Jean Lesage et René Lévesque où il était de bon ton alors pour un politicien de s’ériger en parangon de la vertu. »