Les humoristes libéraux et la Caisse

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La Caisse est devenue le relais des réseaux libéraux


La Caisse de dépôt et placement défraie la chronique depuis la semaine dernière. Faut-il s’étonner de tout ça? Pas du tout.


Ça a commencé par la nomination, en son sein, de Martin Coiteux comme économiste en chef. Quand on connait les positions de M. Coiteux, ancien ministre du gouvernement Couillard qui ne jure que par le « marché », on peut se douter que la caisse ne sera pas mise au service de la collectivité.


On a ensuite appris qu’une cadre de la Caisse, Martine Gaudreault, vice-présidente d’Otéra Capital, était en couple avec un ancien partenaire des Rizzuto.


Puis, on sait depuis hier que la filiale de la Caisse de dépôt Otéra Capital a prêté 44 millions $ pour la construction d’une résidence d’aînés dont l’un des promoteurs est un partenaire d’affaires de son grand patron.


Ces événements ne sont pas anecdotiques, mais il faut les voir comme des révélateurs d’une grande dynamique 


Les libéraux nous font rire, mais pas parce qu’ils sont drôles


Dans le cadre de la suspension de la vice-présidente d’Otéra Capital, pour ses liens avec la mafia, les libéraux ont été hilarants. Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Pierre Arcand, a questionné le processus d’embauche à la Caisse.


La blague a beau ne pas être amusante, elle nous fait rire jaune.


On n’a qu’à penser au fait que c’est sous les libéraux que madame Gaudreault a été nommée.


Au-delà du processus d’embauche, pensons au mode de nomination du conseil d’administration de la Caisse. En 2005, le gouvernement a fait adopter une loi faisant en sorte que le CA soit composé, aux deux tiers, des « administrateurs indépendants », n’ayant donc aucun lien avec l’État, et y abolissant la présence des centrales syndicales. Cela signifie que, dans les faits, des intérêts financiers privés ont pu prendre le contrôle du CA de la Caisse, favorisant sa transformation en un fonds comme un autre.


Qui était au pouvoir en 2005? Les libéraux.


En 2009, Michael Sabia a été nommé à la tête de la Caisse au terme d’un processus sans transparence.


Qui était au pouvoir en 2009? Les libéraux.


Lors du dernier débat des chefs, le premier ministre sortant a reproché au chef péquiste Jean-François Lisée de vouloir adopter une loi modifiant les activités de la Caisse, arguant que l’intervention de l’État dans les affaires de l’institution ruineraient sa réputation sur les marchés financiers.


Or, qui était au pouvoir en 2005 quand une loi a précisément été adoptée pour changer le mandat de la Caisse? Les libéraux. Et ce changement fut catastrophique


Ce que la Caisse a déjà été, ce qu’elle pourrait être


Au-delà de ces intrigues, un fait est clair : nous avons perdu de vue le rôle et la mission de la Caisse vis-à-vis du Québec. Les années du gouvernement libéral ont été consacrées à séparer la Caisse de la société québécoise, de multiples manières. La Caisse a été confisquée aux Québécois. Or, il est temps de nous rappeler les raisons pour lesquelles la Caisse a été créée, puisqu’il s’agit de l’un des meilleurs outils de développement dont nous disposons collectivement.


Pour nous rafraîchir la mémoire, une note publiée aujourd’hui même, intitulée « La Caisse de dépôt et placement du Québec : aux origines d’une institution de premier plan » et signée par la sociologue Amélie Descheneau-Guay, pour l’Observatoire de la retraite, est éclairante. 


La note rappelle qu’à l’origine, l’institution visait assurément à mener à un développement économique structurant au Québec, tout en protégeant les épargnes des Québécois. Aujourd’hui, le Québec semble être le dernier des soucis de la Caisse, alors que Michael Sabia déclare le cœur léger qu’il n’interviendra pas pour protéger nos sièges sociaux.


Si je recommande assurément la lecture de cette note sur l’histoire de la Caisse, je me permets de reproduire certains extraits, ma foi fort éloquents, de sa conclusion :


« En 1961, l’économie québécoise était détenue à seulement 47 % par les francophones, qui représentent pourtant plus de 80 % de la population, contre 39 % par les Canadiens anglophones et 14 % par des étrangers, principalement américains [...] En tant qu’instrument de la maîtrise du développement du Québec, la Caisse s’est vue confier un double mandat qui participe à l’essor des entreprises et de l’économie québécoises, en réalisant des arbitrages entre les intérêts individuels et l’intérêt général [...] ». 


« Comme le disait Lesage lui-même en 1965, la Caisse ne doit pas seulement être envisagée comme un fonds d’investissement comme un autre, mais comme un instrument de développement collectif et de sécurité financière des personnes. Sa double mission vise donc à faire fructifier les sommes qui lui sont confiées tout en les gérant avec prudence et de contribuer au développement accéléré des secteurs public et privé de façon à ce que les objectifs économiques et sociaux du Québec, tels qu’établis au moment de la Révolution tranquille, puissent être atteints [...]. À ce titre, la Caisse a été créée selon une approche intégrée et endogène du développement du Québec, en soutien aux politiques publiques mises de l’avant par l’État (financement, sécurité sociale, économie, industrie, énergie, innovation, etc.) ».


« Concrétisant cette approche, le conseil d’administration doit « refléter les tendances les plus essentielles de l’économie du Québec » [...]. La représentativité sociale des membres du conseil d’administration de la Caisse a ainsi contribué à faire en sorte que cette double mission soit maintenue, orientée vers l’intérêt général [...]. La politique de placement de la Caisse a, quant à elle, permis le développement des grandes compagnies québécoises et le développement d’une classe d’affaires francophone ».


« Il faut mentionner, pour conclure, que l’on ne peut comprendre les finalités derrière la création de la Caisse si l’on ne saisit pas son profond enracinement dans la volonté du Québec de maîtriser son développement. La Caisse a en effet été conçue et instituée en vue de concrétiser cette volonté, comme l’ont énoncé de différentes manières les artisans de sa création. Sans cette volonté, sans la vigilance qui s’impose afin de maintenir le cap vers cet objectif, la Caisse déroge nécessairement à son esprit et à sa lettre, tel que l’énonce sa loi constitutive ».


On comprend donc que, au sein de la Caisse de dépôt et placement, le loup n’est pas seulement entré dans la bergerie. On a carrément transformé la bergerie en enclos de loups. 


Peut-on rêver que la Caisse se reprenne sa place comme levier de développement du Québec, à un autre moment charnière de son histoire, celle d’amorcer une ambitieuse transition énergétique? La Caisse pourrait être à l’avant-garde d’une nouvelle « révolution tranquille » qui porterait le Québec dans le peloton de tête des sociétés à la hauteur du défi écologique du XXIe siècle. Il faudrait de la volonté politique!


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 Simon-Pierre Savard-Tremblay, socio-économiste (Ph.D.)


 Pour me contacter : simonpierre.savardtremblay@ehess.fr



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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).