Défilé de la Saint-Jean de 1968

Il y a 50 ans, l’émeute de la Saint-Jean

La Fête nationale du Québec, entre colère et célébration

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Coup monté ? Alors que Daniel Johnson était évacué du grand défilé du 24 juin par des policiers, Pierre Elliott Trudeau pourfendait les nationalistes du haut des estrades.

L'histoire donne parfois l’impression qu’elle est une solution chimique qui, soudain, se précipite au point de changer de nature. Le mois de juin 1968, avec l’émeute de la Saint-Jean, est riche en éléments instables qui finissent par se précipiter.


Tout bouge. Le 1er juin 1968, André Laurendeau meurt et avec lui, en quelque sorte, l’idée d’une troisième voie pour le fédéralisme canadien. Quelques jours plus tard, le 25 juin exactement, Pierre Elliott Trudeau est élu premier ministre du Canada.


De son côté, au même moment, René Lévesque se prépare à fonder le Parti québécois. Cette émeute du 24 juin, liée de près à la personnalité de Trudeau, montre à quel point les esprits sont alors sous tension.


Célibataire, figure de l’intellectuel antiduplessiste, millionnaire, Trudeau est en quête du pouvoir, suivi par deux de ses compagnons, le syndicaliste Jean Marchand et le journaliste Gérard Pelletier. La trudeaumanie bat son plein. Les nationalistes québécois découvrent en lui un adversaire farouche.


Quelle nation ?


Le 5 février 1968, dans le cadre d’une conférence constitutionnelle où il s’oppose au premier ministre québécois Daniel Johnson, Trudeau plombe la thèse des deux foyers nationaux constitutifs du Canada.


Il a dit et écrit plus d’une fois qu’il ne croyait pas à l’idée d’une nation québécoise sur laquelle serait appuyée la Constitution de 1867.


Puis en mai, Trudeau affirme à Sherbrooke que les Québécois ont vécu 100 ans de bêtises.


Or, ce printemps-là, en pleine campagne électorale, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal croit bon d’inviter Trudeau au grand défilé du 24 juin. Après tout, à titre de successeur de Lester B. Pearson, il occupe les fonctions de premier ministre officiellement depuis le 20 avril 1968.


Pour l’événement, une estrade d’honneur est dressée. Les dignitaires sont regroupés devant la bibliothèque centrale de la ville de Montréal, rue Sherbrooke. Vont s’y retrouver côte à côte plusieurs figures majeures, dont le maire Jean Drapeau, le premier ministre du Québec Daniel Johnson et l’attaché commercial de Grande-Bretagne James Richard Cross. Au beau milieu de ce parterre, assis à la première rangée : Pierre Elliott Trudeau.


Un peu partout, des hommes de la GRC, des policiers, en civil ou en uniforme. Sur le toit de l’édifice de granit gris, des vigies en armes montent la garde, jumelles à la main.


Le pire a non seulement été envisagé, il semble avoir été envisagé comme inévitable.


Pourquoi Trudeau tient-il à se présenter à cette fête nationale alors qu’il ne cesse de nier l’existence de cette nation ? En voilà trop, jugent plusieurs de ses opposants. D’autant plus que les indépendantistes se sentent floués pour se voir interdire de manifester leur option au sein du défilé. Si Trudeau est là, aussi bien en vue, pourquoi pas eux ? Ils n’ont qu’à se faire élire, répondent ceux qui ne pensent guère à eux.


Pendant les semaines qui précèdent l’événement, le Rassemblement pour l’indépendance nationale et son président, Pierre Bourgault, ne cessent de dénoncer en tout cas le contresens que représente cette présence de Trudeau. De la provocation, disent-ils.


Les indépendantistes ont l’intention de bien faire connaître leur opposition. Mais l’affaire tourne court le jour de l’événement. Prévenues d’éventuels débordements, les forces policières sont massées sur place. Ces policiers sont pour l’immense majorité des patrouilleurs. Ils ne sont en aucune façon entraînés pour ce type de manifestation.


Sitôt arrivé sur les lieux, Pierre Bourgault est porté à bout de bras par des militants. On le soulève de terre. Il est passé de main à main dans les airs, au milieu de la foule. Cette scène inattendue est vite captée par l’oeil vif de quelques photographes, dont Antoine Desilets.


À peine arrivé, Bourgault est donc arrêté. Une photo le montre, étranglé fermement par la clé de bras d’un policier, traîné contre son gré. Comme des dizaines de manifestants en sang, Bourgault est poussé vers un fourgon. La police n’y va pas avec le dos de la cuillère. Le boxeur Reggie Chartrand est sauvagement battu. Bourgault confiera qu’il l’a vu très affaibli, brisé, souffrant, pleurant. L’ancien policier Claude Aubin, présent ce jour-là, parle de scènes de défoulement de la part de ses confrères du temps. Diverses images témoignent d’ailleurs de la violence des affrontements. Toutes les rues des environs sont transformées en champ de bataille.


La répression se poursuit une fois les détenus arrivés au poste de quartier. Le policier Aubin écrit : « Nous frappons dur avec nos petits bâtons de bois ; quelques hommes tombent, mais personne parmi nous n’a de pitié pour qui que ce soit. »


Au même moment, des bouteilles et divers projectiles sont lancés sur l’estrade officielle, plus ou moins en direction de Trudeau. Tout le monde est vite invité à quitter les lieux pour des raisons évidentes de sécurité. Mais Trudeau, par calcul sans doute autant que par tempérament, refuse de quitter sa place. Cette image va donner dans le reste du Canada l’impression d’un homme fort capable de « remettre le Québec à sa place ».


Des jeunes gens jettent des billes de verre sous les sabots des chevaux de la police, qui se retrouvent les quatre fers en l’air. Des voitures sont renversées. Quelques manifestants utilisent du gaz MACE, l’ancêtre du poivre de Cayenne, contre les policiers.


Bilan de la soirée : au moins 123 blessés, dont 43 policiers. Une douzaine d’autopatrouilles ont été endommagées. Six chevaux canadiens de l’escouade de cavalerie de la police ont été blessés.


Sauvage


À la télévision d’État, le reporter envoyé sur le terrain, Claude Jean Devirieux, décrit le chaos : « La répression a été sauvage. Ceci n’est pas un jugement de valeur, j’ai vu des policiers frapper des jeunes gens de façon fort sauvage. » Il sera lui-même frappé.


Taire des hommes, un pamphlet cinématographique réalisé après coup par Pierre Harel et Pascal Gélinas, tente de rendre compte de la violence de la soirée sur une musique empruntée à Ringo Starr, des Beatles.


Des militants du Front de libération du Québec vont trouver dans cette répression une confirmation que la société est bloquée et qu’il faut conséquemment, pour espérer la changer, user de moyens hors du commun.


Des accusations pour incitation à l’émeute sont portées. Accusé, Pierre Bourgault est défendu par nul autre qu’Antonio Lamer, un proche de Pierre Elliott Trudeau, futur juge en chef à la Cour suprême. Il est acquitté.


Au lendemain des événements, René Lévesque annonce que les négociations pour que le RIN puisse se joindre à son mouvement sont rompues.


Si la manifestation n’empêche en rien Pierre Elliott Trudeau de devenir premier ministre le lendemain, elle marque néanmoinsune vive opposition à un fédéralisme dont il se fait l’apôtre.


En 1968, l’élan qui porte les fêtes de la Saint-Jean est brisé. L’année suivante, l’événement sera réduit au silence par la télévision d’État, qui censure les commentaires critiques des cinéastes Bernard Gosselin et Pierre Perrault, pourtant invités à donner leur avis au nom de leur connaissance du pays.


Des fêtes de la Saint-Jean, il n’y aura plus pendant longtemps que des fêtes de quartier, dans une réduction de la dimension nationale à une variable folklorique.



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1 commentaire

  • Pierre Bourassa Répondre

    25 juin 2018

    Merci, M. Nadeau, pour ce très précis et précieux rappel des évènements.


    2018, je n'ai jamais vu une Fête nationale du Québec aussi apolitique.



    Pierre Bourassa


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