Le drapeau des Patriotes dérange toujours

Une certaine lecture de l'histoire...



Les Québécois souligneront lundi la Journée nationale des Patriotes.
PHOTO: FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE


Lundi sera jour férié. Les Québécois, société distincte oblige, souligneront la Journée nationale des Patriotes, alors que dans les autres provinces canadiennes, ce sera la Fête de la Reine ou Victoria Day.
Mais le drapeau des Patriotes divise encore beaucoup les Québécois, ce qui est regrettable, surtout si nous tenons compte du fait que, au moment de sa création, en 1832, il se voulait plutôt rassembleur.
En effet, certains historiens affirment que ce drapeau s'inspirait du drapeau révolutionnaire français de 1789, à l'exception de la couleur verte qui faisait apparemment référence aux Irlandais, lesquels étaient nombreux dans le Parti patriote. Une autre interprétation veut que les trois couleurs de ce drapeau aient fait référence aux Irlandais (le vert), aux Canadiens français (le blanc) et aux Britanniques eux-mêmes (le rouge). Quelle que soit la véritable symbolique de ce drapeau, il importe de bien comprendre ce qui unissait les Patriotes à toute époque pertinente.
Ainsi, c'est en 1826 que le Parti canadien s'est transformé en Parti patriote. Il regroupait dans ses rangs une majorité de descendants des colons de la Nouvelle-France, mais on y comptait aussi une minorité d'intellectuels britanniques et irlandais. Ces gens étaient issus de différents milieux sociaux. Seules des idées les unissaient, comme celle du gouvernement responsable venue de l'Angleterre, ou celle de l'autonomie intérieure empruntée aux États-Unis.
Le Parti patriote a continué à promouvoir les réformes constitutionnelles qui tenaient à coeur au Parti canadien. En fait, en 1834, ce sont 92 résolutions qui ont été déposées par le Parti patriote à l'assemblée législative du Bas-Canada. Elles portaient entre autres sur l'élection des membres du Conseil législatif (le Sénat ou Chambre haute), l'élection des membres du Conseil exécutif (le gouvernement), la mise en place d'un gouvernement responsable, et la juste représentation des Canadiens français dans les institutions politiques, compte tenu de leur état social et de leur poids démographique.
Mais d'autres principes se dégageaient aussi des 92 résolutions, principes que nous avons tendance à oublier. Il s'agit notamment de l'expression explicite de la fidélité passée du peuple canadien à l'endroit de la Couronne britannique, exprimée dans les toutes premières résolutions. Les résolutions faisaient également référence aux États-Unis, présentés comme un modèle en ce qui touche à la réduction des abus de pouvoir et à l'électivité des détenteurs de charges publiques. Fait à noter, si les résolutions présentaient un caractère révolutionnaire et trahissaient une admiration certaine des Patriotes pour la nouvelle république américaine, elles n'envisageaient toutefois qu'en dernier ressort l'indépendance du Bas-Canada face à la Grande-Bretagne. En effet, les demandes les plus pressantes des Patriotes visaient non pas cette indépendance, mais plutôt un meilleur respect du peuple et de ses représentants.
Lorsque les autorités britanniques ont été saisies des 92 résolutions, elles ont répliqué par les 10 résolutions du ministre britannique de l'Intérieur, John Russell, lesquelles se trouvaient à rejeter en bloc les demandes du Parti patriote. Au cours du mois de mai 1837 et dans les mois qui suivirent, de nombreuses assemblées populaires ont été tenues en guise de protestation contre les résolutions de Russell. Au cours de cette même période, à partir du mois d'août 1837, une force paramilitaire, la Société des fils de la liberté, s'est organisée en marge du Parti patriote. Par la suite, elle a été approuvée par ce parti. C'est à compter de ce moment que le Parti patriote s'est radicalisé, a préconisé de façon ouverte l'indépendance du Bas-Canada face à l'Angleterre, et a même eu recours aux armes. Les actions des Patriotes ont donné lieu à des révoltes et à une situation de crise dans le Bas-Canada, bien que certains leaders, dont Louis-Joseph Papineau, s'opposaient à la violence armée et préféraient le boycottage économique des produits de l'Angleterre.
Si le drapeau des Patriotes dérange autant de Québécois de nos jours, c'est peut-être parce que nous posons, non sans raison, un regard sévère sur la Société des fils de la liberté, ce mouvement armé qui parut amateur et mal organisé, et qui orchestra de nombreux actes de violence et des manifestations sans toutefois avoir été largement appuyé par la population du Bas-Canada.
Voilà probablement pourquoi les Fils de la liberté ont échoué dans leur tentative de soulèvement. Plusieurs combattants ont péri dans les combats, ont été pendus à la prison du Pied-du-Courant à Montréal, ou ont dû s'exiler aux États-Unis ou en Australie.
Du reste, ne l'oublions pas, la défaite des Fils de la liberté a engendré des conséquences politiques lourdes pour les Canadiens-français comme le rapport Durham et l'adoption de l'Acte d'Union, par lequel ont été unifiées les structures politiques du Haut et du Bas-Canada, c'est-à-dire l'Ontario et le Québec d'aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, la Journée nationale des Patriotes a le mérite de rappeler à notre mémoire collective ce lien qui existe entre plusieurs de nos institutions et valeurs actuelles et ces hommes qui, courageusement mais maladroitement, ont défendu en 1837 et 1838 des idéaux démocratiques, réformistes et républicains tout à fait légitimes.
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Benoît Pelletier
L'auteur est professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.


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