Le cul-de-sac

Sinistrose africaine

La Haye -- Dans les couloirs de la Cour pénale internationale, on a un peu souri en prenant connaissance de la déclaration de monseigneur Tutu, Prix Nobel de la paix, qui souhaitait voir accuser Mugabe de crimes contre l'humanité et ainsi être déféré devant la justice internationale. Ce n'est pas demain la veille, même si ce devrait être aujourd'hui et que Mugabe est un plus grand criminel que tous ceux que la cour s'apprête à juger.
Les spécialistes de l'Afrique se sont tapé les côtes et ont ri jaune quand ils ont entendu Paul Kagamé, le président du Rwanda, déclarer qu'il était évident que des élections démocratiques étaient impossibles au Zimbabwe. Bien sûr, le leader rwandais pouvait donner l'exemple. Il avait emprisonné son seul rival pour crime de trahison et avait remporté une élection style Mugabe: tu votes pour moi ou je te tues. Kagamé, si la justice internationale avait toute la puissance de la justice ordinaire, devrait lui aussi faire face à des juges. Et il a le culot de donner des leçons de démocratie à aussi dictateur que lui.
Nous avons beaucoup ri aussi en groupe de la résolution du Conseil de sécurité qui condamnait Mugabe. On évoquait de nouvelles sanctions, la mise au ban des membres du gouvernement. Nous nous souvenions d'une récente visite de Mugabe à Rome pour le sommet de la FAO, un organisme des Nations unies qui lutte contre la faim dans le monde. Le président Mugabe est interdit de séjour dans les pays de l'Union européenne, mais il a profité d'une dérogation spéciale de l'Italie de Berlusconi pour y assister. Nous sommes dans le comble du ridicule. Voilà un homme qui a hérité d'un pays riche, notamment de son agriculture. Toutes ses politiques, menées au nom de la décolonisation, ont conduit le pays à la famine et il serre la main de chefs d'État dans une conférence qui lutte contre la faim. Tout le monde sait qu'il a perdu l'élection présidentielle, mais on l'appelle encore président. C'est tout ce qu'il souhaite, cet homme, pas le bien-être de ses citoyens, pas la prospérité du pays, mais en être le président-propriétaire.
Mugabe est un combattant de la liberté. Il a défait les Anglais. En Afrique, cela le rend divin, en quelque sorte, aux yeux de ses pairs. Avoir été libérateur d'un peuple en Afrique semble vous accorder tous les droits sur le peuple que vous avez libéré.
Il est évident que le silence africain à la suite du vol de l'élection de mars dernier ainsi que les réactions plutôt modérées de la communauté internationale ont convaincu le «vieux lion» qu'il pouvait faire n'importe quoi en toute impunité. Pourquoi pas s'organiser un deuxième tour qu'il s'assurerait de remporter? Mugabe a alors mis sur pied une véritable machine à détruire l'exercice démocratique. En utilisant la menace en cas de défaite: «Les balles des vétérans de la révolution sont plus puissantes que les stylos.» Traduction: «Si je perds, vous mourrez.» Puis il ajouta que seul Dieu qui l'avait choisi pouvait lui retirer son poste. Comme ses collègues le laissaient aller sans dire un mot, il retira les annonces publicitaires de l'opposition de la télévision et interdit aux journaux contrôlés par l'État d'évoquer la campagne du MDC. Pour faire bonne mesure, il lance ses milices qui tuent une centaine de militants de l'opposition et fait arrêter le numéro 2 du MDC, Tendai Beti. Accusé d'avoir dévoilé les résultats du scrutin avant la commission électorale, l'opposant est emprisonné et est passible de la peine de mort pour cette «haute trahison». Beti a été libéré sous caution jeudi. Le montant de celle-ci dit tout sur l'état de perdition économique de ce pays: un trillion de dollars, mille milliards de dollars zimbabwéens. Valeur réelle: moins de 100 $CAN.
Ce n'est que depuis les derniers jours, à la suite de la décision de Tsvangirai de se retirer de l'élection, qu'on entend quelques murmures africains; pas des cris d'indignation ni des dénonciations fortes, mais plutôt des appels au calme et à la négociation. Le «vieux lion» répond sans rire qu'il négociera quand il deviendra chef.
Le président Mbeki de l'Afrique du Sud ménage son vieux copain de combat et l'ANC, ce grand mouvement historique qui a vaincu l'apartheid et mené l'Afrique du Sud sur la voie de la démocratie, y va d'une légère admonestation. Le parti de Nelson Mandela réclame bien sûr la fin des violences, mais la plus grande partie de la déclaration est consacrée aux conséquences négatives sur les pays africains, dont le Zimbabwe de la colonisation, et sur le fait que les colonisateurs n'ont jamais respecté les principes démocratiques dont ils se réclament maintenant pour dénoncer Mugabe. Le mouvement de libération s'en prend à tous ceux qui évoquent une intervention extérieure pour résoudre la crise et proclame que toute solution à la situation au Zimbabwe ne peut venir que de l'Afrique. Mais voilà, il n'y a jamais eu de solutions africaines à des crises africaines, sauf peut-être récemment dans le cas du Kenya.
On attendait avec impatience la voix sacrée de Mandela. Lui peut-être pourrait faire reculer Mugabe et contribuer à une solution régionale. Ce fut en vain. Dans un discours prononcé jeudi à Londres, le vainqueur de l'apartheid s'est limité à dire qu'il déplorait «une cruelle faillite de leadership» sans même prendre la peine de mentionner par leur nom Mugabe et le Zimbabwe. Au moment où j'écris ces lignes, je regarde à la télévision des citoyens du Zimbabwe en train de voter sous l'oeil vigilant de gardes armés et le ministre de l'Information déclare que les Zimbabwéens votent en masse pour dénoncer le «poltron» qui s'est retiré et pour protester contre la violence organisée systématiquement par l'opposition.
Lors du premier tour, il avait fallu près de deux mois pour connaître les résultats du scrutin. Parions que le dévoilement se fera plus rapidement cette fois-ci.


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