Le cours d'histoire disparaîtra-t-il?

«Pour saisir les conflits contemporains et les enjeux politiques et économiques, une bonne connaissance des grands phénomènes du XXe siècle s'avère indispensable.» - Robert Comeau

Coalition pour l’histoire

Ce n'est pas que pour l'apprentissage du français que la réforme au secondaire inquiète. La situation n'est pas plus rassurante en ce qui concerne l'enseignement de l'histoire. On se souviendra qu'il a fallu que le ministre de l'Éducation rectifie le tir au printemps 2006 à la suite du tollé dans les médias suscité par la révélation du projet de programme d'«histoire et d'éducation à la citoyenneté» de secondaire 3 et 4.

Cette fois, c'est la menace de disparition du cours d'histoire du XXe siècle en secondaire 5 qui suscite une vive inquiétude chez les professeurs d'histoire, lesquels ont appris au congrès de la Société des professeurs d'histoire de la bouche même du responsable de l'«univers social» -- nom donné par le ministère de l'Éducation aux disciplines d'histoire, géographie et d'économie -- au ministère qu'on s'apprêtait à faire disparaître un cours d'histoire du XXe siècle pour en faire un cours multidisciplinaire axé sur les enjeux du présent.
À la suite de la consultation du régime pédagogique en 2005, précédée de dix ans de réflexion menée par des comités présidés par des experts (rapport Corbo de 1994, rapport Lacoursière de 1996, rapport Inchauspé de 1997), un article de la revue L'Actualité nous annonçait le remplacement de l'actuel cours facultatif de secondaire 5 sur l'histoire du XXe siècle par un cours devant s'intituler «Monde contemporain». Les fonctionnaires responsables du programme sont catégoriques: ce ne sera plus un cours d'histoire mais un cours axé sur les enjeux de l'actualité. Et ce cours sera obligatoire à partir de septembre 2009. Aucune explication n'a été apportée pour justifier le rejet du cours d'histoire.
La SPHQ réagit
Dès le 20 février 2007, Laurent Lamontagne, président de la Société des professeurs d'histoire du Québec (SPHQ), principal regroupement des professeurs d'histoire du secondaire, faisait connaître dans un mémoire détaillé au responsable des programmes en «univers social» du ministère de l'Éducation les raisons du mécontentement suscité par ce projet de programme de secondaire 5, dont le titre n'était pas encore définitivement adopté mais dont les grandes orientations étaient présentées comme définitives.
1. Alors qu'une des recommandations du rapport Lacoursière, rapport du groupe de travail sur l'enseignement de l'histoire (Se souvenir et devenir, 10 mai 1996, page 73), préconisait «qu'un programme d'histoire soit obligatoire, à raison de 100 heures par année, chaque année du secondaire», les attentes pour que soit créé en secondaire 5 un cours obligatoire d'histoire du XXe siècle étaient grandes.
Or voilà que le responsable des programmes en «univers social» du ministère, Marius Langlois, annonce d'emblée, lors d'une séance de consultation, qu'il faudra faire le deuil d'un cours d'histoire. Ce nouveau programme qui doit être adopté au printemps 2008 pour entrer en vigueur en septembre 2009 ne sera pas un cours de la discipline historique. (La réforme amorcée au primaire en 2000 atteindra en 2009 la dernière année du secondaire.)
2. Le rapport Inchauspé, ce rapport du groupe de travail sur la réforme du curriculum, proposait «la mise sur pied du programme "Connaissance du monde contemporain" qui devrait intégrer les contenus essentiels des programmes actuels: "Histoire du XXe siècle", "Éducation économique" et "Géographie du temps présent"» (gouvernement du Québec, 1997, page 142). Le rapport du président Paul Inchauspé proposait aussi que l'enseignement de l'histoire porte sur la connaissance du monde contemporain à l'intérieur d'un programme qui s'intéresse aussi à la géographie et à l'économie. Il s'agit ici d'un cours d'histoire qui intègre des éléments de géographie ou d'économie mais qui demeure un cours d'histoire. Pourquoi alors faire disparaître l'histoire alors que Paul Inchauspé en reconnaît pleinement aussi l'importance?
3. Le rapport du Groupe de travail sur les profils de formation au primaire et au secondaire, créé le 30 mars 1994 par le ministre de l'Éducation de l'époque, Jacques Chagnon -- rapport intitulé Préparer les jeunes au 21e siècle mais aussi dénommé «rapport Corbo» --, soulignait également l'importance de maintenir cette discipline qu'est l'histoire même s'il a employé le terme «univers social» pour définir un groupe de disciplines de sciences humaines.
Le rapport Corbo n'a jamais recommandé la dissolution de l'histoire ni non plus encouragé le fait que le programme de secondaire 5 devrait être multidisciplinaire et qu'on devrait faire le deuil d'un cours disciplinaire d'histoire. Bien au contraire, s'expliquant sur son rapport à l'hiver 2007, Claude Corbo était on ne peut plus clair: «Le groupe de travail a formulé des pistes de réflexion concernant le rôle et la contribution de l'histoire comme discipline d'enseignement. Pour le groupe, le contenu de connaissances en histoire est substantiel. [...] Au secondaire, on pourrait envisager de développer la connaissance d'un ensemble de réalités de l'univers social selon plusieurs dimensions distinctes [...]. Au titre des dimensions historiques, la tâche de l'école serait de permettre de rendre compte selon une chronologie organisée des grands moments de l'histoire de l'Occident, rendre compte aussi de façon articulée des grands moments de l'histoire du Québec et du Canada ainsi que des idéologies, des changements politiques, économiques et sociaux qui ont marqué l'histoire de l'Occident durant le XIXe et le XXe siècle et de montrer comment ces changements sont à l'origine de l'état actuel du monde» (Bulletin d'histoire politique, volume 15, n° 2, hiver 2007, page 220).
Et sur la question des compétences par rapport aux connaissances, Claude Corbo apporte les précisions suivantes sur les contributions de son groupe de travail: «Sur la question des contenus des programmes et de l'importance des connaissances en regard des compétences, le groupe a clairement marqué, par ses pistes de réflexion, l'importance à accorder aux contenus, notamment en histoire.»
Le groupe pense en particulier «que l'école ne peut faire l'économie de l'insertion de l'élève dans le monde de la culture déjà constituée, celle par exemple de l'héritage culturel de la littérature, celle des découvertes scientifiques passées, celle de l'histoire des institutions politiques et sociales. On ne peut être véritablement instruit si on est inculte. C'est à travers ces savoirs constitués que les objectifs de développement et de créativité doivent être atteints. [...] Le Rapport du groupe de travail prend pleinement acte des contraintes disciplinaires et valorise l'importance des connaissances à assimiler pendant la formation primaire et secondaire, en histoire comme dans d'autres disciplines» (Bulletin d'histoire politique, volume 15, n° 2, hiver 2007, page 220).
Aucune justification n'a été fournie pour appuyer le fait que le cours d'histoire devrait être abandonné au profit d'un cours interdisciplinaire axé sur les enjeux du présent.
Problèmes soulevés
Les élèves éprouvent généralement de l'intérêt pour l'histoire du XXe siècle. Pour comprendre le monde dans lequel ils vivent, ils doivent en avoir une vision large. Pour saisir les conflits contemporains et les enjeux politiques et économiques, une bonne connaissance des grands phénomènes du XXe siècle s'avère indispensable. Or l'élève du secondaire n'aura plus l'occasion d'aborder les grands événements du XXe siècle. Ce cours multidisciplinaire pourra être offert par n'importe quel enseignant ayant reçu une formation de base en sciences humaines sans connaissance spécifique en histoire.
Il apparaissait tout à fait possible, à travers un cours d'histoire du monde contemporain, d'incorporer des notions d'économie, de géographie ou de géopolitique. Cette intégration des dimensions économiques et géographiques pourrait très bien s'accomplir en parcourant l'histoire du XXe siècle. L'idée d'intégrer les trois principales matières de sciences humaines au secondaire est d'ailleurs annoncée depuis 1997 et suscitait un enthousiasme certain chez les enseignants d'histoire.
Peu importe le titre qui sera adopté, il est important que ce cours ne fasse pas référence qu'au présent, qu'à l'actuel, mais qu'il soit explicite sur la dimension diachronique ou historique des questions abordées. On ne peut faire fi d'une trame historique. Il serait important que les parents, les associations d'histoire et toutes les personnes qui croient que la connaissance de l'histoire du XXe siècle est indispensable pour comprendre notre monde d'aujourd'hui se mobilisent et interviennent pendant que le programme n'est pas encore adopté définitivement et exigent le maintien d'un cours d'histoire du XXe siècle en secondaire 5.
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Robert Comeau, Professeur associé au département d'histoire de l'UQAM et membre du conseil d'administration de la Société des professeurs d'histoire du Québec
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