IDÉES

L’Union de 1840 inaugure notre annexion au Canada britannique

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L'imposture du nationalisme fédéraliste

Bien que deux colloques se soient tenus au printemps dernier pour discuter du régime de l’Union de 1840, rares sont les analystes québécois qui rappellent que l’année 2015 marque le 175e anniversaire de la mise en minorité politique du peuple québécois et de son annexion politique.

L’Union législative du Haut et du Bas-Canada avec un Parlement unique, imposée en 1840 par un Conseil spécial mis en place par le régime militaire dans la foulée de la répression de 1837-1838 constitue pour notre nation une véritable conquête politique dans le prolongement de la conquête militaire britannique de 1760. D’ailleurs, la date du 10 février 1841, qui a été choisie par le gouverneur Sydenham pour marquer le début de ce régime d’union, a été retenue délibérément en rappel au 10 février 1763, date de la signature du traité de Paris, comme l’explique Guy Bouthillier dans un dossier à paraître sur l’Union dans L’Action nationale.

Étonnamment, Les réformistes, un ouvrage récent et fouillé sur la génération des réformistes du Québec du milieu du XIXe siècle publié par Éric Bédard, ne fait pas mention des travaux incontournables de l’historien spécialiste de cette période, Maurice Séguin. Étonnant est aussi le fait que l’ouvrage L’histoire du Québec pour les nuls de Bédard ne retient pas les dates de 1840 ou même de 1841 dans sa chronologie des dates importantes de notre histoire.

Consolidation

L’Union fédérale de 1867 n’a fait que consolider celle de 1840. En effet, après l’écrasement du mouvement patriote en 1837-1938, les marchands britanniques ultraconservateurs du Bas-Canada ont enfin obtenu par les armes ce qu’ils voulaient — la fin du Parlement séparé du Bas-Canada et de l’Union. Par une représentation truquée au Parlement uni, ils obtiendront ce qu’ils recherchaient : une majorité politique ethnique pour défendre les intérêts du Canada anglais.

En échange de la collaboration politique des réformistes du Québec avec les libéraux réformistes de Baldwin, pour l’obtention du gouvernement responsable, La Fontaine, le nouveau chef nationaliste du Québec, obtiendra des concessions culturelles, en particulier la fin de l’interdiction de l’usage du français au Parlement, ce qui constitue un gain important face à la menace d’assimilation rapide.

L’historien Bédard qui a reproché aux historiens de la Révolution tranquille de manquer d’empathie pour La Fontaine et les réformistes, ces « mal-aimés de l’historiographie québécoise », valorise « ce héros du gouvernement responsable » comme si ce gain de 1848 n’avait pas été d’abord obtenu pour favoriser les intérêts nationaux du Canada anglais et les intérêts de sa bourgeoisie.

Credo nationaliste-fédéraliste

Si certains ont présenté ces réformistes du Québec comme des opportunistes, voire des traîtres, l’historien Séguin a critiqué le fait que La Fontaine et Étienne Parent ont élaboré au cours des années 1840-1846 une pensée fédéraliste qui influencera plusieurs générations à venir.

Il a qualifié d’imposture leur nouveau credo fédéraliste consistant « à croire que l’Union n’a fait que juxtaposer deux colonies, qui par la conquête en commun du self-government demeurent libres de s’administrer chacune dans sa zone. Ils voient dans l’Union une espèce de juxtaposition de deux autonomies coloniales en ce qui a trait à l’essentiel de la vie nationale du Canada français et du Canada anglais, même si l’on gère en commun certains secteurs dits neutres, comme les finances publiques, la politique tarifaire, le commerce, les transports, la défense, la politique extérieure » (L’idée d’indépendance du Québec, p. 38). Avec l’Union, La Fontaine et ses réformistes se vantent d’avoir participé à la conquête des libertés coloniales, mais ne se rendent pas compte des effets de leur mise en minorité politique au nouveau Parlement.

Le mythe consolateur

Ce credo nationaliste fédéraliste donna naissance entre autres au mythe consolateur des « deux peuples fondateurs » qui nous a maintenus dans le brouillard et nous a évité de regarder en face notre annexion politique. L’historien Bédard écarte l’approche historique de Séguin, jugée trop pessimiste et matérialiste en lui reprochant d’aborder l’histoire en termes de rapports de force. De plus, il lui reproche de prendre parti pour Papineau devenu annexionniste, contre La Fontaine, alors que Séguin juge la pensée de Papineau après 1840 aussi fédéraliste que celle de La Fontaine.

Les réformistes du Québec, qui voyaient l’importance de l’industrie pour l’avenir de leur nationalité, ne doutent pas un instant que les Canadiens français puissent réussir s’ils le veulent, car leur infériorité économique n’est due à leurs yeux qu’à leur négligence ou leur ignorance. Séguin a qualifié leur point de vue d’« illusion progressiste ». Cette conception fédéraliste laisse croire que les Canadiens français peuvent développer leur économie et leur culture sans détenir la maîtrise politique.

Il est important que les historiens expliquent qu’une simple autonomie locale d’une province est bien incapable de mener le Québec à une maîtrise suffisante de sa vie économique. Pour les réformistes du XIXe siècle, non seulement l’indépendance n’apparaissait plus envisageable, mais elle n’apparaissait plus nécessaire. La question politique leur semblait définitivement réglée. Pour mettre fin à l’infériorité économique qu’ils constatent, ils n’accordent toutes les vertus qu’à l’école et à la bonne volonté. On peut qualifier d’illusion cette pensée économique de La Fontaine et d’imposture ce nationalisme fédéraliste qui consiste à croire que les Canadiens français peuvent être maîtres dans un Québec qui demeure à l’intérieur de l’Union fédérale. L’empathie pour nos dirigeants politiques passés n’exige pas d’abandonner tout esprit critique.


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