Le converti

Certes, il avait ses défauts, mais il était très fort en matière d'indignation.

Accord de libre-échange Canada - Union européenne



On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. En 1987, le plus farouche adversaire québécois d'un accord de libre-échange avec les États-Unis était le chef du PQ, Pierre Marc Johnson, qui y voyait un danger mortel pour le «modèle québécois», notamment pour ses programmes sociaux.
À sa décharge, c'était une époque où les esprits semblaient passablement confus. Qui se souvient que, deux ans auparavant, Robert Bourassa avait fait campagne en brandissant le spectre de l'annexion (sic) aux États-Unis? Durant la campagne au leadership conservateur de 1983, Brian Mulroney lui-même avait pourfendu le libre-échange, que défendait son adversaire terre-neuvien, John Crosbie.
C'est Jacques Parizeau, alors en réserve de la république, en attendant le moment de renverser M. Johnson, qui s'était chargé d'expliquer à la population, et en particulier aux souverainistes, qu'un tel accord serait une excellente chose.
Peu importe leur couleur politique, les Québécois n'avaient-ils pas intérêt à avoir un accès plus facile au fabuleux marché américain? Surtout, pour les souverainistes, cela présentait l'inestimable avantage de contrer le discours fédéraliste sur l'isolement du Québec s'il décidait d'opter pour l'indépendance.
Le passage de M. Parizeau en commission parlementaire avait été un véritable événement. L'ancien ministre des Finances avait revêtu son habit de professeur à HEC et donné un cours littéralement magistral. Même les adjoints de M. Johnson, qui s'en méfiaient pourtant comme de la peste, avaient été très impressionnés.
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Jeudi après-midi, il y avait donc quelque chose d'ironique à entendre l'ancien chef péquiste, qui représente aujourd'hui le Québec dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, expliquer qu'«il faut savoir se remettre en cause sur certains modèles traditionnels» et reconnaître «l'importance de la fluidité des biens, des personnes et des capitaux».
J'imagine les cris qu'il aurait poussés à l'époque si le représentant du Québec dans l'équipe de Simon Riesman, qui négociait avec les États-Unis, s'était présenté devant une commission parlementaire les mains vides, comme lui-même l'a fait, après avoir facturé 1,4 million à l'État en deux ans.
«Les textes, on veut voir les textes», aurait tonné M. Johnson, l'air sincèrement outré. Lui aussi aurait fait tout un plat du «déficit démocratique» que déplorait son ancienne ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin. Certes, il avait ses défauts, mais il était très fort en matière d'indignation.
Il n'aurait pas davantage accepté qu'on lui dise que «tout est sur la table» sans être en mesure de préciser ce qu'il adviendrait des contrats d'Hydro-Québec, des politiques d'achat local, de la diversité culturelle, des quotas de production, etc.
Amir Khadir lui a fait un procès injuste en l'accusant de conflit d'intérêts parce qu'il siège au conseil d'administration d'une multinationale française qui pourrait éventuellement profiter d'un élargissement des échanges entre le Canada et l'Union européenne et que le bureau d'avocats auquel il est associé, Heanan Blaikie, possède un bureau à Paris.
Au printemps dernier, il a reproché à bon droit à Lucien Bouchard de s'être transformé en lobbyiste de l'industrie pétrolière et gazière, mais rien ne permet de croire que M. Johnson a présentement d'autres intérêts à l'esprit que ceux du Québec.
Le Pierre Marc Johnson de 1987 nourrissait néanmoins des appréhensions semblables à celles du député de Mercier quant aux possibles conséquences d'un accord de libre-échange sur la propriété des entreprises québécoises. On ne parlait pas de mondialisation à l'époque, mais les États-Unis n'en constituaient pas moins l'avant-garde.
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Le député péquiste de Rousseau, Nicolas Marceau, lui a demandé de quelle influence disposait encore le Québec dans les négociations en cours, alors que le paysage politique canadien a considérablement changé depuis qu'elles ont commencé en 2009.
M. Johnson a fait valoir qu'il avait un «poids considérable» en raison du rôle d'instigateur du projet joué par le premier ministre Charest et de la grande qualité de l'équipe de négociateurs que lui-même dirige.
Il est vrai qu'il revient à M. Charest d'avoir convaincu Stephen Harper de s'engager dans ces négociations et d'avoir éveillé l'intérêt de Nicolas Sarkozy, mais la direction de l'opération lui a complètement échappé.
Au départ, M. Harper dirigeait un gouvernement minoritaire et entretenait encore de grandes ambitions électorales au Québec. Depuis ce temps, il s'est donné une majorité sans lui et ses relations avec le gouvernement Charest n'ont cessé de se détériorer.
En 1987, Brian Mulroney avait un besoin absolu de l'appui du Québec pour imposer l'accord de libre-échange avec les États-Unis au reste du pays. Cette fois-ci, quand les inévitables compromis nécessaires à la conclusion d'un accord avec l'Union européenne devront être faits, M. Harper ménagera-t-il les intérêts du Québec ou ceux, par exemple, de l'Alberta?
En réalité, le rapport de force du Québec était bien meilleur à l'époque où M. Johnson déchirait sa chemise qu'il ne l'est aujourd'hui. Il est vrai que la foi des convertis est aussi plus intense que celle des vieux croyants.


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