Le 140e anniversaire de la fédération canadienne

Pour le Québec surtout, et peut-être même pour les autres provinces canadiennes, l'adoption d'une constitution formelle devrait être à l'ordre du jour.

Canada Day 2007

Contrairement au droit constitutionnel américain ou australien, le droit constitutionnel canadien permet la sécession d'une province, ce qui n'empêchera pas notre fédération de fêter son 140e anniversaire. C'est l'une des plus anciennes parmi les quelque 25 fédérations qui regroupent sur les cinq continents 40 % de la population mondiale.
Certes, l'Union européenne a, pour le moment du moins, cessé d'évoluer vers un fédéralisme classique; les accords de Berlin de juin 2007 réaménagent cette union internationale en modifiant les traités; on ne parle plus de Constitution, d'hymne, de drapeau, de devises (Christian Rioux, [«L'Europe sur les rails»->7492], Le Devoir, 22 juin). Mais l'idée fédérale est encore bien vivante en Europe: l'Espagne évolue vers une forme de fédéralisme sous la pression de la Catalogne; le Royaume-Uni pourrait faire de même et se muer en fédération; en Italie, on s'y intéresse (récent colloque à l'Université de Sienne sur le fédéralisme asymétrique).
Rappelons que, malgré certaines tensions, l'Allemagne de l'Est a réintégré la fédération allemande en 1990 plutôt que de conserver son indépendance, que les Wallons et les Flamands s'en tirent assez bien au sein de la fédération belge. Certes, depuis la chute du mur de Berlin, plusieurs fédérations ont éclaté -- Union soviétique, Tchécoslovaquie, Yougoslavie et récemment la Serbie-Monténégro --, illustrant que le fédéralisme n'est pas une recette magique; formule souple, elle produit des fruits bénéfiques dans des conditions favorables, notamment en contexte de société libre et démocratique.
Lors du récent Congrès mondial de droit constitutionnel (qui s'est tenu du 11 au 15 juin dernier à Athènes et auquel participaient 600 constitutionnalistes provenant de 60 pays), plusieurs ateliers ont abordé des questions reliées au fédéralisme. Par exemple: «Quels sont les mécanismes constitutionnels utiles à la résolution des conflits à l'intérieur d'un État?» et «Constitutions infranationales dans les États fédéraux».
J'ai assidûment suivi ce dernier atelier, pour me rendre compte d'un intérêt croissant pour l'idée que tout État fédéré se dote d'une constitution formelle et s'en serve comme instrument d'affirmation et d'autonomie. Aux États-Unis, les États ont tous une constitution; il en est de même dans certaines autres fédérations.
Pour une Constitution du Québec
Un groupe de travail a été formé au sein de l'Association internationale de droit constitutionnel pour approfondir ce thème. Pour le Québec surtout, et peut-être même pour les autres provinces canadiennes, l'adoption d'une constitution formelle devrait être à l'ordre du jour. Outre son aspect symbolique, une Constitution du Québec, respectueuse de la Constitution fédérale, pourrait permettre de clarifier les zones grises, de préciser comment l'Assemblée nationale entend exercer ses compétences dans les champs qui sont les siens (éducation, santé, affaires municipales, droit civil, justice, etc.) et dans les champs partagés (affaires économiques, main-d'oeuvre, immigration, environnement, recherche scientifique). Pourraient aussi y être abordées les conséquences de la reconnaissance de la nation québécoise, du fédéralisme asymétrique, du prolongement international des compétences provinciales.
Voilà un thème de réflexion pour ce 140e anniversaire d'une fédération qui, malgré ses défauts, a donné des fruits que nous envient bien des peuples. Le fédéralisme canadien a permis de construire une unité certaine (politique, économique, sociale) tout en préservant la diversité. Dans l'intérêt véritable de la population, ce fédéralisme a incité à privilégier l'uniformité lorsque des législations disparates risquaient de compromettre l'atteinte efficace d'objectifs légitimes. En revanche, l'uniformité ne se justifie pas lorsque les besoins communautaires sont différents ou peuvent être satisfaits différemment.
La diversité culturelle est une valeur essentielle de notre civilisation, le Québec s'en est fait le champion et on l'a rappelé en 2005 à l'UNESCO. Selon cette dernière, «la culture englobe, outre les arts et les lettres, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances». Et l'UNESCO ajoute: «La diversité culturelle implique par ailleurs le respect des libertés fondamentales, dont la liberté de pensée, de conscience, de religion, la liberté d'opinion et d'expression, la liberté de prendre part à la vie culturelle de son choix, entre autres.» Sur ce dernier plan, l'ensemble des Canadiens a beaucoup en commun. C'est ce que nous célébrerons ensemble ce 1er juillet 2007.
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Patrice Garant, Professeur de droit à l'Université Laval, Association internationale de droit constitutionnel, section canadienne


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