Mon pays, mes amours

Pourtant, il suffirait qu'un visionnaire nous propose un projet de société rassembleur, que ce soit à Ottawa ou à Québec, et on embarquerait. Et on se fixerait enfin. Mais tous les plans qu’on nous propose ne sont pas sincères, ne sont qu’opportunisme politique.

Canada Day 2007


C'est le dernier travail de recherche avant les vacances d'été. Mademoiselle Provencher ne nous a pas imposé de sujet. On écrit sur ce que l'on veut. En autant que ça fait 20 pages de long. Les élèves de troisième année B ont surtout choisi de parler de leur chat, de leur chien, des fusées ou des pompiers. Moi, j'ai choisi le Canada. Parce que j'aime le Canada.



L'été dernier, quand je suis allé à l'Expo, mon pavillon préféré était le Katimavik, le pavillon du Canada. Une pyramide à l'envers, le bout pointu au sol, et la base dans les airs. Et la base au sommet. Un beau projet de société. C'est dans ce pavillon que j'ai vu le plus beau film de ma vie. Un film sur le Canada. Projeté sur un écran à 360 degrés. Un écran qui nous entourait. Quand les polices montées paradaient à cheval, on avait l'impression qu'elles fonçaient sur nous. Elles arrivaient de partout.
J'ai bien aimé aussi la Biosphère, le pavillon des États-Unis. Celui de la France, aussi. Et celui de l'URSS. Mais le plus beau de tous, c'était vraiment celui du Canada. Et j'étais fier, c'est mon pays. C'est vraiment à l'Expo que j'ai réalisé que j'habitais cet endroit. De zéro à 5 ans, j'habitais chez mon père. Ensuite, j'ai compris que j'habitais dans un quartier, une paroisse. Mon église s'appelle l'église Notre-Dame-de-Grâce, mon école s'appelle l'école Notre-Dame-de-Grâce, ma piscine s'appelle la piscine Notre-Dame-de-Grâce. J'habite donc Notre-Dame-de-Grâce.
Mais c'est à l'Expo, pendant que toute une société s'ouvrait au monde, que j'ai compris, avec ma tête d'enfant de 6 ans, que ma place dans ce monde, c'était le Canada. Un endroit immense. Beaucoup plus grand que la maison de mon père. Beaucoup plus grand que Notre-Dame-de-Grâce.
C'est ce que je veux raconter dans mon travail de recherche: ma découverte du Canada. Nous sommes en 1968. Et le Canada, c'est le pays de l'avenir. Un jeune leader incarne le rêve canadien: Pierre Elliott Trudeau. Il parle d'un pays bilingue, multiculturel, ouvert d'esprit et pacifique. Un pays d'avant-garde. Un pays neuf.
J'ai intitulé ma recherche: mon pays, mes amours. J'ai découpé une photo de Montréal, la métropole du Canada, une photo des Rocheuses, une photo des champs de blé de la Saskatchewan, une photo de l'hôtel de ville de Toronto, une ville très moderne, une photo du Grand Nord, et une photo de Jean Béliveau, le capitaine du Canadien.
Le Canada est un pays qui aime le monde. Chaque Canadien pense à aider son prochain. Si vous êtes pris dans une tempête de neige, votre voisin viendra vous pousser. C'est ça le Canada!
Puis j'ai écrit les paroles du Ô Canada! C'est ma chanson préférée. La chanson qui débute tous les matchs de hockey. Mes héros l'écoutent la main sur le coeur. Et je fais comme eux.
De tous les travaux de recherche que je ferai durant mes années d'études, celui-là est le meilleur, celui dont je suis le plus content. Parce qu'il renferme tout l'amour d'un enfant pour son pays. Tout ce que le patriotisme a de beau. Une affirmation de soi à travers ceux qui nous entourent. Le temps d'un travail de recherche, le Canada, c'était moi.
J'ai eu A+ pour mon travail. Ma mère l'a montré à tous mes oncles et mes tantes. Elle doit l'avoir encore, quelque part, dans le fond d'une garde-robe.
Quelques jours après la fin des classes, ça s'est mis à brasser dans mon beau Canada. Au défilé de la Saint-Jean, des chevaux ont été éventrés. Tout n'allait pas si bien que ça au Canada. Des manifestants ont lancé des roches vers la tribune d'honneur où étaient Drapeau et Trudeau. Drapeau est rentré se mettre à l'abri. Trudeau est resté dehors. Faisant face à la rage nationaliste québécoise. Sans broncher. En la provoquant presque. Comme il lui fera face durant la prochaine décennie. Représentant à lui seul ce que plusieurs Québécois voudraient que le Canada soit. Le représentant sans le réaliser pour autant. Et quand, 12 ans plus tard, les Québécois choisiront le Canada, plutôt que le Québec, ce seront des belles promesses qui les convaincront, plus que des faits.
Trudeau n'a pas réalisé le rêve canadien. Lévesque n'a pas réalisé le rêve québécois. C'était pourtant deux grands leaders. Mais il a fallu qu'ils arrivent au même moment de l'Histoire et qu'ils s'annulent mutuellement. Lévesque sans Trudeau, notre pays serait le Québec. Trudeau, sans Lévesque, notre pays serait le Canada. Ce serait réglé. Trudeau et Lévesque, notre pays, on ne le sait pas. On fête le 24 et le 1er. On hésite encore.
Depuis ces deux hommes, personne n'a réussi à incarner un rêve nationaliste, un rêve patriotique, ni au fédéral, ni au provincial. Pourtant le champ est libre. Pourtant, il suffirait qu'un visionnaire nous propose un projet de société rassembleur, que ce soit à Ottawa ou à Québec, et on embarquerait. Et on se fixerait enfin.
Mais tous les plans qu'on nous propose ne sont pas sincères, ne sont qu'opportunisme politique.
À 6 ans, j'aimais le Canada, à 12 ans j'aimais le Québec. Et aujourd'hui, j'aimerais seulement aimer l'endroit où je vis. Mais le Canada n'est pas vraiment bilingue, mais le Canada est en guerre, mais le Canada copie trop les États. Mais le Canada est divisé en deux. Et le Québec est divisé en trois. Mais le Québec y croit, n'y croit pas. Mais le Québec ne sait pas trop où il s'en va.
En cette fête du Canada, je nous souhaite de faire ce pays qui aime le monde. Ce pays où chaque citoyen pense à aider son prochain. Ce pays où le voisin vient nous pousser quand on est pris dans la tempête. Que ce pays s'appelle Canada, Québec ou Asperge.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé