Langue: un rapport mais pas de conclusion

"France Boucher n'a pas peur de se mouiller, elle pisse dans ses culottes" Forum du Québécois

Québec -- Après cinq ans de travaux, une vingtaine d'études, dont les 19 études et fascicules rendus publics hier, un rapport quinquennal de près de 200 pages fourmillant de statistiques et trois quarts de million en fonds publics engloutis, l'Office québécois de la langue française (OQLF) et sa présidente France Boucher sont incapables de qualifier la situation linguistique au Québec.
«Le rapport est là en 200 pages plutôt qu'en un mot pour vous donner tout cet état de l'évolution de la situation linguistique au Québec», s'est contentée de répondre France Boucher quand on lui a demandé de décrire la situation linguistique au Québec. La présidente de l'OQLF s'est réfugiée derrière une conception étriquée du mandat de l'organisme. «Ce n'est pas à l'Office de se substituer à qui que ce soit pour porter un jugement», estime-t-elle.
L'OQLF a tenu hier une conférence de presse fort attendue pour dévoiler son premier rapport quinquennal sur «l'évolution de la situation linguistique au Québec», une responsabilité que le législateur lui a confiée en 2002. L'organisme a aussi rendu publiques une série d'études gardées secrètes à ce jour, dont l'étude de Marc Termote sur les nouvelles perspectives démolinguistiques du Québec et de la région de Montréal pour la période 2001-51, dont Le Devoir avait révélé les grandes lignes, une étude assez sombre de Charles Castonguay sur la vitalité et la force d'attraction des langues au Québec ainsi qu'une étude plutôt optimiste, signée Virginie Moffet, Nicolas Béland et Robert Delisle, sur la langue de travail dans les grandes entreprises.
La ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, a qualifié le rapport d'«encourageant» car il prouve que «le français est en progression au Québec». Elle a réitéré que le gouvernement rejette tout renforcement de la Charte de la langue française.
Ce rapport quinquennal devait être dévoilé en février en présence de plusieurs chercheurs et du président du comité de suivi de la situation linguistique de l'OQLF, le sociologue Simon Langlois, de l'Université Laval. Mais Mme Boucher a annulé la conférence de presse. Aucun signataire des études n'était présent hier, à l'exception de Jacques Maurais, le directeur de la recherche de l'OQLF, et de son prédécesseur Pierre Bouchard, aujourd'hui à la retraite, qui ont rédigé le rapport quinquennal.
Formé de chercheurs indépendants, le comité de suivi est la caution scientifique du rapport quinquennal et des études qui l'appuient. Simon Langlois a remis sa démission il y a quelques jours. Les autres membres n'ont pas vu le rapport final. Charles Castonguay n'a pas eu de nouvelles de l'OQLF depuis le début de décembre alors qu'il recevait un document portant sur la procédure imposée pour l'examen du projet de rapport. Les membres du comité de suivi devaient signer une déclaration assermentée et participer à un huis clos sans leur téléphone ni leur ordinateur, donc sans leurs notes portant sur les différentes études analysées par ce comité depuis cinq ans, s'est plaint M. Castonguay.
Un autre membre du comité, Michel Pagé, de l'Université de Montréal, n'a pas démissionné, mais c'est tout comme. «Mon mandat se termine en avril prochain, et comme les travaux se sont trouvés arrêtés, il n'y aura pas d'autres activités de ce comité m'impliquant. Je laisse donc le mandat se terminer de lui-même», a-t-il fait savoir. Quant à l'autre membre, Denise Deshaies, de l'Université Laval, elle n'a pas encore démissionné, mais ce n'est qu'une question de temps. «Mon intention est de le faire bientôt», a-t-elle indiqué au Devoir.
Le rapport quinquennal comporte six chapitres: la langue et la population, la langue et l'immigration, la langue de l'enseignement, l'utilisation du français au travail, les attitudes et les comportements des groupes linguistiques ainsi que la maîtrise du français et la qualité de la langue française. À part certaines données du recensement de 2006 sur la langue maternelle et la langue parlée, le rapport quinquennal est basé sur les données du recensement de 2001. Le rapport ne contient aucune projection comme celle qu'a faite Marc Termote sur la langue parlée à la maison sur l'île de Montréal. L'OQLF rapporte qu'en 2006, la population dont la langue maternelle est le français est devenue minoritaire (49,8 %) sur l'île de Montréal. Selon Marc Termote, avec un seuil d'immigration de 55 000 personnes par année, tel qu'adopté par le gouvernement Charest, les francophones, qu'ils soient de langue maternelle ou non, seront en minorité sur l'île de Montréal dès 2021.
La force d'attraction du français pour les immigrants a progressé entre 1991 et 2001, passant de 35,8 % à 45,7 %. Mais c'est encore l'anglais qui domine avec une force d'attraction de 54,3 %. Il faut toutefois noter que peu d'immigrants abandonnent leur langue maternelle pour adopter le français ou l'anglais à la maison.
Au travail, 90 % des Québécois utilisent uniquement ou principalement le français, mais ce taux chute à 70 % dans la région de Montréal. Un peu moins de la moitié des allophones (48,5 %) travaillent en français, et sur l'île de Montréal, où on retrouve une forte proportion d'immigrants, 43,6 % des allophones travaillent en français. Le quart de la population de l'île de Montréal travaille en anglais. Quant aux anglophones, les trois quarts réussissent à travailler dans leur langue sur l'île de Montréal.
En matière de culture, l'OQLF relève que francophones et anglophones regardent la télévision dans leur langue. Ils font de même pour le cinéma et lisent aussi les journaux dans leur langue dans une forte proportion. Pour la chanson, le comportement est différent chez les francophones et les allophones. Ils écoutent «indistinctement la chanson en français et en anglais», note l'OQLF. Mais la culture de langue française ferait des gains, avance l'organisme. «Il semble enfin qu'une culture à base francophone, qui transcende les dimensions linguistiques, se soit installée. On constate en effet une ouverture de plus en plus grande du groupe anglophone à cette culture, les gains les plus manifestes provenant par ailleurs des personnes de langues tierces qui se tournent de plus en plus vers la culture de la majorité», écrit-il.
Mandaté par le gouvernement en 2002, l'OQLF aurait dû remettre son rapport quinquennal en 2007, avant que les données du recensement de 2006 ne rendent obsolètes certaines conclusions des études qu'il avait commandées.
Mais si les études et le bilan ont été dévoilés avec du retard, c'est la faute du comité de suivi, composé «d'universitaires de l'extérieur», a soutenu hier un chercheur retraité de l'OQLF, Michel Paillé. Auteur de deux études rendues publiques hier, M. Paillé a affirmé que «certains des membres» rejetaient toute donnée «considérée comme étant trop rose», autrement dit rassurante, et cherchaient à montrer uniquement le côté «gris, gris très foncé» de la situation du français. «On a accusé France Boucher de cacher des choses, eh bien c'est l'inverse: c'est le comité qui faisait tout pour cacher les [...] données qui ne faisaient pas son affaire. Ils sont responsables de tous les retards: ils ont été tellement tatillons qu'ils ont retardé les choses constamment.» C'est ainsi, a expliqué M. Paillé, que le «lien de confiance» entre le comité et la direction s'est graduellement rompu. Le comité de suivi a aussi cherché à «dépasser son mandat, qui est de donner son avis. La loi dit qu'il doit donner son avis, point. Une fois que c'est fait, c'est terminé». Or, a raconté M. Paillé, le comité «remettait en question les décisions de l'Office et a littéralement harcelé [le directeur de la recherche de l'époque] Pierre Bouchard», notamment au sujet des données sur la fécondité. Au dire de M. Paillé, «si ç'a pris cinq ans, c'est parce qu'ils [les membres du comité de suivi] ont passé leur temps à empêcher l'Office de faire son travail correctement». Pendant ce temps, Charles Castonguay, membre du comité de suivi et chercheur, «s'arrangeait pour que ses études passent rapidement», a lancé M. Paillé en guise d'accusation.


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