Dépolitiser la langue

Si le débat était moins partisan, Pauline Marois moins crinquée et Jean Charest moins jovialiste, on découvrirait que les libéraux et les péquistes modernes sont en fait du même côté, assez d'accord avec les mêmes grandes orientations, valoriser l'enseignement du français, mieux intégrer les immigrants, accélérer la francisation des PME.

La langue - un état des lieux


Par définition, le dossier de la langue au Québec est un dossier émotif, parce qu'il vient nous chercher dans ce que nous avons de plus profond, qu'il est intimement lié aux questions identitaires, aux peurs qu'une société minoritaire peut entretenir sur son avenir.

Par définition aussi, c'est un dossier éminemment politique, parce que les lignes de partage, au Québec, se définissent à travers les questions identitaires. La question linguistique est sans doute la principale base de mobilisation des forces souverainistes, ce qui mène souvent ces dernières à dramatiser les questions linguistiques tandis que les fédéralistes les minimisent.
Rien de cela ne nous aide à bien comprendre les enjeux. Pour y voir plus clair, il faut trois choses. Tout d'abord, des outils d'analyse, des données, et une méthode, pour aller au-delà des impressions et des lectures subjectives, et être capables de faire un diagnostic fiable de la situation linguistique.
Ensuite, il faut pouvoir donner un sens à ces données pour qu'on puisse répondre avec confiance à la question qui est au coeur du débat linguistique: est-ce que le français progresse ou est-ce qu'il recule? Où sont les succès, les menaces, les zones grises sur lesquelles il faut travailler. Enfin, il faut que les décisions linguistiques puissent échapper le plus possible aux pressions partisanes, pour qu'on puisse bâtir des consensus.
Le Québec a fait d'indéniables progrès sur le premier point. Le rapport quinquennal de l'Office québécois de la langue française, avec ses études d'appoint, montre que nous avons une connaissance plus fine des réalités linguistiques. Mais sur les deux autres points, l'échec est lamentable.
Le refus de la présidente de l'OQLF, France Boucher, de proposer une interprétation de la masse de données qu'elle a rendues publiques, de fournir une conclusion sous prétexte que ce n'était pas dans son mandat est innommable. C'est une abdication du devoir d'intelligence. Avec cette définition étriquée de son mandat, les efforts de l'Office deviennent vides de sens. Ce qu'on veut, ce n'est pas une masse de documents, c'est avoir l'heure juste.
Il est cependant difficile de croire que cet incroyable silence, tout comme le ridicule secret qui a entouré la publication des études, n'a pas été cautionné par le gouvernement. Un déplorable jeu d'action-réaction, où le gouvernement a réagi à la surenchère de l'opposition péquiste en sombrant en catatonie.
Ce qui est le plus comique dans les cachotteries de l'OQLF, c'est qu'il n'y avait rien à cacher. Les documents rendus publics montrent plutôt qu'il y a progrès, pas spectaculaire mais réel, sur la langue de travail, sur la langue d'éducation, sur les transferts linguistiques. La grande majorité des spécialistes qui se sont penchés sur la question partagent cet optimisme prudent, notamment le sociologue Simon Langlois, l'ex-président du comité de suivi de l'OQLF, qui parle de «portrait plutôt favorable». En fait, il y a deux chercheurs qui ont une vision noire des choses, ceux qui, comme par hasard, sont inlassablement cités dans les médias et utilisés par les porte-parole du Parti québécois.
Mais ce qui frappe le plus, c'est qu'on continue à plaquer une grille français-anglais à une réalité qui a changé. Le problème s'est déplacé. La principale interrogation sur les perspectives du français provient de la croissance de l'immigration, et non pas d'un progrès de la seule langue qui menace le français, soit l'anglais. C'est un tout autre problème. Parler de recul du français, comme le fait Pauline Marois, parce que la proportion de francophones baisse à mesure que l'immigration augmente, est un abus de langage. Ce qui recule, c'est le pourcentage de francophones, et non pas le français ou le fait français.
Cette réalité nouvelle a mené à un déplacement du débat. La véritable opposition n'est plus entre péquistes et libéraux, mais entre les forces de la modernité et le nationalisme de repli, qui prend prétexte des émois linguistiques pour vouloir freiner l'immigration ou combattre l'apprentissage de l'anglais, que l'on retrouve à l'ADQ, ou dans la vieille garde du mouvement souverainiste.
Si le débat était moins partisan, Pauline Marois moins crinquée et Jean Charest moins jovialiste, on découvrirait que les libéraux et les péquistes modernes sont en fait du même côté, assez d'accord avec les mêmes grandes orientations, valoriser l'enseignement du français, mieux intégrer les immigrants, accélérer la francisation des PME.
Le français fait des progrès. Il n'y a pas de drame, il n'y a pas de péril en la demeure. Mais il y a des enjeux nouveaux et des défis à relever. Ce sont des choses qu'une société adulte devrait être capable de discuter sans grimper aux rideaux.


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