La vieille ambition d'un jeune homme

Mais tout est arrivé trop vite, finalement, dans la carrière politique d'André Boisclair, et pour cela tout finit trop mal - pour l'instant.

Boisclair démissionne



Ce poste, André Boisclair le voulait, il l'a toujours voulu, pour ainsi dire. Il s'y était préparé soigneusement.
Mais tout est arrivé trop vite, finalement, dans la carrière politique d'André Boisclair, et pour cela tout finit trop mal - pour l'instant.
Au collège Brébeuf, la légende raconte qu'on s'était assuré très tôt de séparer André Boisclair et un certain Marc-André Blanchard afin qu'ils puissent les deux être présidents de leur classe. Jusqu'à hier, André Boisclair était chef du PQ. Son vieil ami l'avocat Marc-André Blanchard est président du Parti libéral du Québec depuis sept ans - lui aussi sur le point de quitter temporairement la politique.
«Ça faisait trois jours qu'ils avaient commencé leur secondaire, on voyait qu'ils voulaient être premier ministre tous les deux!» se souvient un ancien du collège. D'autres disent que ce n'est que beaucoup plus tard qu'il a manifesté une ambition politique.
Mais aussi loin qu'on se souvienne, il a fait de la politique étudiante. «C'était le gars toujours disponible pour aider, impliqué dans tous les trucs, les associations, les organisations, il parlait à tout le monde et tout le monde lui parlait. Le genre à aller saluer le directeur et à se faire remarquer.» Pas premier de classe, mais bon élève, pas vedette de sport, mais pas vilain pour autant.
«Il avait une énergie débordante, il était intense, rieur aussi», dit un autre.
Politique étudiante
Ce n'est qu'au cégep, alors qu'il milite dans la Fédération étudiante du Québec, qu'il se convertit à l'indépendantisme, notamment sous l'influence d'Éric Bédard. Il se promène partout au Québec et se passionne pour l'organisation politique - moins pour ses études.
Très rapidement, il fait son chemin dans les instances péquistes. Il devient président des jeunes à 21 ans. Garçon intelligent, volontaire. Jeune politicien professionnel, déjà. Je l'ai croisé à l'époque, à l'Université de Montréal, quand j'étais au journal étudiant. Nous avions écrit des textes élogieux sur le nouveau chef du PQ, Jacques Parizeau, ce qui bien sûr lui avait plu.
Mais la politique avait bouffé sa vie scolaire et après la moitié d'un bac en économie, il abandonne ses études quand le PQ lui offre de se présenter dans la circonscription de Gouin.
Nous sommes en 1989. André Boisclair a 23 ans. Il est député. Il a beau écrire dans son c.v. qu'il a fondé une petite entreprise d'incubation d'entreprises, sa vie professionnelle est entièrement politique.
Député talentueux
Il fait ses armes dans l'opposition. Quand Jacques Parizeau devient premier ministre, en 1994, il a 28 ans. Parizeau ne le nomme pas au cabinet. C'est Lucien Bouchard qui le fera, en 1996, reconnaissant ses dons évidents.
Il a fait sa marque à l'Environnement, avec des politiques défendues énergiquement contre l'installation des mégaporcheries et contre les pesticides. Il sera leader en Chambre sous Bernard Landry. C'est une valeur sûre au parti et au cabinet, selon plusieurs.
Son nom revient de plus en plus comme successeur éventuel du chef. Mais a-t-il vraiment ce qu'il faut? Qu'a-t-il d'original à apporter? A-t-il des idées si claires? Certes, c'est un des premiers à en appeler à un renouveau du parti, avant même la «saison des idées». Mais à part ça?
Et il y a cette vie dissolue. Aux yeux d'un Lucien Bouchard conservateur, janséniste sur les bords, les histoires de coke dans les toilettes de bar, les gardes du corps qu'on sème ne sont pas des sujets de rigolade pour un ministre.
Des croûtes à manger
Le jeune ministre paraît se calmer, mais il l'admet lui-même : s'il veut succéder aux René Lévesque, Pierre Marc Johnson, Jacques Parizeau et aux autres, il a des croûtes à manger.
Il les mangera. Il a un plan. À l'automne 2004, un an après la défaite péquiste aux élections générales, il démissionne de son poste de député.
Lui qui n'avait jamais achevé un bac, il allait se refaire une respectabilité universitaire. Tant qu'à faire une maîtrise, il la ferait à Harvard, rien de moins, dans l'année 2004-2005.
Ce programme d'un an de la Kennedy School réunit des administrateurs publics de partout dans le monde (du sénateur d'État américain au général de l'armée en passant par une gestionnaire de la santé en Afrique du Sud ou un directeur de société d'État australien). Il n'est pas conçu pour se préparer à la carrière universitaire mais pour former des «leaders» en milieu de carrière à progresser dans l'appareil gouvernemental, ou dans les affaires.
André Boisclair n'a pas chômé. Il a fallu qu'il se tape des mathématiques avancées, ce qui n'est pas rien pour quelqu'un ayant quitté l'université depuis presque 20 ans. Il a laissé une bonne impression, il a travaillé avec sérieux.
Le plan
Un emploi l'attendait en 2005 dans une des plus grandes firmes de consultants au monde, MacKenzie, dans le bureau de Toronto.
Il allait pouvoir prendre ses distances, avoir une expérience dans le vrai monde, gagner un salaire autrement que comme salarié de l'Assemblée nationale, en dehors des cercles chauds de la politique partisane au Québec.
Au début des années 2000, il avait fait son «coming out» dans le journal Voir. La divulgation de son homosexualité n'avait pas fait de vagues. Tout ça était classé.
La politique? Il y reviendrait, c'était évident, c'était même dans ce but précis qu'il organisait sa vie. Mais justement, quand il y reviendrait, ce serait pour être le chef. Et pour cela, il lui fallait gagner ses galons, faire le plein d'idées neuves, réfléchir hors des cercles péquistes.
Et puis voici Bernard Landry qui démissionne un certain 4 juin 2005. Et tout se précipite, tout se télescope.
Pas question, comme Gilles Duceppe, de passer son tour. C'est maintenant ou jamais, pense-t-il. À côté d'une Pauline Marois expérimentée mais en politique depuis René Lévesque, il joue la carte du renouveau, du moins du renouveau du parti. Un parti qui vient de s'écrire un programme plus radical et qui se campe franchement au centre gauche.
André Boisclair n'aime pas ce programme. Mais ce sont ceux qui l'ont écrit qui choisissent le chef. Il l'appuie publiquement sans nuances.
La campagne au leadership commence avec neuf combattants qui se livrent une série interminable de débats. Puis arrivent les révélations sur sa consommation de drogue.
Il est fini, pensent plusieurs. Après tout, y a-t-il beaucoup d'autres exemples d'un politicien en pleine campagne éclaboussé par une pareille affaire qui y survive? André Boisclair se débarrasse de la controverse assez vite, posant en victime de reporters indiscrets et balayant l'affaire comme une «erreur de jeunesse», un moment d'égarement. Après quelques jours de controverse sur son manque de jugement, l'affaire est close - médiatiquement, en tout cas. Le voici élu chef facilement par son parti, dès le premier tour, en cette date symbolique du 15 novembre 2005, 29 ans après la première victoire du PQ. Mais où sont les idées neuves?
Contre toute attente
À l'époque, le PLQ de Jean Charest est au plus bas. La route du pouvoir semble grande ouverte.
Les mois passent et le chef péquiste déçoit. On critique son style ampoulé, son manque de naturel. Et contre toute attente, Jean Charest semble renaître. Au déclenchement des élections l'hiver dernier, peu de gens, même au PQ, le voient gagnant. Mais personne ne pensait qu'il enregistrerait le pire résultat historique du parti depuis 1970. Clairement, il n'y survivrait pas.
Manque de lucidité? Narcissisme? Mauvais conseils? Lui semble y avoir cru. Ça n'aurait pas été la première fois qu'il défierait le sort, après tout. Mais comment prétendre récrire ce programme qu'il avait appuyé à fond? Ne serait-il pas, en plus, l'alibi idéal : on ne manquerait pas de lui dire qu'il avait «mal vendu» le programme au peuple.
Il a fait les choses dignement hier, mais sous la contrainte.
Et voilà qu'au bout de ces deux années de péripéties et d'agitation, à naviguer le vent de face, il n'a pas su faire avancer son parti. Ni Bernard Landry, ni Pauline Marois, ni Gilles Duceppe n'aurait fait pire. Au plan personnel, lui qui quittait la politique par choix au plus haut en 2004, la quitte assez bas, amoché, en perdant, en 2007. Brûlé pour un temps, blessé aussi, caricaturé.
Mais si depuis longtemps quelqu'un est prévenu des cruautés de la vie politique, qui finit rarement très bien, c'est André Boisclair. Il en connaissait les règles, les risques et les périls.
C'est juste que ce n'était pas ça, le plan. Ou peut-être avait-il plus d'ambition que de plan.


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