Commission Bastarache

La version de Bellemare tient le coup

L'avocat de l'ancien ministre dénonce une «cheap shot» du procureur de Charest

Commission Bastarache




Québec — Si des éléments de la version de l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare ont été minés hier, lors des contre-interrogatoires à la commission Bastarache, son récit global n'a pas été pulvérisé comme plusieurs s'y attendaient.
Le procureur de Jean Charest, André Ryan, a notamment fait admettre à M. Bellemare qu'il avait omis de mentionner deux rencontres importantes qu'il a eues avec le premier ministre Charest en 2003.
D'abord, celle du 2 mai, trois jours après son assermentation; rencontre difficile où il a dû s'expliquer avec le premier ministre au sujet de sa fille Lysanne qui fréquentait, comme danseuse nue, des milieux associés aux bandes de motards. L'avocat de M. Bellemare, Rénald Beaudry, s'est indigné dès que la question fut posée, la qualifiant de «cheap shot». Bien que cette rencontre ait duré au moins une demi-heure et qu'il y ait carrément offert sa démission au premier ministre (ce dernier a refusé), M. Bellemare a soutenu que cette rencontre n'avait pas été très «significative». Pourquoi? Elle avait «un objet propre» et une «raison précise», a-t-il argué. Mardi dernier, il avait affirmé que le 2 septembre — réunion où il se serait plaint des pressions indues du collecteur de fonds Franco Fava — était «la première fois» qu'il rencontrait «véritablement» le premier ministre.
L'autre rencontre omise jusqu'ici par Marc Bellemare est celle du 18 août 2003. Selon André Ryan, il y aurait été question spécifiquement de Michel Simard, qui allait être promu juge en chef adjoint à la Chambre civile de Québec. M. Bellemare a minimisé l'importance de ces rencontres et s'est ensuite livré à une confidence surprenante: selon lui, le premier ministre «n'avait pas d'intérêt pour la magistrature»; pas d'intérêt non plus, de «façon générale, pour la justice»; «c'est un domaine qui ne l'intéressait pas», a-t-il insisté.
«Off the record»?
L'avocat André Ryan, qui mène aussi la poursuite en diffamation de Jean Charest de 700 000 $ contre Marc Bellemare, a talonné l'ex-ministre de la Justice sur les sorties médiatiques de la mi-avril. Dans celles-ci, l'ancien ministre avait dénoncé pour la première fois les pressions «indues» dans le cadre de la nomination des juges; celles, précisément, qui ont conduit à la création de la commission Bastarache et à la poursuite en diffamation de Jean Charest. Lors de ces interviews, aurait-il violé son serment de confidentialité en livrant des noms? Dans un article du Journal de Montréal du 29 août 2010, signé par le cadre Dany Doucet, M. Bellemare est cité s'interrogeant ainsi: «C'est moi ou c'est Franco qui nomme les juges?»
M. Bellemare a toutefois nié formellement avoir prononcé cette phrase, rejetant aussi l'hypothèse qu'il ait révélé des noms «off the record». M. Ryan lui a demandé s'il s'opposait à ce que la commission réclame les notes de M. Doucet ou même, s'il existe, l'enregistrement de la conversation, ce à quoi M. Bellemare a répondu qu'il n'avait «aucune objection à ce que toute la vérité soit faite».
Bellemare a-t-il abdiqué?
En matinée, la procureure du gouvernement, Suzanne Côté, s'était arrêtée sur la fameuse rencontre du 2 septembre 2003, lors de laquelle le premier ministre aurait ordonné à M. Bellemare de céder aux pressions de M. Fava. Jean Charest aurait alors aussi promis de «faire passer» ses trois réformes à l'automne, soit l'indemnisation des victimes d'actes criminels, celle des tribunaux administratifs et le réaménagement de l'assurance automobile. Mardi dernier, M. Bellemare avait dit que n'eût été de cette promesse, il aurait démissionné sur-le-champ. Mme Côté a alors lu un passage des transcriptions du 24 août sur la question. Moqueur, l'ancien ministre a lancé: «excellent», à propos des phrases qu'il venait d'entendre. Mais Suzanne Côté a alors attaqué M. Bellemare en lui demandant s'il n'avait pas, à l'époque, «troqué» ses responsabilités pour réaliser son «agenda» politique. Elle a été rabrouée par le commissaire Bastarache, qui a semblé vouloir intervenir davantage, hier. Il a commencé la journée par un appel à la prudence quant aux «renseignements permettant d'identifier des personnes».
Précieux cahier de notes
Mme Côté a déposé un nouveau document à la commission: une photocopie de deux pages de notes tirées d'un cahier de l'ancien sous-ministre à la Justice Michel Bouchard. Dans celles-ci, M. Bouchard indique que le ministre demande un «portrait plus complet» de la situation à Longueuil, où il devait y avoir des nominations. Si le premier ministre l'avait exhorté le 2 septembre à nommer Marc Bisson juge coordonnateur adjoint à Longueuil, pourquoi alors, comme le suggèrent les notes de M. Bouchard, était-il encore à la recherche de candidats? Semblant interloqué par ce document, M. Bellemare a soutenu que sa demande d'information sur Longueuil était antérieure à la rencontre du 2 septembre. M. Bouchard témoignera devant la commission dans les 10 prochains jours, a-t-on indiqué.
Enfin, M. Bellemare a identifié clairement, hier, d'autres personnes à qui il aurait pu confier ses inquiétudes au sujet des pressions prétendument «colossales» exercées par M. Fava: il s'agit de Michel Gagnon, son ancien chef de cabinet, maintenant sous-ministre aux Affaires municipales. Et de Jacques Tétrault, travaillant maintenant pour la firme Cossette après avoir passé plusieurs années (de 2004 à 2008) au bureau du premier ministre Charest.
Suzanne Côté et André Ryan ont terminé leur contre-interrogatoire. Reste aujourd'hui, André Dugas, avocat du Parti libéral du Québec, ainsi que Pierre Bourque, qui représente le Barreau du Québec.


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