Penser le Québec

La « tempête d’Avril 2012 »

Petit survol historique de la violence comme réponse au mépris

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise

« Qui sème le vent récolte la tempête »
_ Osée, prophète hébreu
Ce qui devait arriver arriva. À force de négligence et d’arrogance, à force de mépris et de dénis de démocratie, vient un temps noir, une dépression, un climat orageux qui incitent certains « indignés » à agir avec force. Face à la force de l’empereur, ils répliquent par des actions ciblées. Ces indignés, non sans raison, en viennent à penser que la seule solution pour être entendus des autorités en déroute se trouve dans la violence. Ils réagissent à l’indifférence générale.


Depuis trois jours, les médias acteurs rapportent des actes de vandalisme. Ces médias répètent en chœur les propos du gouvernement qui dit ne pas vouloir céder à l’intimidation. Ces médias voient du boycott dans la grève et laissent entendre que les leaders sont irresponsables, comme des pirates. Ils publient un sondage qui fait croire que l’appui à la grève étudiante diminue. On le voit bien : ce gouvernement cherche, et c’était déjà écrit depuis le début, à diviser le mouvement étudiant en isolant la CLASSE. Il récupère les actes de violence ciblés pour rendre illégitime la démocratie étudiante. Il multiplie les arrestations et on assiste au déploiement progressif de la police anti-émeute. La grève coûte déjà beaucoup plus cher que ce que la hausse aurait permis d’amasser dans les coffres du gouvernement. Voilà pourquoi, face au mépris de certains éditorialistes téléguidés et autres chroniqueurs de droite patentés, les associations étudiantes protègent leurs assemblées et reçoivent encore l’appui de professeurs, de parents et de syndicats. Leur cause est juste, le temps politique travaille pour elles et le mouvement s’inscrit dans l’Histoire moderne du Québec. Nous sommes entrés dans la « tempête d’Avril 2012 » : le navire du gouvernement libéral vogue lentement vers son naufrage, lequel entrainera avec lui des étudiants, des institutions, mais aussi une bonne partie de la population composée de parents et de professeurs. Ce naufrage prévisible, dans la violence croissante, s’expliquera très bien.
Un gouvernement libéral qui ne gouverne plus

Les policiers expulsent la professeure Judith Émery-Bruneau vers 13h30 à l'UQO pendant que celle-ci filmait les policiers.

Quand le gouvernement ne gouverne plus, quand le capitaine fait porter sa responsabilité aux autres et que l’État autorise la force, voire la provoque, la peur peut se transformer en courage et l’action devenir saccage et destruction. En invitant les étudiants à retourner en classe malgré la grève et en appuyant les injonctions et les directeurs paniqués contre la majorité démocratique, le gouvernement montre qu’il est irresponsable. Il cherche des affrontements et des altercations avec les forces de l’ordre pour justifier son inaction. Il joue la provocation et cherche à mater la colère des jeunes indignés.
Un gouvernement libéral qui ne reconnaît pas la démocratie québécoise
Le gouvernement ne veut pas négocier avec les étudiants. Pour lui, on ne peut pas revenir sur la hausse des frais de scolarité décrétée et programmée dans le budget. Il dit faire des propositions aux étudiants, sur l’endettement et l’administration des universités notamment, mais sans aborder le cœur du problème. Il ne veut pas s’entendre avec les étudiants ni entendre raison. Il se comporte comme les libéraux fédéraux qui ne voulaient pas reconnaître la démocratie québécoise, les lois du Québec, le problème constitutionnel canadien et un référendum gagnant. La gouvernance de Charest, un ancien conservateur d’Ottawa, ressemble de plus en plus à celle des Trudeau, Chrétien et Dion : elle se moque de la volonté des québécois francophones. Son entêtement, c’est triste, n’est digne que de la fédération canadienne, dirigée aujourd’hui par les monarchistes conservateurs de Harper. Ici, on oblige sans l’appui de la population. On impose sans discuter. On méprise et on ramène des symboles britanniques. On dirige dans la division. On « règne » dans une fausse démocratie où la violence s’accroît. Force est de constater que les actes de vandalisme à l’Université de Montréal et aux bureaux des ministres libéraux - qui seraient à condamner, certes, s’il y avait un véritable dialogue - nous rappellent, à tous les jours un peu plus, les manifestations ciblées ayant conduit à la crise d’Octobre.
La tempête d’Avril 2012 s’inscrit dans l’Histoire moderne du Québec
Le printemps québécois est bel et bien commencé. Il nous conduit dans une tempête politique, la « tempête d’Avril 2012 ». Pour mieux comprendre la situation actuelle, qui est elle d'une grève, de marches, de manifestations et d’actes de vandalisme précis, rien ne vaut le rappel des années 1960-1970 au Québec. Car le conflit, on le voit, dépasse largement la cause des étudiants : il met en scène des visions opposées de l’avenir du Québec. Pour comprendre l’inaction du gouvernement et son refus de négocier, il faut bien connaître l’histoire du Québec. Et si les étudiants québécois sont en grève et n’ont plus de cours d’histoire nationale, nous nous limiterons ici à un survol.
Quelques faits décisifs précédant la crise d’octobre 1970
Dès mars 1963, dans un Montréal plus anglophone que francophone, l’Armée de libération du Québec (ALQ) et le Front de libération du Québec (FLQ) font sauter leurs premières bombes. Leurs cibles ? Des symboles de la domination anglaise, notamment des boîtes aux lettres dans Westmount. À Québec, le 10 octobre 1964, on assiste au « Samedi de la matraque » : à l’occasion de la visite de la Reine Elizabeth II, les policiers exercent une répression brutale contre une foule sans arme.
Après le dépôt du controversé rapport préliminaire de la Commission d’enquête Laurendeau-Dunton, en février 1965, le bilinguisme devient la politique officielle du Gouvernement fédéral. Le dépôt officiel, en six volumes, aura lieu en 1969. Le 5 juin 1966, l’Union nationale revient au pouvoir au moyen du slogan « Égalité ou indépendance ». Par ce slogan, elle coupe l’herbe sous le pied du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). Le 15 septembre, une vingtaine de membres du FLQ sont arrêtés à Montréal et accusés de divers attentats revendiqués par le Front de libération. P. Vallières et C. Gagnon du FLQ sont arrêtés à New York à la demande des autorités canadiennes. Les deux révolutionnaires procèdent à une grève de la faim.
Si l’on reconnaît le centenaire de la confédération canadienne le 1 juillet 1967, l’on ne peut passer sous silence le célèbre « Vive le Québec libre ! » lancé par le Général de Gaule depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal, seulement 24 jours plus tard. François Aquin devient, suite à son départ des libéraux, le premier député indépendantiste du Québec. Les 7 et 8 octobre, le RIN approuve une résolution pour l’union des forces indépendantistes. À Ottawa, entre-temps, on dit du mouvement souverainiste québécois qu’il est « plus dangeureux que le communisme » pour la sécurité nationale. À Ottawa, on méprise les Québécois qui veulent bouger, agir, et sortir du manoir.
Les « journées de la matraque » et la loi antimanifestation
Après le samedi policier du 10 octobre 1964, les Québécois connaîtront le « Lundi de la matraque » le 24 juin 1968. La présence de P.-E. Trudeau, nouveau premier ministre du Canada, sur l’estrade d’honneur du défilé de la Saint-Jean, provoque une émeute dans la foule. 290 personnes seront arrêtées pour l’occasion. Le lendemain, jour d’élections fédérales, les libéraux, dans la peur et l’indignation générale, sont reportés au pouvoir après une campagne émotive sous le thème One Canada, One Nation.

Émeute de la St-Jean-Baptiste de 1968 à Montréal

Le 28 mars 1969 se déroule à Montréal « Mc Gill français ». Il s’agit d’une manifestation de 15 000 personnes pour la francisation de la Mc Gill University. Le 7 juillet 1969, le gouvernement de Trudeau adopte la Loi sur les langues officielles forçant le bilinguisme des institutions fédérales. Le 7 octobre, on assite à la grève des policiers et des pompiers de Montréal. Le maire Jean Drapeau demande, ce sera bientôt une habitude, l’intervention de la Sûreté du Québec et de l’armée canadienne...
Après l’Opération Murray Hill, le maire Drapeau accuse le FLQ de vouloir renverser l’État canadien. On asssite ensuite au dépôt, le 23 octobre 1969, du controversé projet de Loi 63, bien connu sous le nom Bill 63, dont l’un des points forts est de confirmer, pour les parents, la possibilité de choisir entre le français et l’anglais comme langue d’enseignement pour leurs enfants. On constate un tollé dans la population et on assiste à plusieurs manifestations.
Le 10 septembre 1969, sans l’accord de la mairie, une manifestation se tient à Saint-Léonard et tourne mal : on relève une centaine d’arrestations. En octobre, le Front du Québec français mobilise plus de trente mille personnes contre la loi 63. Jean Drapeau fait adopter le 12 novembre un règlement antimanifestation : il devient alors interdit de manifester, selon le règlement 3926, dans les rues montréalaises. Le « coup de la Brinks » survient en avril.
À quelques jours des élections au Québec, le premier scrutin auquel se présente le Parti québécois, les médias annoncent que le Royal Trust effectue un visible transfert de fond de certains clients « timorés » de Montréal vers Toronto à bord de neuf camions blindés de la compagnie Brinks. Le but de l’opération médiatique : éviter que les électeurs n’appuient le Parti québécois.
Le 29 avril, le PLQ remporte l'élection avec 45% du vote et 71 des 108 comtés. Le PQ, avec 23% du vote, n'obtient que 7 comtés. Le 24 juin, une bombe explose contre un mur du quartier général du ministère de la Défense. Un fonctionnaire fédéral perd la vie à cette occasion.
Et la Crise d’Octobre…
Or, le 5 octobre 1970, lors de l’enlèvement, par la cellule Libération du FLQ, du diplomate britannique James Richard Cross, survient le début de la crise. Le lendemain, le Secrétaire d’État aux affaires extérieures, Mitchell Sharp, refuse de céder aux conditions du FLQ. On lit au même moment dans les journaux le Manifeste du FLQ.

Le 7 octobre, le Manifeste est lu à la radio de CKAC. Le lendemain, la télévision de la SRC se décide, « pour des raisons humanitaires », de lire le Manifeste en ondes. Le 10 octobre, à 18 heures, Jérôme Choquette, Ministre de la justice, déclare en conférence de presse que le gouvernement refuse toute négociation avec le FLQ. À 18 heures 18, la cellule Chenier du FLQ enlève le Ministre du travail et de la main d’oeuvre, Pierre Laporte. Le gouvernement de Robert Bourassa établit dans ses quartiers, à l'Hôtel Queen Elizabeth de Montréal – un lieu fort en symbole -, laisse entendre qu’il négociera peut-être avec le FLQ. Le 13 octobre, Pierre-Eliott Trudeau se livre à son interview Just watch me devant des journalistes anglophones.
Le lendemain, une quinzaine de personnalités dont Claude Ryan, René Lévesque, Marcel Pépin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau signent un manifeste appuyant de véritables négociations avec le FLQ. Mais coup de théâtre : durant la nuit du jeudi au vendredi 16 octobre, à la demande semble-t-il, de Bourassa, Trudeau décrète la Lois sur les mesures de guerre. Il s’agit de la loi promulguée pour défendre le Canada pendant la deuxième Guerre mondiale. Prétextant une « insurrection », le gouvernement fédéral entend prendre possession du territoire du Québec. Le vendredi, les Québécois assistent impuissants à l’État de siège : l’habeas corpus ne tient plus et les libertés civiles sont suspendues. L’armée canadienne prend le contrôle du Québec, procède à l’arrestation, sans mandat, de 457 citoyens considérés suspects, et s’installe pour assurer, semble-t-il, la protection des quartiers riches et des édifices gouvernementaux.

On découvre le 17 octobre, dans la voiture de l’enlèvement, le cadavre du Ministre Pierre Laporte assassiné par le FLQ. Le 3 décembre, les ravisseurs de James Cross sont cernés dans une résidence de Montréal-Nord et consentent à le libérer contre un sauf-conduit pour Cuba. Le 28 décembre enfin, Francis Simard, Paul et Jacques Rose, terrés depuis un mois dans un chalet à Saint-Luc, se rendent aux policiers. C'est la fin de la « Crise » d’octobre.
Après le naufrage d’avril, voguera le vaisseau fantôme des Libéraux…
Ce rappel n’entend pas justifier la violence, mais montrer que, dans l’Histoire récente, certains québécois n’ont pas hésité à s’en prendre au mobilier. Devant le mépris et le refus de négocier de bonne foi, les Québécois peuvent brasser leur cage. Face à l’anglicisation croissante et la corruption généralisée, dans un manoir canadien où vivent des fantômes (des problèmes politiques irrésolus), certains en ont gros sur le cœur et ont le goût de marcher et de faire de la casse. La grève étudiante est une image, plus précisément un miroir de la situation politique du Québec. Si le gouvernement libéral continue d’appeler le vent, c’est-à-dire de faire la soude oreille en s’amusant, comme Trudeau, à opposer une partie de la population contre elle-même, il ne s’agira plus bientôt de discuter des discours des porte-paroles étudiants, ni de la hausse ou de la reprise, mais de ramasser les pots cassés. Il s’agira aussi, après le naufrage des libéraux, de discuter des raisons beaucoup plus profondes qui ont conduit le « printemps québécois » à devenir la « tempête d’Avril 2012 ».
À ce moment, la peur n’aura fait qu’un temps.

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Dominic Desroches115 articles

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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