Saga de l'îlot Voyageur

La responsabilité

Chronique de Louis Lapointe



On a beaucoup parlé de la responsabilité du conseil d'administration de l'UQAM mais peu de celle du gouvernement au cours de cette saga de l'îlot Voyageur. Normalement, les nouveaux locaux dont l'UQAM avait un criant besoin, en raison de l'explosion de sa clientèle, auraient dû être financés par le gouvernement. Or tel ne fut pas le cas. Devant le retard du gouvernement à agir, l'UQAM a décidé de faire cavalier seul. C'est là que tout s'est compliqué.
Lorsqu'il a pris les rênes de l'UQAM, Roch Denis n'était pas un administrateur chevronné et, comme bien des anciens présidents de syndicat le font souvent, il a eu le malheur de croire que les liens d'amitié développés avec ses anciens compagnons d'armes pouvaient être garants de la confiance à témoigner à ses principaux collaborateurs.
En confiant à ses amis et à ses anciens camarades syndicaux les postes les plus stratégiques de son administration universitaire, Roch Denis n'a pas tenu compte du fait que la plus haute compétence doit être le premier critère de sélection dans le choix de ses principaux collaborateurs lorsqu'on veut atteindre les sommets dans son domaine. L'administration universitaire n'est pas une succession de droit divin entre professeurs, comme le laissait récemment entendre dans ces pages le professeur Pierre Hébert, vice-président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université, mais affaire de compétence.
Toutefois, malgré la succession impressionnante de fautes graves commises par l'équipe du recteur Roch Denis, il n'appartient pas à la communauté universitaire, en particulier aux étudiants, de payer les pots cassés par la direction et le conseil d'administration de l'UQAM. Cette responsabilité appartient au gouvernement du Québec, qui a non seulement manqué à son devoir de soutenir l'UQAM alors qu'elle avait un besoin criant de nouveaux locaux pour abriter sa clientèle mais qui a par surcroît omis depuis des années de moderniser les rapports juridiques qui existaient entre l'université et l'État.
On ne peut pas parler d'indépendance lorsque l'institution universitaire est totalement tributaire de l'aide financière de l'État. Laisser flotter l'illusion selon laquelle les universités peuvent engager l'argent du public dans des mégaprojets sans obtenir les autorisations ministérielles relevait tout simplement de la pensée magique. Laisser les universités à la merci d'une caste d'universitaires qui entretient l'idée selon laquelle seuls les professeurs ont toute la compétence voulue pour gérer ces établissements de haut savoir est totalement archaïque et farfelu. L'université doit absolument rendre compte de sa gestion des fonds publics dans toutes les sphères de son administration. C'est une simple question de bon sens et de saine gestion.
Pour résoudre la crise, le gouvernement doit tout d'abord demander à l'assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec de mettre l'UQAM sous tutelle. L'administration actuelle a fait la preuve qu'elle ne pouvait pas gérer cette situation, d'autant plus qu'il y a risque de conflits d'intérêts.
Dès lors, l'assemblée des gouverneurs devra scinder les dossiers du déficit d'exploitation et des immobilisations, ce dernier dossier devant être traité indépendamment de l'administration générale de l'université et directement par les autorités du ministère de l'Éducation. Parce que l'UQAM est trop vulnérable pour conclure un accord sensé, il appartient au gouvernement de négocier une solution avec Busac. Lucien Bouchard pourra ainsi bénéficier d'un meilleur rapport de force et le gouvernement ne risquera pas d'être mis devant le fait accompli de négociations auxquels il n'a pas participé. En conséquence, le plan de redressement de l'UQAM ne devrait tenir compte que du déficit d'exploitation et des subventions à recevoir. Nous serions alors loin de cette folie qui s'empare de l'âme de l'UQAM.
Par ailleurs, le gouvernement devra revoir l'organisation de ses rapports avec le réseau universitaire. Il doit de toute urgence remettre en question l'archaïque principe d'indépendance universitaire et instituer un régime permanent de reddition de comptes qui tienne compte de la situation particulière des universités. Celles-ci devront établir un meilleur équilibre entre leurs missions d'enseignement, de recherche et de services à la collectivité en respectant les principes d'une saine gestion où les professeurs ne sont pas placés en situation de conflits d'intérêts lorsqu'il s'agit de concilier leurs responsabilités pédagogiques, administratives et syndicales.
Enfin, tout cela ne doit pas faire oublier qu'une fois les pratiques universitaires assainies, lorsque nous aurons un portrait fidèle de la situation, le gouvernement devra réinvestir rapidement et massivement là où se trouvent les besoins les plus pressants, parce que les universités demeurent les plus puissants outils de progrès, de prospérité et d'avancement social.
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Louis Lapointe, Cadre dans le réseau de l'UQ de 1984 à 1995 et directeur général de l'École du barreau du Québec de 1995 à 2001

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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