Coalition Legault

La question nationale évacuée in extremis

Le Québec doit fonctionner avec les pouvoirs actuels, dit Legault

CAQ - Coalition pour l’avenir du Québec




Jusqu'à la dernière minute, le manifeste de la Coalition pour l'avenir du Québec de François Legault contenait tout un chapitre sur la question nationale. Dans ce volet qui n'a jamais vu le jour, la Coalition se donnait une assise historique et un mode d'emploi pour déterminer les éventuelles positions du groupe dans plusieurs contextes, notamment les tiraillements avec Ottawa.
Le Devoir a obtenu une copie de l'une des dernières versions de ce chapitre qui a circulé au sein du groupe. On y parle de trois piliers que sont «l'identité, les institutions et l'économie». La Coalition affirmait clairement que le gouvernement du Canada, bien que légitime, n'est pas sur un pied d'égalité avec celui du Québec. «Quelles que soient les qualités du gouvernement fédéral, le gouvernement québécois est le seul en Amérique du Nord qui soit contrôlé par des francophones, ses prérogatives devant être consolidées si on veut assurer un avenir en français à nos enfants», peut-on lire dans ce chapitre inédit.
Le document allait beaucoup plus loin que la version définitive, laissant penser que toutes les avenues étaient possibles. «Il faut au contraire agir avec une confiance raisonnable à l'endroit de nos partenaires canadiens, en ne doutant pas qu'avec le temps les Québécois trouveront une façon d'assumer leur destin», pouvait-on lire. Le chapitre, dont le titre provisoire était «Premier objectif: rassembler les Québécois autour de leur intérêt national», ajoutait: «Nous réaffirmons avec force que l'avenir du Québec reste fondamentalement ouvert et qu'en tant que territoire national de l'un des peuples fondateurs du pays, le Québec constitue au sein du Canada une société distincte où le français est clairement prédominant.»
Joint par Le Devoir, Christian Dufour, politologue à l'École nationale d'administration publique, confirme que ce document circulait encore au mois de janvier entre les membres de la Coalition. Associé au groupe dès la première réunion dans la maison d'Outremont de François Legault, en septembre, M. Dufour s'est retiré de la Coalition à la fin du mois de janvier, lorsqu'il est devenu clair que le chapitre sur la question nationale serait exclu du manifeste final.
«Je ne pouvais pas aller au front pour défendre une coalition qui n'a pas de boussole sur la question nationale; alors j'ai débarqué complètement», dit-il, ajoutant que l'objectif de départ était de développer «une sorte de guide» basé sur le concept «d'intérêt national». «À partir du moment où tu défends ce qui est bon pour le Québec, la seule nation francophone en Amérique du Nord, tu as des repères pour prendre position sur tous les sujets. Avec un tel chapitre, Charles Sirois aurait été en mesure de dire facilement que la commission pancanadienne des valeurs mobilières va à l'encontre des intérêts du Québec», dit M. Dufour.
Selon le politologue, Charles Sirois a pesé de tout son poids pour évacuer la question nationale du document. «Sirois n'a pas l'expérience politique qu'il faut et on l'a vu rapidement», laisse-t-il tomber.
Christian Dufour affirme également que l'une des raisons du désistement de Joseph Facal en novembre, alors qu'il collaborait avec la Coalition depuis septembre, est l'incapacité de dénicher un politicien fédéraliste connu et crédible pour porter la Coalition avec François Legault. «Deux ex-ministres du PQ, Facal et Legault, sans figure fédéraliste forte, ça n'allait rien donner, sauf nuire au PQ. Il a décroché», dit M. Dufour, qui ajoute que le chapitre sur la question nationale était important aux yeux de Joseph Facal. «Il y tenait, mais après son départ, Sirois a pris plus de place», dit-il. Le Devoir a tenté de joindre Joseph Facal, mais il n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue hier.
Legault parle de compromis
En entrevue avec Le Devoir hier, François Legault a reconnu à demi-mot que le volet sur la question nationale a disparu en cours de route pour garder certains signataires à bord. «Sur la question nationale, il y a peut-être eu des changements. Mais il y a un processus de compromis qui est demandé. D'ailleurs, je pense que ça fait l'originalité de notre coalition de dire qu'on a essayé de demander à tout le monde de faire des compromis, ne serait-ce que dans le choix des mots, pour être capable de rassembler le plus grand nombre de Québécois possible, pour être capable de faire avancer le Québec avec l'appui d'une majorité de Québécois», dit-il.
François Legault affirme que le Québec doit «mieux utiliser les pouvoirs qu'il a déjà», notamment dans les domaines «de la langue et de l'intégration des immigrants», avant d'en demander d'autres à Ottawa. «Il pourrait peut-être éventuellement y avoir des demandes. Mais pour l'instant, nous, on ne crée aucune attente pour le renouvellement du fédéralisme», dit-il.
M. Legault affirme toutefois que le concept «d'intérêt national» contenu dans le chapitre qui a disparu restera. «À chaque décision qu'on prend, on va tenir compte de l'intérêt national. Ce n'est pas juste les souverainistes qui doivent dire ça, c'est aussi des fédéralistes.» La Coalition n'a toutefois pas l'intention «de répondre à toutes les questions et de prendre des positions sur tous les dossiers» dans les prochaines semaines, a-t-il prévenu.
Christian Dufour convient que le concept d'intérêt national ressemble, sans le vouloir, au modèle du Bloc québécois, qui appuie ce qui est bon pour le Québec et rejette les projets d'Ottawa qui vont dans le sens contraire. «C'est vrai que ça y ressemble, même si c'est involontaire. Le Bloc ne peut pas faire la souveraineté ni renouveler le fédéralisme, alors il a développé des points de repère pour prendre position. C'est un peu la situation de la Coalition», dit-il.
En évacuant la question nationale et en refusant de pointer directement les problèmes, le manifeste a un «caractère artificiellement positif», affirme M. Dufour. «J'ai été attiré par le constat du déclin tranquille du Québec, que Legault voulait renverser. Mais le résultat final n'a ni l'audace ni le souffle nécessaire pour attirer l'imaginaire des gens», déplore-t-il, ajoutant que l'aspect sur l'identité québécoise — notamment l'augmentation des cours d'histoire et la révision du cours d'éthique et de culture religieuse — a été abandonné par la Coalition en cours de route. «C'est un volet important qui a été laissé en plan pour être plus consensuel, mais c'est une autre erreur», dit-il.
Le politologue n'est toutefois pas amer en ce qui concerne son expérience au sein de la Coalition. Il affirme «admirer le courage» de ceux qui se lancent pour tenter de changer le Québec. «François Legault ose faire le saut dans l'arène alors qu'il pourrait tout simplement rester chez lui à compter ses sous et à jouer au golf. Lancer un mouvement est difficile. Attirer des gens de talent en politique est très difficile et j'espère sincèrement qu'il pourra rectifier le tir.»


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