La prochaine campagne

Certes, M. Charest n'a de comptes à rendre qu'aux électeurs du Québec, mais M. Harper a toutes les raisons de croire qu'il s'est fait rouler.

Charest <i>le nationaliste</i> et le "fédéralisme de fermeture"...

Le premier ministre Charest ne peut pas dire qu'il n'avait pas été averti. Au printemps 2007, tout le monde lui avait dit qu'après avoir consacré à une baisse de l'impôt la totalité des 700 millions additionnels que le gouvernement Harper avait versés au Québec en vertu de la péréquation, il ne pourrait plus crier au déséquilibre fiscal.
Parce qu'il refusait de revenir sur la promesse inconsidérée qu'il avait faite 10 jours avant les élections, les partis d'opposition avaient menacé de renverser le gouvernement minoritaire élu à peine deux mois plus tôt. Au soulagement général, le PQ avait finalement cédé, mais le mal était fait. Certes, M. Charest n'a de comptes à rendre qu'aux électeurs du Québec, mais M. Harper a toutes les raisons de croire qu'il s'est fait rouler.
Dans son discours sur le budget du 24 mai 2007, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, avait pris le réputé économiste ontarien Tom Courchesne à témoin de l'à-propos de la baisse d'impôt annoncée: «C'est exactement le rôle de la péréquation de permettre aux provinces d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité comparables. (...) Puisqu'un niveau de fiscalité élevé est problématique sur la plan de la compétitivité interprovinciale, la décision du Québec (...) est ce qu'il fallait faire.»
D'un point de vue économique, cela est bien possible, mais ni M. Charest ni Mme Jérôme-Forget n'avaient invoqué la compétitivité interprovinciale quand ils réclamaient la correction du déséquilibre fiscal. C'étaient plutôt les hôpitaux et les universités du Québec qui criaient famine. À partir du moment où Québec a opté pour des baisses d'impôt, M. Harper a beau jeu de prétendre que le problème était réglé.
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Cela dit, Mme Jérôme-Forget a raison de dire que la ministre du Patrimoine, Josée Verner, est inconsciente de la situation financière du Québec quand elle lui suggère de compenser les coupes qu'Ottawa a décrétées dans les subventions à la culture. D'ailleurs, il y a bien des choses que Mme Verner ne semble pas comprendre.
Peu importe ce que le gouvernement Charest aurait pu faire avec les 700 millions, l'aide fédérale à culture aurait sans doute diminué. Les conservateurs y semblent aussi indifférents qu'à la protection de l'environnement. S'il avait prévu un tel tollé, M. Harper aurait cependant attendu après les élections.
À Québec, on ne s'imagine sûrement pas qu'il va changer d'avis d'ici le 14 octobre. Ni après, d'ailleurs. En revanche, même s'il baissait un peu le ton au cours des prochaines semaines afin de ne pas apporter trop d'eau au moulin du Bloc québécois, M. Charest a déjà passablement de matière pour étoffer le discours qu'il tiendra au cours de la prochaine campagne. Celle qu'il déclenchera lui-même quand il jugera que les «conditions gagnantes» sont réunies.
Ses arguments seront encore plus convaincants si les conservateurs arrivent à former un gouvernement majoritaire. Il pourra faire valoir que la présence d'un gouvernement fort à Ottawa exige que le Québec parle d'une voix aussi forte et que le PLQ est le seul en mesure de le faire. Depuis 20 ans, un gouvernement libéral n'a jamais été aussi bien placé pour se poser en défenseur des intérêts du Québec.
Dans la mesure où le PQ n'a pas renoncé formellement à la tenue d'un référendum, Pauline Marois fera face à un problème presque insoluble: comment plaider à la fois en faveur de la souveraineté et d'un renouvellement du fédéralisme, même sous le couvert d'une «gouvernance nationale»? Quant à Mario Dumont, il pourra difficilement s'accrocher au PC comme à une bouée de sauvetage tout en faisant campagne sur le dos du gouvernement Harper.
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Comme Le Devoir le rapporte aujourd'hui même, le président Sarkozy opposera une fin de non-recevoir au projet d'accord de libre-échange avec l'Union européenne, qui devait contribuer à la création du «nouvel espace de prospérité» que faisait miroiter M. Charest. Le revers est de taille pour le premier ministre, mais il pourrait néanmoins tirer avantage d'une campagne dont l'économie serait un enjeu fondamental.
Il a déjà donné le ton jeudi: «Je ne peux pas croire que Mario Dumont et Pauline Marois vont relancer le débat constitutionnel avec tout ce qui se passe actuellement en économie. C'est invraisemblable.»
Même si elle a occupé les postes de ministre des Finances et de présidente du Conseil du trésor, Mme Marois demeure identifiée avant tout à la «mission sociale» d'un gouvernement. Dans l'opinion publique, ses principales réalisations demeurent la création du réseau des centres de la petite enfance (CPE) et, avec des résultats plus mitigés, la réforme scolaire.
Monique Jérôme-Forget n'est pas particulièrement reconnue pour sa compassion, mais s'il s'agit de déterminer qui est le plus apte à maintenir les finances publiques à flot dans la tourmente, sa réputation de gestionnaire intraitable sera un atout pour le gouvernement. L'ADQ a trop bien démontré les conséquences de son inexpérience depuis un an et demi. La population jugera sans doute le moment mal choisi pour ajouter à l'incertitude.
Même si le dernier sondage Crop laissait entrevoir une majorité libérale, le premier ministre serait encore très hésitant à déclencher des élections cet automne, après la tenue du Sommet de la francophonie.
Il est vrai que la population semble apprécier l'expérience d'un gouvernement minoritaire, et les partis d'opposition ont pris bien soin de ne pas nuire exagérément au bon déroulement des travaux de l'Assemblée nationale. Précisément, si le PQ et l'ADQ se montrent si coopératifs, c'est qu'ils sont loin d'être prêts à des élections. Pour M. Charest, c'est sans doute la meilleure raison de les déclencher.


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