Le lieutenant-gouverneur d'une province ne sert à rien. Son rôle est purement protocolaire. C'est un personnage public qui coupe des rubans, qui sanctionne des lois et signe des décrets, au nom de vieilles traditions, et qui ne détient aucun pouvoir.
Un lieutenant-gouverneur, disons-le plus brutalement, est une relique institutionnelle, un bibelot, une potiche. Tout le monde le sait bien. À l'exception d'une seule personne, l'ex-lieutenant-gouverneur, Mme Lise Thibault, qui a manifestement cru à l'importance de la fonction qu'elle occupait.
Et ce terrible malentendu est certainement l'un des facteurs qui est à l'origine des abus dans l'utilisation des fonds publics commis par Mme Thibault, et que les deux vérificateurs généraux, celui de Québec et celui d'Ottawa, viennent de documenter dans le détail après avoir épluché ses factures.
Sur des subventions fédérales de 1,7 million en 10 ans reçues par l'ex-lieutenant-gouverneur, 700 000$ ne semblent pas être liés à sa fonction. C'est pas mal d'argent. Elle semble avoir considéré comme de la rémunération ce qui était des subventions pour ses activités professionnelles. Elle a également confondu, de façon systématique, sa vie publique et sa vie personnelle. Et c'est ainsi que les contribuables ont payé pour des fêtes de famille, des restos, des vacances de ski, des excursions de pêche ou des parties de golf.
Comment est-ce possible? Je crois qu'elle a cru au conte de fées. Dès sa nomination, elle a insisté pour se faire appeler "son excellence" au lieu de "son honneur", comme ses prédécesseurs et ses collègues des autres provinces. Ça en dit long! Sur papier, le lieutenant-gouverneur est le chef d'État du Québec, le représentant de la reine dans une monarchie constitutionnelle. Il semblerait que Mme Thibault en a déduit que sa fonction faisait d'elle en quelque sorte la monarque du Québec.
Il était donc normal qu'elle n'ait pas à rendre de comptes et que le bon peuple soit heureux de contribuer à son mode de vie. Et il était probable que ses bons sujets suivraient avec ravissement les moments forts de sa vie privée et publique, comme les Britanniques le font avec leur famille royale. Sauf que Lise Thibault n'est pas Lady Di.
Et qu'elle n'est même pas Adrienne Clarkson ou Michaëlle Jean. Déjà, la fonction de gouverneur général est contestée. Mais on peut argumenter que, dans un régime comme le nôtre, si l'on veut abolir cette fonction, notamment en raison de ses racines monarchiques, il faudra créer une fonction similaire de chef d'État sans pouvoirs. À moins de chambarder au complet notre système politique. La fonction est symbolique. Mais elle fait un contrepoids à un premier ministre tout-puissant.
C'est une valve de sécurité, théorique, lors d'une crise de gouvernement. C'est aussi une fonction qui incarne le faste de l'État; le gouverneur général est le chef des armées, il reçoit les dignitaires étrangers, il passe les troupes en revue, etc. Au fil des ans, c'est également devenu la bonne conscience de l'État; le gouverneur général rencontre des gens, se rend en régions éloignées, appuie de nobles causes.
Mais ce n'est plus le cas pour le lieutenant-gouverneur d'une province, un personnage mineur, qui n'est plus entouré de faste, qui ne joue même plus ce rôle officiel. Et qui n'a plus de fonction politique, même théorique. Imagine-t-on sérieusement que Mme Thibault ou son successeur aient pu essayer de résoudre une crise de gouvernement sans se faire envoyer paître?
Un lieutenant-gouverneur, si il ou elle a le moindrement de jugement, aurait donc intérêt à se faire discret. Et ce qui est fascinant, c'est que Mme Thibault a décidé de régner, comme si de rien était. Et qu'elle en a même oublié ses devoirs. L'ex-lieutenant-gouverneur ne pouvait pas ne pas savoir que l'utilisation des fonds publics est scrutée à la loupe. La dignité de sa fonction, à laquelle elle croyait, exigeait aussi qu'elle puisse donner l'exemple et qu'elle manifeste une probité à toute épreuve.
Le dérapage, au delà des délusions de grandeur de Mme Thibault, s'explique aussi parce que la fonction dépend de deux gouvernements, tant et si bien que le bureau du lieutenant-gouverneur a pu naviguer entre deux appareils bureaucratiques et échapper à toute surveillance.
Bref, les lieutenants-gouverneurs ne servent plus à rien. Faut-il donc abolir le poste? En principe oui. Mais la chose est tellement compliquée, puisqu'il faudrait jouer dans la Constitution, que la solution la plus simple, c'est de conserver le poste, mais de le rendre encore plus marginal, pour qu'il coûte le moins cher possible. C'est le sens de la nomination de M. Pierre Duchesne, qui va s'acquitter de sa fonction avec dignité, modestie et frugalité.
La potiche
Bref, les lieutenants-gouverneurs ne servent plus à rien. Faut-il donc abolir le poste ? En principe oui. Mais la chose est tellement compliquée (...)
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