Fondements d'une révolution toujours à faire

La montagne de nos aspirations démocratiques

Chronique d'Élie Presseault


Récemment, j'ai eu la chance de visiter l'Oratoire Saint-Joseph. Quelqu'un m'avait déjà dit que René Lévesque s'apparentait de quelque manière au frère André qui sera canonisé par Benoît XVI le 17 octobre prochain. D'ailleurs, il est dommage que l'autorité religieuse suprême du christianisme ne soit pas à la hauteur de l'hommage rendu. Je pris connaissance de l'anecdote du frère André qui avait heurté un monsieur alors qu'il était au volant d'une voiture. Il avait réussi à le soigner de façon miraculeuse et je compris de quoi mon interlocuteur en retournait.
Un Oratoire Saint-Joseph au-dessus des mêlées

Après avoir visité la chapelle du frère André quelque part derrière l'immense oratoire construit à son initiative, je pris la peine d'explorer le chemin plus loin encore. Avant de poursuivre, d'aucuns savent déjà que le frère André était analphabète et portier de métier au collège Notre-Dame placé devant l'actuel Oratoire. Il était donc plutôt exceptionnel en son époque que tant de monde des quatre coins de l'Amérique s'agglutinent face à lui. Ses dons de guérisseur firent école et le frère André acquit ses lettres de noblesse en de meilleurs cieux.
Pour sa part, René Lévesque, à défaut d'avoir guéri, était accouru parmi les masses. Nous ne pouvons certes pas dire qu'il a réuni l'unanimité autour de sa personne. Néanmoins, certains mythes persistent de même que plusieurs tentatives de déboulonnage de ceux-ci. Nous nous souvenons de ses inimitiés avec les deux Pierre, Bourgault et Elliott Trudeau. À l'image de Barack Obama aujourd'hui, René était presque condamné à décevoir. Avec son peuple, il a cheminé vers une certaine descente aux enfers.
Contexte d'une réforme parlementaire
La Révolution tranquille battant son plein, René Lévesque paraissait tel un boute-en-train, ce turbulent qui a réussi à rallier les Québécois-es autour d'objectifs rassembleurs tels la nationalisation d'Hydro-Québec. Ce qu'il joua comme tour à Jean Lesage, il se vit remettre la monnaie de sa pièce par Camille Laurin et sa loi 101. S'étant fait éclipser par la vague du « Vive le Québec libre », René naviguait contre vents et marées envers et contre un certain establishment dont il avait bravé les interdits et soupé les tactiques.

Depuis lors, nous assistons à un réalignement des forces politiques et du mouvement indépendantiste qui change d'orbite, diversifie peu à peu ses stratégies et prend conscience de ses assisses citoyennes nécessaires. Quiconque s'oppose à ce changement conjoncturel, qui voudrait garder une mainmise partisane et ne s'appuierait pas sur le mouvement naturel des troupes risque de faire cavalier seul. Une pluralité citoyenne agit dans le sens d'une concorde et d'une résistance nécessaires face aux forces du statut quo.
L'apanage d'une révolution à façonner
Certain-e-s parlent de poursuivre l'œuvre de la Révolution tranquille, d'autres persistent dans la terminologie référendaire et considèrent le cadre fédéral. Pour notre part, il nous faut constater l'impasse actuelle autour du cadre même des institutions politiques telles qu'édictées dans la légalité et distillées dans une légitimité qui affirme peu à peu son état de désuétude. Nous pouvons citer nommément l'État CanadiAn et ce qui tourne actuellement autour de son astre nébuleux.

Toutes critiques mises à part, la révolution d'une société se fait. De langue française, elle opine en majorité. Dans le pluralisme de la société québécoise, elle se conçoit à la conjonction de la société civile et de l'équilibre des forces du tissu social. Toute autre voie est nulle et non avenue. Il nous faut contribuer à ces efforts en toute conscience. En outre, nous avons déjà décrété la faiblesse opératoire du concept juridique des accommodements raisonnables. Comme ce concept s'est conçu en dehors de l'équilibre des forces en cours, il nous faut en proposer l'alternative.
Les zones d'ombre de la Révolution tranquille

Un certain bombardement nous prend parfois par surprise. L'âme québécoise a été coupée d'une partie de ses origines dans le clivage net d'avec le religieux. Cette réalité est préoccupante dans la mesure où le Québec d'aujourd'hui n'a pas encore concilié certains éléments contradictoires de son identité résultant de cette brusque rupture psychique avec son passé. Nous pouvons fort bien nous poser en dénégateurs de cette conscience. D'une part, nous avons vécu avec les bienfaits liés au fait de nous libérer d'une emprise. Toutefois, nous vivons avec le retour du pendule.

Depuis la Révolution tranquille, nous tenons à notre patrimoine ou disons le plus précisément, œuvre politique. Nous bradons la longue – ou courte – liste des acquis de cette même révolution qui n'en fut pas une en toute entièreté de cause. Comme dans tout effort de mythologie, nous donnons un certain côté ombrageux à ce qui fut honni et nous négligeons parfois d'entretenir un véritable débat sur ce qui se doit d'être remis en cause. Tant et aussi longtemps que nous n'aurons point opposé aux déclinologues de tout acabit une véritable solution de rechange, ce sera au plus fort la poche et tant pis pour ceux qui « frenchent » la langue.
L'étonnement d'une nation qui se réalise

Selon un point de vue d'ensemble, le fait français en Amérique risque d'être déterminant de la suite des choses et sera garant de la viabilité de la Francophonie aux quatre coins du monde, sinon sur les cinq continents. En attendant, nous sommes à la porte de la réalisation de notre destin sur le Mont Royal. Comme nous le savons déjà, Jean Charest s'est rendu fort impopulaire avec la politique de développement économique sauvage préconisée sur le Mont Orford.

Tant et aussi longtemps que nous serons les portiers de notre condition, nous serons aux prises avec un certain phénomène de lente dépossession tranquille. À trop vouloir une bonne entente, les environs du Mont Royal continueront à confirmer une enclave géopolitique déjà ancrée. Le multiculturalisme menace et sape nos valeurs collectives. Des pans entiers de notre mémoire collective et de notre patrimoine s'envolent en fumée. Pendant ce temps-là, le West-Island de Westmount est préservé.

Or, nous avons oublié une donnée essentielle de notre vitalité sur le continent. Des valeurs d'entraide nous unissent entre portiers d'une seule et même condition, la citoyenneté québécoise. Les communautés religieuses ont été pour beaucoup dans le secours des âmes. La religion catholique transcendait les questions de langue et de culture, sauf dans la mesure où un peuple adverse voulait asseoir sa domination sur notre contrée. En relisant les chroniques d'Henri Bourassa, nous réalisons à quel point l'empire anglo-saxon a voulu vassaliser, consacrer la sujétion des Canadiens français.
Une clé américaine d'âme française : le conservatisme

Conséquence directe de notre isolement sur le continent américain et d'une certaine donne anglo-saxonne, nous avons développé une certaine trame. Forts d'un certain conservatisme, nous avons survécu aux invasions, aux longs exils et veillé à la préservation d'un patrimoine linguistique et religieux. Dans la mesure où notre situation l'exigeait, nous avons présidé avec courage et détermination à certaines réformes nécessaires. Nous avons survécu à une déportation, une conquête et de nombreux exils.

Forts de nombreuses morts, nous avons réalisé avec une certaine âme de missionnaires la nécessité d'une foi en l'Amérique française. Au cours du temps, cette foi s'est transmuée en un ensemble de valeurs caractérisant l'âme canadienne française. Ce serait trahir nos valeurs que d'exprimer une indifférence envers les semblables de notre condition. Émilie Tavernier Gamelin peu en témoigner à titre d'exemple au métro Berri-UQAM. D'ailleurs l'Asile de la Providence fut démoli pour laisser place au métro.
Une mission oubliée face à un péril

Aux lendemains qui déchantent suite aux Rébellions des Patriotes, les Sœurs de la Providence se sont dévouées cœur et âme face aux personnes dans la misère. Nous ne pouvons dire que la situation n'a guère changé aujourd'hui : le coin accueille de nombreuses personnes dans le besoin. En prime, nous avons rasé des bâtiments d'une valeur patrimoniale dans une indifférence généralisée. Nous n'avons point acquis le niveau de volonté politique nécessaire pour remédier à ces problématiques récurrentes.

À l'aube d'une révolution prochaine, nous devons réaliser la synthèse de ce que nous avons gommé de notre mémoire collective. Bien sûr, nous devons nous occuper de la santé de notre éducation. Toutefois, ce ne serait pas trop demander que de faire l'examen complet de ce qui ne va pas, à commencer par ces dénominations de rues qui ne s'embarrassent point d'usage de l'anglais. Pour le moment, nous pouvons toujours visiter « The Boulevard » à Westmount dans l'autobus 66. L'ironie veut que le terminus se trouve au métro Guy Concordia, là où André Boisclair donne ses cours.
Auteur : Elie Presseault


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