La ligne rouge

17. Actualité archives 2007


L’ombrelle est refermée. Il n’y a plus de soleil mais il pleut comme en été. Nous aurons droit, dans les prochains jours, à des caricatures montrant le père Noël portant des pattes palmées et remplaçant ses rennes par des marsouins. Son château de glace fond au Pôle Nord. S’il neige, ce sera de justesse la veille de Noël.
Interrogé par les journalistes, Boisclair s’accordait un B+ pour noter sa première saison comme chef de l’opposition. Le problème des chefs souverainistes, c’est qu’ils se retrouvent au cœur des mêmes expériences de terrain que leurs prédécesseurs.
Comme indépendantistes, nous faisons figure d’éternels mécontents qui condamnent le système au nom d’un avenir improbable. Nous nous faisons accuser de représenter un pays abstrait, irréel.
Pourquoi quelque chose doit finir et pourquoi quelque chose doit commencer? Qu’est-ce qui doit commencer au juste? Qu’est-ce qu’on laissera commencer si jamais quelque chose commence et qu’est-ce qui n’est pas déjà là?
Trouver le manque, réclament souvent les fédéralistes. Le Canada univers, on est bien dedans. Il meuble tout autour avec ses catégories, ses pratiques, ses citoyens qui se font entendre. Et puisqu’ils se font entendre, tout va bien.
Bien des indépendantistes s’interrogent sur l’enfermement de leur champ d’action. Le regard que porte la représentation québécoise ne serait qu’un regard intérieur tourné vers où en fait? Vers ce qui la contient surtout. Il y aurait donc nécessité de créer des organes indépendantistes axés sur la construction de la réalité québécoise plutôt que de se cantonner dans le retour critique sur la fédération canadienne.
Le pouvoir d’agir est un thème moteur après trente ans de progression de la cause que plusieurs jugent en escargot. Un tribun souverainiste serait comme quelqu’un qui reste sous l’eau. Il ne veut pas d’atmosphère. Il préfère rester sous l’eau plutôt que de se créer une ouverture.
Pour différentes raisons, partisans comme adversaires, s’accusent de ne pas avoir un plan d’action. À cet égard, un politicien souverainiste reçoit parfois autant le blâme de la part de ses partisans que de ses adversaires. Assez de discours! lit-on très souvent. Tout un texte suit à propos de la surproduction de la chose écrite, ce qui est en soi assez drôle.
C’en est assez du dépit, lit-on encore autant du côté des fédéralistes que de certains indépendantistes. Assez du dépit, dira le fédéraliste parce que l’important n’est pas de se plaindre mais de participer. Assez du dépit, diront certains penseurs indépendantistes parce que le but n’est pas de chialer sur la façon que le Fédéral assume ses responsabilités mais bien de lui retirer le pouvoir qu’il s’est octroyé sur le Québec.
En fin de session, les fédéralistes accusèrent André Boisclair de n’être bon qu’à faire la souveraineté. Et des militants l’accusèrent de n’entendre rien au véritable pouvoir d’agir. Boisclair est un homme talentueux et brillant. Au-delà des querelles, il faut admettre d’ailleurs que tous ses prédécesseurs furent tous d’intelligents hommes publics. Mais si le lien social existant dicte que l’on soit entre l’arbre et l’écorce, si doués qu’ils soient tous, ils ne se font entendre que sous la forme permise. C’est le moule qu’il faut briser, la position dans l’espace reconnue qu’il faut briser.
La question de redonner confiance au politique est mondiale. Mais au Québec, le seul fait que les représentants soient dans une vaste mise en scène provinciale qui obtient la sanction royale exacerbe la situation. Pour redonner confiance, il faut que la nation québécoise soit acceptée comme le fondement du rapport social. Si cette nation ne peut pas avoir une efficacité, un sens, la démoralisation ne peut qu’empirer.
Très souvent, on reproche aux députés souverainistes d’être trop imbriqués dans le fonctionnement du système fédéral pour vraiment le poser à distance, permettre aux gens de le penser. Il faudrait agir au-delà de la représentation habituelle. Les souverainistes agissant au sein du système fédéral ne feraient que bonifier son apparence au lieu de mettre à nu l’état de la nation québécoise annexée.
La sujétion serait-elle plus à découvert si le Bloc n’était pas à Ottawa? Partons d’un fait concret et récent, celui de la réforme proposée par Harper sur la réforme du Sénat. À une question sur la réforme du Sénat, Harper eut ces mots, le 14 décembre, qui nous aident à sonder l’âme canadienne : « À titre de Canadien de l’Ouest, la question du Sénat m’obsède. Je maudis le Sénat à chaque matin. » Le premier ministre venait pourtant de déclarer que « le Sénat vient de terminer sa session et quatre nouveaux projets de loi recevront sous peu la sanction royale… »
Donc le premier ministre Harper est à la fois satisfait par les institutions canadiennes et rempli de malédictions à l’endroit du Sénat. Ce qui donne toute la mesure de l’horizon mental qui sépare la nation canadienne de la nation québécoise. Un penseur politique québécois peut passer sa vie sans penser plus au Sénat qu’il ne pensera à la myxomatose, maladie virale atteignant les lagomorphes. Un penseur politique canadien toutefois jugera la question du Sénat importante car tout le monde au Canada reconnaît l’existence de cette institution alors que le Québec y tient plus de la fable.
Considérons le même contexte en partant du principe que le Bloc est disparu. Imaginons Harper armé d’une députation québécoise plus vaste. Comme premier ministre, il mandate deux ou trois nouvelles figures de proue québécoises pour se dire tout aussi obsédées que l’homme de l’Ouest à propos du Sénat. Par leur seule présence, elles donneront une dimension québécoise à l’affaire du Sénat, pas tant avec des concepts, pas tant avec des faits d’information, mais avec le langage de l’image pris comme un tout. Le seul fait de montrer un québécois, son accent, son style propre qui est aussi celui auquel s’identifient ses compatriotes, aura une portée sur l’opinion publique québécoise. Une figure de proue québécoise partageant les préoccupations de tous les Canadiens, c’est ce que le téléspectateur se fera raconter chaque soir au téléjournal.
Agir, c’est s’exposer et celui qui fait penser, celui qui instruit sur les conséquences de sa pensée, c’est celui qui occupe les lieux d’exposition. Si Dion ou Harper peut exposer une large représentation québécoise, on ne retrouvera pas, avec sur le devant de la scène, notre situation de nation annexée. On verra des jeux, des situations, des personnages québécois qui identifient la représentation québécoise à un autre langage, le langage fédéraliste.
On peut toujours rêver à propos de notre « pouvoir d’agir » investi dans des organes nouvellement créés où il ne soit pas confiné à la sphère de représentation allouée par le fédéralisme. Mais il n’y a pas de monde d’à côté produit dans de nouveaux réseaux communicants, une coalition qui créerait son propre espace sans avoir à exercer un retour critique sur l’action du Fédéral. Délesté de la présence souverainiste, le devant de la scène serait juste occupé par le bavardage prétentieux d’une représentation québécoise fédéraliste.
Comment peut-on croire que si le parlement fédéral est occupé par des parlementaires uniquement fédéralistes les Québécois pourront mieux voir en gros, en simple, la situation fâcheuse qui est la leur? Si le Bloc n’est plus à Ottawa, ce n’est pas ce qui est étouffant et menteur dans ce système qui ressortira. Le nationalisme québécois restera présent mais comme un rôle confisqué. Des députés fédéralistes des comtés québécois tiendront le rôle des intercesseurs québécois. Ils seront les rectificateurs, ceux qui rappellent que la cause fédéraliste est une cause bien québécoise.
Du seul fait qu’il y ait des caméras à Ottawa, il est transmis que la représentation québécoise siège bien à Ottawa et qu’elle y travaille. Il n’est pas dit par l’image que la représentation québécoise est sous l’eau, soumise à des règles qui sont issues d’une autre nation. Si les caméras de télévision suivent un député fédéraliste québécois qui visite un groupe d’alphabétisation ou un collectif en faveur du logement social dans des quartiers en difficulté, tout ce que l’image dépiste c’est un individu qui sympathise avec le peuple. Le téléspectateur louera le député fédéraliste de persévérer ainsi dans son rôle de représentant du peuple.

Le Bloc Québécois disparu, la représentation québécoise serait actualisée par des fédéralistes à Ottawa, point à la ligne. La représentation québécoise ne se révélerait pas tout à coup comme un camouflage officiel parce qu’un nouveau sujet, une grande coalition campée sans ambivalence sur une base souverainiste se dresserait face à elle. Les grandes décisions resteront tributaires de la mise en scène officielle. On se dira que les vraie affaires, les vraies lois se votent dans les enceintes officielles.
André Savard


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