«Nous parlons ici du projet d'une «fresque des capitales BMO» qui serait appliquée sur un mur aveugle de l'édifice Marie-Guyart.» (Photothèque Le Soleil)
Comment croire que quelqu'un ait pu imaginer la transformation aussi radicale d'une partie d'un édifice témoin de la vitalité de l'architecture moderne des années 1960 en le ridiculisant de la sorte? Nous parlons ici du projet d'une «fresque des capitales BMO» qui serait appliquée sur un mur aveugle de l'édifice Marie-Guyart.
Qui donc s'est arrogé le pouvoir de briser le rythme d'une architecture volontariste et de coller sur ce mur une telle monstruosité «historico-pastiche-néoriendutout»? On n'a même pas pensé à en informer au préalable les architectes concepteurs de cet ensemble architectural. C'est une suprême goujaterie qui s'ajoute à l'ignominie du geste.
Le Devoir du 15 septembre donne à voir une illustration du projet. Elle interpellera les contribuables qui auront à payer la facture de cette inutile peinture. On doit s'interroger sur les critères utilisés par la Commission de la Capitale nationale qui a autorisé ce hiatus monumental.
Et l'éthique dans tout cela?
Pourtant, au-delà de ce gigantesque affichage de près de 500 mètres carrés, il y a un détournement de valeur par un manquement à l'éthique. On ne peut pas modifier quoi que ce soit à une «architecture d'auteur», c'est-à-dire à la pensée originale des concepteurs. Une œuvre architecturale ne peut pas être transformée à moins d'avoir reçu l'aval de son ou de ses auteurs qui en ont tracé les lignes de force, articulé les flux de circulation, régulé les espaces, élaboré les masses, planifié les rapports entre les volumes, créé les espaces libres, ouverts ou fermés, et enfin dessiné les façades émergeant d'un concept technique déterminé ici en béton armé.
C'est dans ces stratégies complexes que les architectes Gauthier, Guité et Roy ont conçu les bâtiments qui forment un ensemble architectural cohérent, admiré et aussi discuté. Cet édifice envoyait un message fort, le symbole de la puissance de l'État et de la fonction publique à l'ère de la modernité. Dans le contexte du respect du patrimoine moderne du Québec, nous nous élevons contre le projet d'une fresque malvenue, non souhaitée et située au mauvais endroit.
Qui décide quoi dans cette capitale?
Enfin, il est une question dont il faudrait avoir la réponse. Qui décide quoi dans cette capitale? qui décide de la démolition du patrimoine? qui décide des éclairages superflus soit-disant décoratifs? qui décide du thème d'une fresque et du lieu de son installation? qui donc? Devant de nombreux ministères, commissions en tous genres, services municipaux et supra-municipaux, les citoyens-contribuables aimeraient savoir qui est le responsable des désordres urbains dans notre ville!
Quand donc les citoyens seront-ils avisés assez tôt, dès l'idée d'un projet et de sa teneur, pour qu'ils aient le temps de s'enquérir de son bien-fondé, de ses impacts et de son coût? L'affaire de la fresque BMO, après l'annonce de la démolition de la chapelle des sœurs Franciscaines de Marie, de l'église Saint-Vincent-de-Paul déjà au bord de l'abîme, de l'abandon de l'église Saint-Cœur-de-Marie, de la propriété des sœurs du Bon-Pasteur, de la démolition programmée du monastère des Dominicains et de l'insoutenable profanation appréhendée de l'arrondissement historique de Sillery, soulève bien des questions qu'il serait utile d'élucider.
La Ville n'est pas une simple PME : elle est un ensemble social, culturel, où les symboles s'imposent par l'histoire et de plus en plus par le regard des citoyens qui veulent des repères sûrs et des balises identitaires qui reflètent ce qu'ils sont! La fresque détruit plus qu'elle n'instruit. Le volume monolithique sur lequel elle sera peinte modifiera, avec ses faux caissons, ses faux pilastres, ses faux balcons à colonnes, l'architecture sereine d'un mur calme, par une peinture à numéros et en trompe-l'œil. Qui trompe-t-on vraiment?
***
Marcel Junius*
Ancien président de la Commission des biens culturels
*Architecte et urbaniste émérite, ancien professeur d'histoire de l'architecture à l'École d'architecture de l'Université Laval, l'auteur est appuyé par les architectes Gilles Tremblay et Bruno Parent, professeurs à l'École d'architecture de l'Université Laval, et la Coalition Héritage Québec.
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