Veut-on en finir avec le patrimoine de Québec?

En rejetant le principe de la continuité urbaine et en privilégiant ce qui est fulgurant, éclatant, étonnant, bruyant, l'autorité invite à la rupture

Patrimoine de Québec



Dans l'édition du 10 juillet, Antoine Robitaille a fait frémir les lecteurs du Devoir en décrivant le couloir de la mort du patrimoine de Québec («Édifices anciens dans le couloir de la mort»). Une marche funèbre. Le 17 juillet, Christian Rioux livrait un constat d'une étonnante acuité sur la métamorphose de la capitale, autrefois élégante, en un Disneyland bien ordinaire («Disneyland»).
Ces observations montrent la dégradation, petit à petit, d'un ensemble urbain qui fut d'une grande qualité. En rejetant le principe de la continuité urbaine et en privilégiant ce qui est fulgurant, éclatant, étonnant, bruyant, l'autorité invite à la rupture, oubliant ainsi les transitions des porteurs de messages d'histoire, d'art de faire et de vivre.
C'est devant ce positionnement que, depuis quelques années, des groupes se forment et que d'autres se font plus actifs pour dénoncer des situations, réclamer des moratoires tant sur la démolition d'édifices que l'abattage d'arbres. Ces regroupements demandent aussi des audiences publiques sur les atteintes qui sont faites à la qualité de vie des quartiers. Plus encore, ils ne cessent de proposer des solutions, des possibilités, d'autres avenues.
Ainsi en est-il pour le couvent des Soeurs franciscaines, sur la Grande Allée, déjà mis à mal en 2007 par le saccage de la chapelle, démolie par le dedans, tel un cancer, puis disséquée et vidée de son contenu. Îuvre de l'architecte Eugène-Étienne Taché, dont on vante encore les mérites des compositions, que ce soit celle du Manège militaire ou celle du Parlement, sa chapelle ne sera bientôt plus qu'un souvenir. Lorsque le dôme qui la surplombe tombera, nous nous punirons nous-mêmes. Nous perdrons une autre marque d'un paysage urbain formé par la ligne de faîte de la toiture de la chapelle, conduisant notre regard jusqu'à l'aboutissement artistique du dôme, témoin d'un savoir-faire inégalé.
Cette image convenait si bien à notre ville. Tout cet acquis de l'art religieux sera à jamais perdu. L'actuelle locataire du ministère de la Culture verra bientôt sous ses yeux, à un jet de pierre de ses fenêtres, la démolition programmée de la chapelle et du dôme, malgré les protestations et les idées visant à sa conservation.
Appel à la conscience
À l'heure où sonnera le glas de ce dôme triomphant, nous nous souviendrons aussi que la chapelle du Bon-Pasteur, fermée depuis 14 mois, n'est plus qu'une façade pour cause de quelques dollars en taxes impayées à la Ville. On n'y entend plus de concerts, ni de musique de chambre, ni de chants. Le sens du patrimoine est ici défaillant, et il est aussi amoché par la présence de la fresque BMO, défigurant une oeuvre d'architecture moderne des années 60, l'édifice G, jusqu'à ce jour resté intact.
Décidément, on ne respecte plus rien. Pas très loin de là, l'église Saint-Vincent-de-Paul, démolie sans permis du ministère de la Culture, laisse voir les affres d'une mésentente sur la valeur de ce patrimoine religieux entre la Ville et l'État. La façade sauvée, mais amputée de son clocher, attend d'être désaxée, démontée et rebâtie dans une autre forme que l'originale, laissant de côté le prestige que lui attribuait la ministre de la Culture. La conservation des monuments est une discipline rigoureuse, que l'on se plaît ici à ridiculiser par un projet qui ne respecte même plus la relique sauvée in extremis. Le patrimoine immobilier n'est pas un jeu, ni un cirque, ni un gag. C'est un héritage identitaire. Il nous invite à un devoir de mémoire, mais nous le démolissons avec acharnement ou nous le laissons dépérir.
Des idées, il y en a...
Prenons garde! Demain, on nous avertira des opérations d'arasement du monastère des Dominicains. Voici l'occasion pour l'autorité ministérielle de se démarquer et de rappeler tout le monde à l'ordre, car il est encore temps d'éviter la démolition et de conserver un témoin de ce que fut la vie monastique. L'architecture homogène du monastère s'accorde bien avec l'église Saint-Dominique et le quartier Montcalm. Démolir cet ensemble est inutile. Il y a d'autres espaces sur le site du Musée, propriété du Québec, pour recevoir le nouveau pavillon dans une architecture contemporaine de très haute qualité, sans démolition préalable.
Ne serait-il pas prudent qu'une consultation publique donne l'occasion aux citoyens de faire l'examen critique de la situation et de proposer des idées, car il y en a, tant pour la construction nouvelle que pour rendre au monastère son esthétique flamboyante, perdue dans l'incendie de 1939, alors qu'il était une autre perle de la Grande Allée. Il pourrait le devenir à nouveau, et cette renaissance spectaculaire serait un prélude à la reconstitution d'une toiture aussi distinguée que celle du Manège militaire. La Grande Allée y gagnerait beaucoup.
Notre signature urbaine est en danger!
Ces démolitions signifient des pertes importantes au crédit touristique de notre ville. Depuis des générations, Québec a fait son pain et son beurre avec ses ressources qui sont: une histoire fabuleuse, un site exemplaire, un tissu urbain émaillé de perles et de joyaux d'architecture civile, religieuse et militaire. Le visiteur vient goûter ici un art de vivre que l'on nous jalouse. Cela vaut beaucoup en termes économiques. Pourquoi faut-il réduire en cendres le cloître, le monastère, le dôme, les églises, les clochers, qui sont des repères et des symboles de continuité et d'appartenance? Ils constituent l'essentiel de l'élégance urbaine qui était la signature de Québec.
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Marcel Junius, Architecte et urbaniste, Ancien président de la Commission des biens culturels du Québec


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