Édifices anciens dans le couloir de la mort

Il est certain qu'un bâtiment remarquable remplacera le monastère des Dominicains. À Québec, il est temps selon lui de créer le «patrimoine de l'avenir».

Le temps des Béotiens...

Avec les démolitions d'édifices anciens qui se multiplient à Québec, ville prospère, la conservation du patrimoine pourrait devenir un des enjeux clés de la campagne électorale municipale dans la capitale. Le maire, Régis Labeaume, qui n'a pour l'instant aucun adversaire, admet être très agacé par «ceux qui veulent tout conserver, mais qui n'ont aucune idée de ce qu'ils veulent faire avec ce qui serait conservé».
Québec -- L'artère emblématique de Québec, la Grande Allée, sera le théâtre des plus importantes démolitions à survenir depuis les décennies 1960 et 1970. À l'époque, les maisons victoriennes à côté du parlement ont été rasées et on a assisté à l'érection d'édifices modernes mal aimés tels le Complexe H et le Concorde.
Aujourd'hui, ce sont deux édifices anciens et religieux qui attendent dans le couloir de la mort: la chapelle des Franciscaines (388, Grande Allée) et le monastère des Dominicains (175, Grande Allée). Avant-hier, dans un geste désespéré, la Fondation Héritage Canada (FHC) inscrivait la chapelle, construite en 1896, à son palmarès des dix sites les plus menacés à l'échelle pancanadienne. La FHC y voit «le plus bel exemple de décor néo-baroque» du Québec que «seul un miracle peut sauver».
Mais le sort en est jeté: la chapelle tombera sous le pic des démolisseurs dès cet été, après les vacances de la construction et après qu'il aura été désamianté. Le permis de démolition a été délivré en 2008.
La congrégation religieuse a vendu la chapelle et un bâtiment attenant à la Société municipale d'habitation Champlain (SOMHAC) dans les années 1980, créant la Résidence Grande Allée. Des personnes âgées en perte d'autonomie y logeaient. Le bâtiment a été négligé. En 2003, il a été vendu à des intérêts privés. Dans un avis, la Régie du logement autorisa la vente en notant que «le droit au maintien [des locataires] dans les lieux est protégé». On notait aussi que l'acquéreur avait promis de procéder «à la réparation des fenêtres [...] et à l'entretien de cette chapelle qui ferait partie du patrimoine historique de la ville de Québec». Mais trois ans plus tard, les propriétaires, dont le pharmacien Michel Cadrin, expédiaient des avis d'éviction aux locataires. La Régie du logement fut saisie de l'affaire et se prononça en 2007. Elle autorisa les dernières expulsions et par conséquent la démolition en raison de la «vétusté» des édifices. La Régie soulignait que le projet du «locateur» visait à desservir «le même type de clientèle», soit les «personnes retraitées autonomes ou en légère perte d'autonomie». Mais en 2009, à la fin de l'été, ce sont 240 condominiums, construits en deux phases, qui seront mis en vente. Le projet de la firme Ogesco, baptisé L'Étoile, ne comptera aucun logement locatif et ne s'adressera pas à la clientèle mentionnée par la Régie, a confirmé hier Gratien Dubé, courtier immobilier et porte-parole de la firme Ogesco.
Les quelques manifestations pour la préservation de cet édifice -- que la ministre de la Culture Christine St-Pierre et son ministère ne considèrent pas comme «patrimonial» -- ont toutefois eu un effet sur le promoteur, qui a décidé de conserver la façade de la chapelle, ses trois clochers, et de l'intégrer à son ensemble architectural. Les matériaux du nouvel édifice de neuf étages (moins élevé que ses voisins) évoqueront aussi l'ancien édifice, notamment son toit argenté.
La présidente du Conseil des monuments et sites, Louise Mercier, juge la disparition de la chapelle «extrêmement déplorable». Le conseil déplore particulièrement le sort réservé à l'intérieur, dont les ornements ont été abandonnés et démantelés ces trois dernières années. C'était là, au sens du Conseil (et au sens d'un site Internet: voir eglisesdequebec.org), des éléments de valeur patrimoniale. Ils ont été cédés par le propriétaire à un artiste, Jean-Marc Mathieu-Lajoie, qui s'en est servi pour faire une «installation» baptisée par lui La Chute des anges. M. Mathieu-Lajoie a aussi acquis la coupole coiffant la nef et projette d'en tirer une autre oeuvre.
Raser un monastère pour agrandir le musée
Quant au monastère des Dominicains, adjacent à l'église Saint-Dominique, de style gothique anglais, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) l'a acquis grâce à l'aide d'un mécène, le milliardaire Pierre Lassonde, et propose de le démolir pour le remplacer par un édifice spectaculaire qui jouxtera l'église. L'ancien directeur général du MNBAQ John Porter pilote ce projet, pour lequel un concours d'architecture international a été lancé. Le ministère de la Culture et le service d'urbanisme de la Ville ont conclu que l'édifice n'était pas patrimonial, surtout la partie abîmée par un incendie. Le MBNA conservera la partie du presbytère qui est d'origine.
Le maire Régis Labeaume ne s'oppose pas aux deux démolitions. Il soutient que tout le monde est d'accord, «sauf Anne Guérette et son petit groupe». Architecte de formation et fondatrice d'Héritage Québec, Mme Guérette a été élue conseillère municipale indépendante dans Montcalm en décembre 2007. Dans une lettre envoyée en janvier 2008, la fondatrice du Centre canadien d'architecture, Phyllis Lambert, a fait savoir qu'elle l'appuyait dans son combat contre la démolition du monastère. Mme Guérette a aussi organisé des manifestations contre la démolition de la chapelle des Franciscaines.
«Le problème à Québec, c'est que tout est patrimonial selon certains. Ça commence à être ridicule, et plusieurs experts en patrimoine le pensent», répond le maire Labeaume, joint par Le Devoir. Il ne se dit pas «moins attaché» au patrimoine que les autres maires avant lui.
Suffit de prononcer le nom d'Anne Guérette pour le faire sortir de ses gonds. «Mme Guérette fait de la politique avec son groupe. Son groupe est honnête. Mais elle, c'est une politicienne», lance-t-il. Récemment, cette dernière a proposé de faire une «Grande Allée muséale», c'est-à-dire d'agrandir le MNBAQ sur plusieurs sites, en convertissant plusieurs anciens édifices religieux de la Grande Allée (dont celui des Franciscaines) en «pavillons». L'idée met M. Labeaume en colère: «Au Québec, quand tu ne sais pas quoi dire, tu proposes un centre d'interprétation ou un musée. Ça fait 20 ans que j'entends ça. Il n'y a rien de plus éculé que cette vision-là.» Il poursuit: «Ça n'a pas une crisse de cenne et ça ne sait pas où en trouver non plus», peste-t-il. Selon lui, ces «intégristes» de la protection du patrimoine sont «toujours en train de demander au gouvernement et à la Ville de mettre de l'argent [dans ce domaine], mais ils ne sont pas capables d'aller voir des gens du privé, des mécènes». Il est certain qu'un bâtiment remarquable remplacera le monastère des Dominicains. À Québec, il est temps selon lui de créer le «patrimoine de l'avenir».


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