La fiction fédérale canadienne

Voilà l'idée dépassée !

Chronique de Gilbert Paquette

Texte publié dans le Devoir du mercredi 26 mai 2010
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Le récent sondage CROP commandité par un nouveau « think tank » fédéraliste québécois, semble avoir réjoui les partisans de la dépendance du Québec à l’égard du Canada. Plusieurs interventions convergent pour accréditer l’idée que la souveraineté serait dépassée aux yeux de 58% des québécois. Or ces chiffres sont étonnants quand on les compare à certaines données du même sondage qui montrent que seulement 26% croient que « depuis 30 ans, la plupart des différends se sont réglés à la satisfaction des deux parties ».
Une baisse de l’espoir?
La question du sondage se lit comme suit : croyez-vous que « le débat sur la souveraineté du Québec est dépassé »? On demande aux citoyens de se prononcer sur « le débat » et non sur le projet souverainiste lui-même. La différence entre les deux est de taille, pourtant allègrement ignorée par [plusieurs commentateurs dont l’ex-adéquiste Sébastien Proulx->28094], l’un des commanditaires du sondage. Celui-ci affirme dans La Presse du 21 mai que « la souveraineté est un projet dépassé pour plus de 58% des répondants ». On a pourtant mesuré dans d’autres sondages la lassitude de la population face à un débat qui dure depuis trop longtemps sans qu’on en arrive à une solution. Ce groupe de 58% comprend sans doute des opposants à la souveraineté, mais aussi des souverainistes ou des nationalistes déçus ou fatigués, en panne d’espoir, et peut-être même des indépendantistes pressés qui veulent parler d’indépendance et surtout la réaliser plutôt que de « débattre de la souveraineté ».
Par ailleurs, la méthodologie du sondage n’est pas très classique (voir le document de CROP sur le site [www.ideefederale.ca->www.ideefederale.ca]). CROP a tenu à souligner les sur-représentations (en gras dans la publication) de sous-groupes de répondants pour certaines questions. Pour celle du « débat dépassé », l’appui de ceux qui voteraient NON à un autre référendum est de 92%. En partageant les oui/non moitié-moitié comme en 1995, on en conclut que 22% des électeurs OUI trouveraient « le débat dépassé ». Et « pourquoi le trouvent-ils dépassé »? En fait, ce résultat est à comparer avec d’autres sondages, notamment celui révélé au colloque IPSO de l’an dernier par Jacques Parizeau montrant que 49,7% appuieraient toujours la question de 1995 et même la question plus directe « souhaitez-vous que le Québec devienne un pays indépendant », en même temps qu’une minorité pensaient qu’elle se réalisera dans un proche avenir Peut-être l’appui à l’indépendance est-il plus faible de quelques points qu’il y a un an, mais la vraie conclusion qu’il faut tirer du sondage CROP n’est pas une baisse de l’appui au projet souverainiste, mais une baisse de l’espoir qu’elle se réalise.
Fédéralisme ou association d’États souverains?
Une autre question fait saliver les commentateurs fédéralistes. C’est celle où 51% des répondants affirment que « depuis 30 ans, les nations ont tendance à se regrouper afin de mieux affronter les défis de la mondialisation », contre 25% qui pensent que la tendance est à l’indépendance des nations. Ces chiffres amènent Sébastien Proulx à écrire : « vouloir se refermer à l'intérieur de ses frontières toutes québécoises relève du non-sens en 2010.” Cet énoncé nous rappelle les discours de 1980, ceux du référendum, mais aussi ceux du célèbre roman de Georges Orwell où le discours officiel inversait le sens des mots.
En fait, depuis 30 ans, on a assisté dans le vaste monde à la dislocation de la plupart des fédérations, sans compter ce qui se passe actuellement en Belgique et en Espagne, et on n’a assisté à la création d’aucune nouvelle fédération. Pendant ce temps, les Nations Unies se sont accrues de 51 à 192 pays, dont près d’une quarantaine de nouveaux pays au cours des 30 dernières années.
La question du sondage concoctée par « l’idée fédérale » est fortement biaisée, car pour ma part, je répondrais oui aux deux volets de la question. On peut être pour l’indépendance et pour le regroupement des pays, mais pas sous la forme d’une fédération où une nation est dominée par une autre comme au Canada. Il ne se fait plus de nouvelles fédérations multinationales, une idée dépassée depuis longtemps, mais il est exact que les États s’associent de plus en plus sur la base de leur souveraineté. La raison principale est que chaque nation, particulièrement les nations minoritaires ou annexées, veulent avoir accès directement aux organisations internationales, et non pas via un État fédéral qui ne représente pas leurs valeurs et leurs intérêts. La récente conférence de Copenhague sur le climat en est un bon exemple. Pour tirer leur épingle du jeu dans la mouvance de la mondialisation, les nations ont besoin des deux : indépendance et participation à des regroupement d’États.
La fiction fédérale du Canada
Mais il y a pire! [Nous avons démontré lors d’un récent colloque->rub1065], que le régime canadien n’est pas une vraie fédération. Les constitutionnalistes utilisent parfois le terme de “quasi-fédération”, parce que le gouvernement fédéral détient le pouvoir constitutionnel et le pouvoir financier nécessaires pour désavouer les décisions démocratiques du peuple québécois dans tous les domaines, y compris dans ceux reconnus par la constitution aux provinces.
Autrement dit, le « statu quo » est une fiction car le régime canadien n’est pas stable. Il ne peut que se centraliser davantage à Ottawa, minorisant de plus en plus le Québec, le soumettant au pouvoir fédéral dans des domaines aussi vitaux que la langue et l’environnement. Par ailleurs, dans le sondage IPSO-Bloc, le fédéralisme renouvelé est rejeté par les trois-quarts des canadiens des autres provinces qui se refusent à tout transfert de compétences au Québec et même à reconnaître le Québec comme une nation.
Dans un tel contexte, prétendre que l’indépendance du Québec est une idée dépassée et faire la propagande (contre) cette idée témoigne d’un aveuglement ou d’un manque de solidarité nationale désolant, pour ne pas dire plus !

Squared

Gilbert Paquette68 articles

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Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).





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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mai 2010

    @NT que je crois connaître vraiment.
    25 mai 2010 Bruno Deshaies
    Il ne faut pas répéter l’erreur de Pierre Bourgault. Supposons que je dise les choses comme ça, tout simplement, sans mesquinerie parce qu’il faut en tirer une leçon.
    Que le PQ ou le BQ reprennent des idées exprimées par le « nouveau » message, ce n’est pas un mal en soi. Cependant, ces deux partis devront vivre avec les conséquences du virage qu’ils feront. Le « nouveau » message continuera son MOUVEMENT dans la société et non auprès des partis politiques qui harnachent depuis des générations les fibres sensibles des Québécois-Français sans toutefois parvenir à changer la situation ante.
    C’est aux individus dans la société québécoise que le « nouveau » message veut être lancé et non à une élite politique rivée nécessairement sur le calendrier électoral et les procédures parlementaires afin d’accéder au Pouvoir.
    Ces deux facettes du politique sont insuffisantes pour décrire un véritable régime démocratique. Il y a le peuple, le peuple souverain, qui ira au-delà de la parodie électoraliste. Il y a tous ces indépendantistes qui piaffent d’impatience à aller plus loin que le tremplin électoraliste. Ils veulent remplir la piscine avant de plonger.
    Il faut que NT et tous les autres qui se croient indépendantistes s’unissent dans union de pensée qui corresponde au « nouveau » message. En êtes-vous convaincu ? Si d’autres l’étaient avec vous, que d’autres suivaient et ainsi de suite… Nous ne nous parlerons plus seulement entre nous, mais le MOUVEMENT parlera à la société en tant que telle et non à ceux et celles qui croient qu’un SEUL parti politique peut faire le job. Une « nouvelle » société naîtra de l’AGIR des indépendantistes unis entre eux et entre elles.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mai 2010

    D'accord pour le message. Il se peut que les messagers se multiplient. Qui va récolter le travail? Un parti qui ne croit plus à l'indépendance du Québec et qui a cessé d'en faire son combat quotidien?
    J'ai déjà joué dans ce film. Sinon, dans 40 ans, on aura réécrit encore l'histoire présente: un cul-de-sac.
    NT

  • Gilbert Paquette Répondre

    25 mai 2010

    Eh oui!
    Il y a un temps pour les colloques et un temps pour les tournées sur le terrain. C'est là qu'il faut aller, dès l'automne, car un campagne indépendantiste, cela doit se préparer.
    M. Deshais, vous avez le message. Il faut maintenant multiplier les porteurs. J'en suis !

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mai 2010

    @NT
    «Il faut un indépendantiste pédagogue. L’avez-vous trouvé ?»
    C'est vous autant que moi. C'est tous ceux que la cause concerne, non?
    Oui! Et dans l'honneur et l'enthousiasme à part de ça! ;-)
    Cordialement,
    B. Caron

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mai 2010

    « Adopter sans-équivoque la thèse de l’indépendance à une seule nation »
    25 mai 2010 Bruno Deshaies
    On aura beau réaliser des métarecherches des sondages sur la souveraineté au Québec qu’on se trouvera toujours Gros-Jean comme devant face aux structures et aux forces profondes qui contrôlent la vie de la société québécoise. Une nation annexée qui est, en plus, minoritaire ne peut prétendre pouvoir se libérer du joug fédéral si elle ne réalise pas son unité nationale sur l’objectif fondamental de l’indépendance.
    Les souverainistes sont très bons pour souffler sur la braise mais ils sont peu nombreux à mettre des bûches dans la cheminée. Il ne suffit pas d’empêcher le feu de s’éteindre, il faut l’alimenter pour qu’il nous réchauffe et nous éclaire.
    Contre l’Idée fédérale, il serait temps que les souverainistes adoptent sans-équivoque la thèse de l’indépendance à une seule nation. Ce qui signifierait en termes de concept de l’indépendance les fondements qui suivent :
    LE QUÉBEC INDÉPENDANT DOIT DISPOSER D’UN ÉTAT SOUVERAIN ET DE TOUS LES POUVOIRS COMME NATION INDÉPENDANTE CAPABLE :
    – DE COMMANDER SA PROPRE VIE POLITIQUE TANT À L’INTÉRIEUR QU’À L’EXTÉRIEUR ;
    – DE GÉRER SA PROPRE VIE ÉCONOMIQUE ;
    – DE MAÎTRISER SA PROPRE VIE CULTURELLE.
    L’ÉTAT DU QUÉBEC SERA DISTINCT DES AUTRES. IL VIVRA AVEC LES AUTRES MAIS PAR SOI. IL SERA LIBRE DE COLLABORER TOUT EN ÉTANT AUTONOME AINSI QU’EN PARTICIPANT PAR SOI À LA VIE INTERNATIONALE.
    Sur cette base conceptuelle, il serait possible de dépasser les revendications plaintives contre le pouvoir fédéral et commencer à faire des choses que nous n’avons jamais faites pour s’attaquer au problème du positionnement de l’idéologie indépendantiste comme force de persuasion auprès de la population québécoise. Peut-on, dans un premier temps, s’entendre entre nous ?

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mai 2010

    Nous avons déjà des héros vivants, la cause souverainiste avance, le saviez-vous ?
    «Gilles Duceppe se dit particulièrement fier d’être ainsi associé, d’une certaine manière, à Louis-Joseph Papineau la figure de proue du parti patriote qui a lutté pour des réformes constitutionnelles à l’époque du Bas-Canada»
    La complaisance fédéraliste a un bel avenir devant elle, forte d'une belle et longue tradition. La maigre consolation des vaincus consiste encore à interpréter les perpétuels reculs comme des victoires. Les «victoires» toutes ponctuelles et jamais durables retardent le recul mais notre régression est fondamentale et son cours jamais renversé. Notre destin est coulé dans le béton, MM(e). Duceppe et Marois. Marcher dans les traces de Papineau avec fierté c'est marcher dans les traces de la défaite et une belle illusion entretenue que même le chanoine Groulx n'avait pas. Oh mon Dieu, comment en sommes-nous arrivés là ? Qu'il est lourd notre passé même s'il se présente avec les mots à la mode, conformes aux gouts du jour.
    Avons-nous avancé ? Pas, je le crains. Le sens de l'histoire n'a pas été renversé.
    Il presse que de nos fausses victoires nous fassions table rase.
    GV

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mai 2010

    Il ne vous reste, cher monsieur, qu'à quitter les colloques et faire de grandes tournées du Québec, comme le faisait René Lévesque.
    Cela ne sert à rien de réunir un petit nombre de personnes pour les convaincre de ce dont elles sont déjà convaincues. Il faut un indépendantiste pédagogue. L'avez-vous trouvé?
    NT