La dette de Rio Tinto Alcan et le Québec

Rio Tinto - la culture du secret...


L'existence reconnue récemment d'une entente secrète conclue entre le gouvernement du Québec et la corporation Alcan permet à la compagnie, désormais la propriété de Rio Tinto, de fermer actuellement sans pénalités quatre usines au Québec. Ce droit a été accordé malgré le partenariat énergétique et financier très avantageux pour la compagnie qui fut paraphé en décembre 2006.
Rio Tinto s'est endetté de 40 G$ (milliards) lors de l'achat de la corporation Alcan en 2007, dans le contexte où le prix de l'aluminium se situait à un plafond historique. Signalons que des profits tout à fait exceptionnels ont été réalisés dans cette industrie au cours des cinq dernières années à la faveur de prix mondiaux très élevés. Avec l'actuelle crise financière qui secoue toute la planète en influençant notamment le prix de l'aluminium, la valeur de l'action de cette compagnie a énormément chuté récemment. Pour rassurer le marché, Rio Tinto Alcan (RTA) prévoit appliquer en début 2009 certaines mesures en regard de la réduction de sa dette. En décembre 2008 la suppression de 14,000 emplois dans le cadre d'une vaste opération nécessaire de rationalisation fut en effet annoncée. Cette opération de RTA occasionnera notamment la réduction de 5 % de sa production mondiale d'aluminium primaire. Aussi, plusieurs investissements en plan seront retardés ou abandonnés. Le Québec doit-il s'inquiéter ?
Le prix de l'aluminium
La tonne d'aluminium s'échange actuellement au London Metal Exchange au prix de 1,505 $US, en comparaison avec 1,365 $US en 2002. Il s'agit néanmoins pour RTA d'un prix fort peu intéressant, pour deux raisons distinctes. Primo, les coûts de production de chaque tonne de métal gris se situent en moyenne autour de 1,500 $US au Québec. Ainsi, la position actuelle de RTA se situe en principe à la limite de la rentabilité. Secundo, la tonne d'aluminium avait bondi à 3,340 $US en juillet 2008. Ce qui a ainsi permis aux producteurs d'engranger des profits, de générer des dividendes et de prévoir des investissements. Face à ces données avec lesquelles jonglent les analystes, deux points apparaissent importants.
Signalons d'abord que selon les perspectives du très crédible CRU de Londres, cette chute du prix de l'aluminium ne se poursuivra pas. La plupart des experts prévoient plutôt un rebondissement, doublement stimulé par une demande mondiale en croissance tendancielle et par le coût de l'énergie qui reviendra à la hausse après la baisse très actuelle. Au cours des cinq prochaines années, la tonne d'aluminium devrait se transiger à des prix se situant entre 2 $US et 3 $US. Donc, il n'y a pas de péril anticipé dans cette industrie québécoise.
Selon les données analysées et diffusées par la compagnie Rio Tinto Alcan elle-même, ses coûts de production au Québec s'inscrivent parmi les meilleurs de cette industrie mondiale. Positionnement très concurrentiel qui se renforce encore actuellement avec la perte de valeur de la devise canadienne. Soulignons à cet effet que la majorité des alumineries roulent à perte en ce moment partout sur la planète, mais non celles de RTA au Québec. S'il faut certes que l'industrie ferme les usines les plus désuètes et les moins productives, les unités intenses en technologie de RTA au Québec devraient se situer très loin sur la liste, y compris la fameuse usine Vaudreuil au Saguenay dont les travailleurs ont largement amélioré la productivité au cours des dernières années. D'autant plus que les coûts de production de cette compagnie au Québec sont calculés en utilisant le tarif industriel d'Hydro-Québec, alors que 90 % de l'aluminium fondu chaque jour utilise l'électricité générée par les centrales hydroélectriques de RTA à un coût de revient situé par les experts à 31 % du prix moyen mondial, à la hausse pour cette industrie. Cet avantage exceptionnel n'est tout de même pas négligeable dans les calculs des dirigeants de la multinationale. En considérant les avantages fiscaux, la stabilité opérationnelle, la sécurité des investissements, la qualité du bassin de main d'oeuvre, les facilités de transport, le soutien public à la recherche et au développement (R&D), l'acceptabilité sociale des projets, on constate que le Québec offre à Rio Tinto Alcan des conditions de production comparativement très avantageuses. En compensation de cet accueil, plusieurs analystes considèrent que RTA devrait pertinemment s'engager dans une stratégie formelle d'industrialisation en aval de la filière de production.
La profitabilité de RTA
Les difficultés passagères de RTA deviennent importantes pour deux raisons principales. D'abord, parce que les profits certes encore très réels en 2008 n'atteindront pas les records de 2006 et 2007, soit 7,4 G$ et 7,3 G$ respectivement. À elle seule, la division Alcan a généré 1,68 G$ de profits en 2007. L'année 2009 sera probablement mauvaise à cette rubrique du profit pour RTA. Ensuite, parce que la compagnie doit digérer l'achat d'Alcan en 2007 pour la rondelette somme de 38,1 G$, empruntés sur le marché. Même pour un géant minier, un tel remboursement représente un défi imposant. À cet effet, la chute actuelle des prix du métal permet de justifier socialement la rationalisation déjà enclenchée qui, de fait, appuiera la recherche intensive des synergies internes désirées lors de l'intégration de la corporation Alcan. Chemin faisant, tout indique que la forte profitabilité de RTA sera de retour rapidement dans un marché de l'aluminium prometteur au sein duquel la tendance de la consommation mondiale de ce métal s'avère très claire.
En conséquence, fermer précipitamment des usines comme Beauharnois ou Shawinigan n'est pas la bonne solution pour RTA. Au contraire, cette compagnie doit à notre avis maximiser sa production dans ce Québec qui lui offre des avantages tant exceptionnels au sein de cette industrie friande d'énergie et de technologie. Ses dirigeants vont à cet effet tout mettre en oeuvre pour poursuivre, sinon accélérer les investissements engagés au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pourquoi? Tout simplement afin d'être bel et bien au rendez-vous de la forte demande à prix élevé qui s'annonce dans le futur rapproché. Car pour payer ses imposantes dettes, il sera préférable pour RTA de livrer sur le marché quelque 1,5 millions de tonnes (Mt) d'aluminium de ses installations québécoises plutôt que seulement 1 Mt. Les profits annuels supplémentaires qui s'inscriront alors en milliards effaceront rapidement les investissements technologiques réducteurs de coûts de production à consentir actuellement. Et l'année 2009 aux faibles dividendes sera vite oubliée par les actionnaires au cours de la prochaine décennie.
***
Marc-Urbain Proulx, Professeur d'économie à l'Université du Québec à Chicoutimi


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->