La Commission Bouchard-Taylor déjà pleine d’écueils

Par Frédéric Tremblay

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Les deux imminents penseurs québécois, Gérard Bouchard et Charles Taylor, retireront bientôt le lourd couvercle de la marmite dans laquelle mijote temporairement le débat sur les accommodements raisonnables. Les travaux de la Commission Bouchard-Taylor, qui s’amorcent sous peu, sont pleins d’écueils, dont certains ont surgit dans le débat sur les accommodements raisonnables qui fait rage depuis quelques mois.
Dans le présent texte, nous présenterons trois de ces écueils et suggérerons quelques pistes de solution afin de les éviter.
La médiocre couverture médiatique
Le premier, et sans contredit le plus dangereux, écueil qui guette la Commission Bouchard-Taylor est la couverture médiatique dont elle fera l’objet. Dans le débat actuel sur les accommodements raisonnables, les positions des uns et des autres se fondent sur des faits divers ou des anecdotes révélés à la une des journaux et des bulletins de nouvelles bien plus que sur des expériences vécues ou des études empiriques. Or, malheureusement, les journalistes québécois participent en ce moment à une surenchère médiatique mue par la recherche de la mesure d’accommodement la plus scandaleuse. Cette démarche journalistique se fait au détriment de la recherche de la vérité, de la compréhension des nouvelles et sans se soucier des règles de l’art en vigueur.
L’exemple le plus éloquent est la nouvelle publiée le 16 novembre 2006, par le journaliste Djibril Diallo du Journal de Montréal, selon laquelle le CLSC Parc-Extension interdit aux hommes de suivre des cours prénatals afin d’accommoder des femmes musulmanes, hindoues ou sikhs, qui désirent suivre ces cours sans la présence d’hommes. Selon le même article, les couples refusés par le CLSC Parc-Extension devaient se rendre dans un autre CLSC, après avoir payé 50$, pour recevoir le même cours, sans pouvoir choisir la langue d’enseignement. À la lecture attentive de l’article, il ressort que ces informations ne sont appuyées par aucune source. De plus, le journaliste conclue l’article en précisant que Marc Sougavinski, directeur général du CSSS de la Montagne, auquel est rattaché le CLSC Parc-Extension, niait l’existence de telles pratiques.
Aussitôt publiée, cette nouvelle se répand comme une traînée de poudre; elle est publiée, radiodiffusée et télévisée dans tout le Québec. Or, dans presque tous les médias - les sites de Radio-Canada et Cyberpresse en sont des bons exemples - l’information rapportée ne mentionne pas le fait, et ce n’est pas un détail anodin, que le directeur du CSSS auquel est rattaché le CLSC Parc-Extension nie catégoriquement que la dite mesure d’accommodement ait existée. Les politiques et directives administratives du CLSC émanent de sa direction, dont monsieur Sougavinski est le représentant officiel.
La plupart des médias ne font que propager une nouvelle contredite par la personne en autorité dans l’institution publique concernée sans même vérifier avec cette personne si la mesure d’accommodement décriée a existée. Les médias ne cherchent pas ici à connaître la vérité, ils désirent attirer l’attention sur le sujet de l’heure.
Le premier mandat de la Commission Bouchard-Taylor est de dresser un portrait fidèle des pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles. Cet exercice risque de se transformer en véritable cirque médiatique alimenté par la recherche de la mesure d’accommodement la plus déraisonnable. Un tel dérapage médiatique entrainera deux conséquences néfastes pour la Commission. D’une part, la recherche d’accommodements déraisonnables va obnubiler les autres aspects importants des travaux de la Commission et, d’autre part, discréditera encore davantage aux yeux de plusieurs Québécois et Québécoises la notion juridique et complexe d’accommodement raisonnable.
Nous souhaitons fortement que le portrait que dressera la Commission Bouchard-Taylor soit fondé sur une enquête sérieuse et fouillée visant à établir la vérité pour ce qu’elle est, et non pas pour ce que certains souhaiteraient qu’elle soit.
La division
Déjà, une certaine division est perceptible au Québec entre les personnes plus tolérantes et favorables aux accommodements raisonnables et celles qui y sont plus réfractaires. D’ailleurs, le chef de l’ADQ, Mario Dumont essaie d’accentuer ce clivage et d’en tirer profit pour ce faire du capital politique. Cette division pourrait facilement se déplacer devant les audiences qui seront tenues par la Commission Bouchard-Taylor et, ultimement, envenimer les relations entre des immigrants ou des groupes d’immigrants et des individus ou groupes de la société d’accueil.
Pour l’avenir du Québec, particulièrement pour sa stabilité sociale, il faut essayer de briser cette division. Afin d’y arriver, les travaux et le rapport de la Commission devront absolument être le plus rassembleur possible et recevoir un appui qui transcende les classes sociales, l’origine ethnique, les générations, le sexe, l’appartenance religieuse, etc. Pour faire comprendre les résultats de leurs travaux, les deux commissaires devront écouter attentivement, prendre le temps de réfléchir, et, finalement, convaincre et expliquer leurs constats et recommandations. Le fait que la Commission tienne des consultations partout au Québec est déjà un pas dans la bonne direction. À la fin des travaux de la Commission, il serait sans doute souhaitable que les deux commissaires refassent le tour du Québec pour présenter et expliquer leurs conclusions et recommandations.
Des notions juridique trop compliquées
Le cadre juridique actuel, duquel émane la notion d’accommodement raisonnable, découle des décisions de la Cour suprême du Canada. La multitude de situations qualifiées, à tord par de très nombreuses personnes, « d’accommodement raisonnable » démontre à quel point ce concept jurisprudentiel est mal compris. L’incompréhension résulte, en partie, du haut niveau de complexité des règles et balises établies par le plus haut tribunal canadien. Malheureusement, la confusion discrédite, au point où plusieurs s’en moquent maintenant, la notion même d’accommodement raisonnable.
Pour remplir le troisième mandat que lui a confié le gouvernement du Québec, la Commission Bouchard-Taylor devra proposer des recommandations établissant les pratiques d'accommodements respectueuses des valeurs communes des Québécois. Il faut espérer que ces recommandations soient claires, simples et d’application facile.
Le succès de la Commission Bouchard-Taylor se mesurera à sa capacité à éviter ces écueils, et bien d’autres.
Frédéric Tremblay, avocat


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