La certitude et le doute

Chronique de Louis Lapointe

Deux affaires judiciaires ont retenu l’attention du grand public au cours des dernières années. L’affaire Guy Turcotte et l’affaire de l’ex-Juge Jacques Delisle.

L’affaire Guy Turcotte est relativement simple, puisque nous savons tous que ce dernier a tué ses deux enfants.

Cela ne fait aucun doute.

Malgré cela, à la suite d’un long procès, il a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.

Dans un jugement unanime rendu hier, la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès parce qu’elle estimait que le juge de première instance avait mal instruit les jurés concernant l'état d’intoxication volontaire de Guy Turcotte, une défense inadmissible dans le cas d’homicide.

Dans l'éventualité où le nouveau jury arrivait à la conclusion que l’intoxication a été déterminante dans le double meurtre de ses deux enfants, la défense de troubles mentaux serait automatiquement écartée et le jury devrait prononcé un verdict de culpabilité d'homicide à l'endroit de Guy Turcotte.

L’affaire Jacques Delisle est beaucoup plus complexe, puisque nous ne savons pas si ce dernier a vraiment tué son épouse. Il a été condamné sur la base d’une preuve circonstancielle très technique dans une ville contaminée par la radio-poubelle.

Son épouse s’est-elle suicidée avec l’arme non enregistrée de son mari ou ce dernier l’a-t-il froidement assassiné dans le but d’aller vivre avec sa maîtresse sans avoir à vivre un divorce qui aurait grugé sa fortune ?

Malheureusement pour lui, Jacques Delisle a préféré ne pas témoigner devant le jury. Il a refusé de s’expliquer devant ses pairs.

À moins que la Cour Suprême accepte d’entendre son appel, qu’elle rejette les jugements de première et deuxième instance et ordonne un nouveau procès où il pourrait enfin s’expliquer, Jacques Delisle passera le reste de sa vie en prison sans avoir pu être entendu.

Personnellement, j’ai toujours pensé que le juge Delisle avait pu assister son épouse dans son suicide, cette dernière l’ayant convaincu de l’aider en lui expliquant que vivre enfermé dans son corps était un pire châtiment que celui de risquer la prison à vie.

Alors qu’elle ne pourrait plus jamais reprendre sa liberté, il pouvait toujours requérir les services du meilleur avocat au Québec dans l'éventualité où il serait accusé du meurtre de son épouse.

Même dans le cas où il serait trouvé coupable de meurtre prémédité, la prison à perpétuité ne pourrait jamais constituer à ses yeux une pire condamnation que celle qu’elle vivait chaque jour en raison de son état physique.

Si tel est le cas, on comprend mieux pourquoi l’avocat Jacques Larochelle ne pouvait faire témoigner son client, l’assistance au suicide et le meurtre par compassion n’étant pas des défenses valables dans notre droit, alors que la folie passagère en est une comme nous l’avons vu dans le cas de Guy Turcotte.

Sinon, dans l’éventualité où Jacques Delisle était vraiment innocent, son refus de témoigner m’apparaît comme une grave erreur puisque, compte tenu de la preuve présentée, ce dernier aurait eu avantage à semer un doute raisonnable dans l’esprit des jurés en témoignant personnellement de son innocence.

Voilà pourquoi le doute subsistera toujours dans mon esprit au sujet de la culpabilité de l'ex-juge Jacques Delisle, alors que dans le cas de Guy Turcotte, je n’éprouve pas cette crainte qu’un innocent puisse être condamné, la bête noire de tous les avocats, puisque j’ai la certitude qu’il a tué ses enfants. Je fais donc confiance aux jurés et j’accepte d’avance leur verdict, quel qu’il soit.

Quant à Jacques Delisle, à moins que la Cour Suprême ordonne un nouveau procès, il est condamné à vivre avec ses remords ou ses regrets, d'avoir tué son épouse ou de ne pas avoir témoigné à son procès.

***

Sur le même sujet:

Le paradoxe de Québécor

Featured bccab87671e1000c697715fdbec8a3c0

Louis Lapointe534 articles

  • 880 799

L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Chrystian Lauzon Répondre

    16 novembre 2013

    Monsieur Lapointe,
    Il y a fort à parier que Guy Turcotte se retrouve en prison. L’opinion publique et les campagnes médiatiques d’Isabelle Gaston auront eues un impact certain sur le jugement à venir – le meurtre des enfants est une horreur en soi, mais ce que le médiatique rajoute en utilisant les acteurs impliqués pour créer de la nouvelle est déplorable en vue d’une reprise de procès, dont la neutralité est questionnable.
    N’oublions pas que le drame a même eu un portée politique, la PM Pauline Marois ayant reçu personnellement Mme Gaston à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’amélioration de l’aide aux victimes d’actes criminels (1).
    Ce jury, à moins qu’il provienne de l’étranger, se composera de tout ce qui ressemble à la population québécoise et ses membres ne tomberont pas du ciel, tels des anges sans yeux ni oreilles. On peut idéaliser la justice, mais dans les faits, elle subit des influences. Ne le voit-on pas assez en politique ?
    Ainsi, parallèlement à ce procès, il y a 2 paramètres imposants développés dans l’opinion publique, symptômes hypertrophiés d’émotivité et qui se refléteront dans les délibérations et le jugement final probablement :
    1- La rage/haine populaire socio-médiatisée "contre" Guy Turcotte, tout de même un chirurgien voué au mieux-être, non à l’élimination de la vie (contradiction en soi) ; cette rage a été montée en épingle, marquée, par tout le suivi méméreux des journalistes et émissions populistes (Denis Lévesque/TVA en a fait ses choux gras, entre autres) ;
    2- Le discrédit qui a été porté comme jamais contre l’appareil judiciaire, la Justice devenant l’objet elle-même d’un méta-procès d’intention : sert-elle à s’évacuer des horreurs par des filets de manipulation d’experts ou à condamner sévèrement le répréhensible et l’impensable lorsqu’il se révèle si évident, criant.
    La barre juridique est donc haute entre, d’une part, ces 2 montées d’influences médiatiquement trafiquées, ou, à tout le moins, "marchandisés" pour vendre émissions et journaux, haussant les cotes d’écoute; et, d’autre part, un jury qui supposément pourraît se remettre au neutre et porter un jugement totalement détaché de ces réalités dans un huis-clos, post-traumatique pour ainsi dire.
    Imaginez si ce second procès se terminait sans culpabilité reconnue à Turcotte ?! Quel cul-de-sac ! Aurait-on droit à une protestation publique devant le Palais de justice?
    Ajoutez d’autres événements en synchro avec cette sentence de libération inacceptable pour un public à forte émotivité conditionnée, accentuant le ratage répété et surmédiatisé d’un jugement, incluant l’ombrage porté au système judiciaire; le débat sur la Charte aboutissant à la tombée du gouvernement péquiste et le déclenchement d’élections provinciales en conséquence ; et nous aurons un printemps où les érables eux-mêmes en auront l’eau brouillée.
    Loin d’un sirop de calmant!
    Chrystian Lauzon
    1- Voir www.pq.org/nos_realisations, rubrique "Solidarité", au no. 33.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 novembre 2013

    C'est peut etre absurbe le rapprochement qui me passe par la tete , concernant ces 2 affaires.
    Les experts se tarabiscotaient les meninges sur:
    - Les traces d'une brulure sur la victime
    - un anti gel et son effet sur l'accuse
    Je ne sais pas comment , juge, procureur , enqueteur et defense, on ete convaincu durant le proces qu'il a ete ingurgite avant l'acte. ...
    Peut-etre que l'accuse lui-meme le seul a vraiment savoir craignait que les autres pensent qu'il est pu le faire de sang froid

  • Henri Marineau Répondre

    16 novembre 2013

    On se souviendra des tollés de contestation suscités par le premier verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux dans l’affaire Guy Turcotte. Or les trois juges de la Cour d’appel, le plus haut tribunal du Québec, ont ordonné un nouveau procès dans l’une des causes les plus médiatisées de l’histoire judiciaire québécoise.
    Selon la Cour, le juge de première instance a erré dans ses instructions au jury en omettant de l’inviter à distinguer l’état d’aliénation mentale causé par l’intoxication volontaire au lave-glace ingurgité par Guy Turcotte dans l’intention de se suicider, et celui lié à ses problèmes de santé mentale, à savoir son trouble d’adaptation évoqué par différents experts.
    Dans l’hypothèse où il s’avérait que Guy Turcotte a assassiné ses deux enfants sous l’effet de l’intoxication au lave-glace, nul doute que le verdict de première instance serait fort différent. Sans avoir la prétention de connaître toutes les procédures judiciaires ayant conduit au premier verdict, j’ai toujours éprouvé un doute « raisonnable » sur les véritables circonstances qui ont conduit à cette sentence.
    Conséquemment, je suis persuadé qu’un second procès viendra apporter un éclairage nouveau sur cette affaire qui met en cause le meurtre de deux enfants innocents dont la mémoire demeure encore fraîche dans une opinion publique laissée pour cause avec un goût amer.