Au printemps 2003, le député libéral sortant d'Orford, Robert Benoît, soucieux de laisser ses électeurs entre de bonnes mains, voulait connaître celui que Jean Charest avait choisi pour lui succéder.
Un souper avait donc été organisé pour lui permettre de rencontrer Philippe Couillard, brillant neurochirurgien de Sherbrooke, qui désirait se lancer en politique. M. Benoît n'a pas été convaincu. Il a prévenu M. Charest qu'il préférerait se représenter plutôt que céder sa circonscription à un homme qui lui semblait simplement à la recherche d'un tremplin pour faire carrière. Il a fallu parachuter M. Couillard dans Mont-Royal.
Rétrospectivement, il se félicite sûrement de la tournure des événements. Avec la vente du mont Orford, il se serait encore retrouvé dans une position impossible. Déjà qu'il s'est fait passablement d'ennemis dans l'establishment libéral en s'opposant à l'installation du CHUM à Outremont.
Après un seul mandat, voilà maintenant qu'il déménage dans Jean-Talon. La vie politique est à ce point exigeante qu'on ne peut pas lui reprocher de chercher à concilier travail et famille. Encore récemment, il déclarait pourtant vouloir «rester fidèle aux électeurs de Mont-Royal». Ceux de Jean-Talon pourront sûrement compter sur la même loyauté.
Au besoin, M. Couillard pourra toujours faire valoir ses lointaines racines régionales. Sa famille est originaire de Montmagny. Un de ses ancêtres a même laissé son nom à une rue du Vieux-Québec.
Le bastion libéral de Jean-Talon n'a peut-être pas la solidité de Mont-Royal, mais c'est la seule circonscription de Québec qui n'a jamais élu un député péquiste. La perspective d'hériter de la circonscription jadis représentée par Jean Lesage n'est sûrement pas pour déplaire à un homme qui a d'aussi hautes ambitions.
Si le PLQ remporte les prochaines élections, M. Couillard ne restera sans doute pas au ministère de la Santé, qui peut être fatal, si l'on y reste trop longtemps. Il demeurera néanmoins un des piliers du gouvernement Charest. Pour la capitale, ce n'est pas une mauvaise affaire.
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Son déménagement à Québec se veut «un signal de l'importance qu'on accorde à la région», a déclaré le premier ministre Charest. Les libéraux se cherchent un boss à Québec depuis le départ de Marc-Yvan Côté. Ni Sam Hamad ni Michel Després n'ont réussi à s'imposer. Ils ont finalement trouvé leur homme. D'ailleurs, MM. Couillard et Côté sont d'excellents amis. On peut donc s'attendre à ce que le «beu de Matane» reprenne -- discrètement -- du service au cours de la prochaine campagne.
Comme aux élections fédérales de janvier 2006, la région de Québec sera le grand champ de bataille. Le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir y accordait 35 % des intentions de vote à l'ADQ, 31 % au PLQ et 23 % au PQ.
Après la défaite d'avril 2003, à laquelle seule Agnès Maltais a survécu dans Taschereau, les péquistes s'étaient rassurés à l'idée que l'insatisfaction créée par les défusions était passagère. Les politiques impopulaires du gouvernement Charest allaient inévitablement provoquer un retour du balancier. Quatre ans plus tard, la situation du PQ apparaît pourtant aussi précaire.
Le Devoir faisait état en fin de semaine dernière du rapport de la vice-présidente du Bloc québécois, Hélène Alarie, selon lequel la déconfiture du Bloc l'an dernier serait due au fait qu'il est perçu comme trop «Montréalcentrique».
On est tenté d'appliquer mutatis mutandis ses conclusions au PQ. Comme dans le cas du Bloc, «son chef, son organisation nationale, son programme, la couleur et l'odeur qu'ils dégagent sont trop montréalais».
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Si la «clientèle PQ-Bloc» a eu du mal à se reconnaître dans le parti de Gilles Duceppe, elle risque d'être tout aussi dépaysée par celui d'André Boisclair. On ne peut pas reprocher au chef du PQ son lieu de naissance et le climat dans lequel il a grandi, mais il incarne de façon presque caricaturale le Montréal branché qui est à mille lieues des régions.
Même si le mariage gai ou le registre des armes à feu ne constituent pas des enjeux électoraux au niveau provincial, la poussée de l'ADQ porte à croire que le PQ est aussi «en porte-à-faux avec le conservatisme profond d'une grande partie de l'électorat de Québec-Chaudière-Appalaches» que pouvait l'être le Bloc.
M. Boisclair est profondément allergique à tout ce qu'il perçoit, à tort ou à raison, comme une manifestation de nationalisme ethnique, mais Mme Alarie a constaté à quel point le «Québec mou» se méfie du Montréal multiethnique. Alors que Mario Dumont s'est empressé de faire écho à cette méfiance, tout le monde a bien vu avec quelle hésitation le chef péquiste est entré dans le débat sur l'accommodement raisonnable.
Historiquement, le PQ a toujours éprouvé les mêmes difficultés que le Bloc à trouver des leaders régionaux qui auraient pu mobiliser la capitale et faire valoir ses priorités. Par exemple, il n'y a jamais eu à Québec l'équivalent de ce que Marc-André Bédard était au Saguenay.
Cette absence a été particulièrement criante lors du référendum de 1995. Il est remarquable que personne n'ait réussi à sensibiliser Jacques Parizeau (ou même cherché à la faire) au risque qu'il y avait à larguer les Nordiques à la veille du référendum.
Remarquable coïncidence, au moment même où l'on prenait connaissance du rapport Alarie, M. Boisclair emboîtait le pas au maire Tremblay pour réclamer un statut fiscal particulier pour Montréal.
On ne pourra certainement pas l'accuser d'opportunisme. Il est indéniable que la situation financière précaire de la métropole est un frein à son développement, mais le PQ n'a strictement rien à y gagner. Dans la meilleure des hypothèses, une victoire dans Crémazie compenserait la perte probable de Laurier-Dorion.
C'est dans la grande région de Québec que le PQ peut espérer se renflouer. M. Boisclair devrait s'employer de toute urgence à trouver un interlocuteur de poids à Philippe Couillard.
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mdavid@ledevoir.com
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