ANALYSE

L'ADQ tiendra-t-elle dans la région de Québec?

Québec 2007 - la bataille des régions


Paul Roy - Québec et sa région pourraient combler les aficionados de combats électoraux extrêmes. Il suffirait, pour cela, que le parti de Mario Dumont continue de se refaire une santé. À renforts d’accommodements raisonnables ou autrement.
« L’ADQ a une forte présence dans la région de Québec (Québec et Chaudière-Appalaches), c’est un joueur qui compte, dit le politologue Réjean Pelletier, de l’Université Laval. Le PQ, lui, doit lutter pour s’affirmer davantage. Quant aux libéraux, ils sont en bonne posture, mais si l’ADQ se renforce, ils pourraient perdre des sièges. »
Une forte présence, l’ADQ? Québec compte 11 circonscriptions provinciales, et Chaudière-Appalaches (Rive-Sud et Beauce) huit, pour un total de 19. L’ADQ, on l’a vu, en représente quatre. Mais, fait intéressant, elle avait fini deuxième dans huit circonscriptions. Elle peut donc être considérée comme un joueur dans au moins 12 circonscriptions sur 19.
« L’ADQ va finir deuxième dans plusieurs circonscriptions, admet en souriant le député libéral de Kamouraska-Témiscouata et ministre (de l’Environnement) Claude Béchard. Mais entre une deuxième place et la victoire, la marche est haute… »
Les libéraux de Jean Charest sont d’ailleurs encore, et de loin, les plus redoutables dans la région, avec 13 sièges et six deuxièmes places. Ils sont donc solides partout. Le PQ d’André Boisclair est le parent pauvre, avec deux circonscriptions et cinq deuxièmes places. Mais le chef péquiste a répété à qui voulait l’entendre, depuis plusieurs mois, qu’il mettait le paquet pour corriger cette situation.
M. Boisclair a-t-il ce qu’il faut pour renverser la vapeur à Québec? Certains sont sceptiques, dont le sociologue Simon Langlois, professeur à l’Université Laval. « Je pense que M. Boisclair a un style qui ne plaît pas particulièrement à la région de Québec : un style urbain, postmoderne, un peu dandy… »
Qui plus est, rappelle M. Langlois, Québec est l’une des régions francophones où l’idée de la souveraineté a baissé. « Pour Québec et sa région immédiate, ça augure mal pour le PQ », résume-t-il.
Luttes à trois
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’action ici. On s’attend même à quelques luttes à trois, comme la dernière fois. « Il y a une dynamique à trois où tout peut arriver, reconnaît M. Langlois. Il suffit d’un déplacement de 1000 voix, et tout peut basculer. »
Parce que les écarts ne sont pas astronomiques. Rien de comparable à ceux enregistrés dans l’ouest de l’île de Montréal, où les libéraux de Jean Charest ont obtenu des majorités de plus de 20 000 voix dans cinq circonscriptions!
Dans Québec et Chaudière-Appalaches, 10 des 19 circonscriptions ont été enlevées avec moins de 2000 voix de majorité. La plus petite majorité était celle de la libérale Carole Théberge, qui avait battu la péquiste Linda Goupil par 406 voix, dans Lévis (Chaudière-Appalaches). Les deux femmes s’affronteront de nouveau. La plus importante majorité était celle du libéral Sam Hamad, avec 6270 voix d’avance sur la péquiste Line-Sylvie Perron, dans Louis-Hébert (Québec). M. Hamad se représente.
Dans Chauveau, la libérale Sarah Perreault avait obtenu quelque 2200 voix de majorité sur le candidat adéquiste en 2003. Cette fois, elle affronte le président de l’ADQ et ancien président du Conseil du patronat du Québec, Gilles Taillon. Une prise majeure pour Mario Dumont, mais néanmoins un « parachuté » de la région de l’Outaouais.
Des luttes à trois avaient eu lieu dans quelques circonscriptions en 2003, dont Lévis, Lotbinière, Montmorency, Bellechasse et Chutes-de-la-Chaudière. Dans Montmorency, en particulier, l’écart était de moins de 2500 voix entre la première (PLQ) et la troisième place (PQ).
Le PQ, qui a « beaucoup de faiblesses » dans la région, pourrait tout de même profiter de luttes à trois où les libéraux et les adéquistes se diviseraient le vote fédéraliste, croit pour sa part le politologue Réjean Pelletier. À condition, bien sûr, que les péquistes désabusés aillent voter. « En 2003, plusieurs péquistes déçus se sont abstenus. »
Cette fois, la présence probable dans les rangs péquistes de trois ex-députés bloquistes pourra-t-elle changer la donne ? On parle de Christian Simard dans Jean-Lesage, de Richard Marceau dans Charlesbourg et d’Yvan Loubier dans Chutes-de-la-Chaudière. André Boisclair évoque aussi avec enthousiasme les candidatures de l’avocate Véronique Hivon, dans Jean-Talon, et de l’ingénieur forestier Robert Beauregard, dans La Peltrie. Toutes ces circonscriptions – à l’exception de Chutes-de-la-Chaudière, représentée par l’ADQ – sont cependant détenues par les libéraux avec de substantielles majorités.
La tâche risque d’être particulièrement ardue dans Jean-Talon pour le PQ. Cette fois, l’adversaire libéral sera le ministre de la Santé Philippe Couillard, apprenait-on en fin de semaine…
Mais bien des choses peuvent survenir dans la région de Québec, selon Michel Lemieux, sociologue, spécialiste des sondages et ex-collaborateur de René Lévesque. « C’est la boîte à surprises, dit-il. On peut parler d’énigme, parce qu’on ne sait pas ce qui va se passer (…) C’est trop volatile. On est en période de réajustement politique. Et quand les gens sont en mouvement, comme c’est le cas depuis octobre, environ, les sondages sont moins fiables. »
Le cas Vanier
Vanier, dans la basse-ville de Québec, sera certainement une circonscription sous haute surveillance pendant la campagne et le soir des élections. En 2003, le libéral Marc Bellemare, un avocat connu à Québec, l’avait emporté par 4536 voix sur un candidat adéquiste. Nommé ministre de la Justice, M. Bellemare devait rapidement démissionner, en désaccord avec son chef.
Élection partielle en 2004, donc. Cette fois, l’ADQ a l’appui des auditeurs de CHOI, la station de radio où sévit – il a depuis été congédié – l’animateur Jeff Fillion.
Mario Dumont avait appuyé la station dans sa bataille (perdue) contre le CRTC.
L’adéquiste Sylvain Légaré l’emporte avec 4500 voix de majorité sur le candidat libéral.
En 2007, la donne est différente. M. Légaré est toujours là, mais il fait face à plus forte opposition qu’en 2004. Les libéraux ont en effet recruté l’ex-éditeur du Journal de Québec, Jean-Claude L’Abbée. Et les péquistes pourraient miser sur Jean-François Bertrand, fils de l’avocat Guy Bertrand, celui-là même qui voudrait opposer une « équipe Québec » à Team Canada lors des tournois internationaux de hockey.
« L’ADQ avait gagné par défaut, en 2004, rappelle le sociologue Simon Langlois. Le taux de participation avait été très faible et les péquistes étaient restés chez eux. »
Sylvain Légaré, le député adéquiste, ne s’attend d’ailleurs pas à une campagne facile : « Ça va être une lutte à trois, c’est clair. » Mais il refuse de se laisser intimider par la notoriété de son adversaire libéral : « M. L’Abbée va devoir défendre le bilan libéral, bonne chance ! »
Incidemment, l’ADQ est loin de constituer une incongruité dans le paysage politique de la grande région de Québec, précise M. Langlois. « C’est le territoire qui était resté fidèle jusqu’au bout aux créditistes, et même à l’Union nationale. Il y a toujours eu un fond conservateur. »
Une bonne performance dans la région de la Capitale et dans certaines autres, comme la Mauricie, aideraient le parti de Mario Dumont à atteindre l’objectif de 20 % des voix et de 12 députés, qui en ferait un parti reconnu. Avec les privilèges que ce statut confère.
Mais à ce stade-ci, précise M. Langlois, il faut d’abord se demander si la remontée de l’ADQ ne sera pas un feu de paille. Comme la dernière fois…


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