La bande à Robert

Comment espérer que le reste du pays se restreigne le moindrement si l'Assemblée nationale est incapable de condamner de façon unanime les activités illégales d'Option Canada?

Option Canada - Rapport Grenier - les suites

Un curieux hasard a voulu que le rapport sur les activités d'Option Canada soit publié au lendemain des élections législatives à l'Île-du-Prince-Édouard, où les libéraux de Robert Ghiz ont remporté 23 des 27 sièges.
En octobre 1995, M. Ghiz était étudiant au département de sciences politiques de l'université Bishop, à Lennoxville, en Estrie. Il faisait partie des 380 étudiants qui avaient fait l'objet d'une plainte de la part du comité du OUI parce qu'ils étaient inscrits illégalement sur la liste électorale en prévision du référendum.
Le jour du référendum, le représentant du OUI au bureau de scrutin no 39 du comté de Saint-François, où M. Ghiz a voté, l'avait entendu jurer qu'il était domicilié au Québec. Bien entendu, il ne l'avait pas cru. Il avait bien une «school address» à Lennoxville, au 5 Little Forks, mais sa véritable résidence était située sur North River Road, à Charlottetown. À l'époque, son père était premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard.
Comme la plupart de ses camarades visés par la plainte, le jeune Robert n'a pas été inquiété par le Directeur général des élections du Québec. D'ailleurs, sur les 54 étudiants reconnus coupables en 1998, moins de la moitié ont payé l'amende.
En 1995, voter illégalement pour le NON n'était pas considéré comme une faute mais bien comme un acte hautement patriotique par ces jeunes Canadiens temporairement attirés par les charmes de la «Belle Province».
Par la suite, M. Ghiz a poursuivi son apprentissage de la politique à Ottawa, dans les cabinets libéraux, notamment aux côtés de Sheila Copps, alors ministre du Patrimoine, qui se disait fière d'avoir contribué généreusement au financement d'Option Canada. Il a ensuite poursuivi son ascension au bureau de Jean Chrétien.
Aujourd'hui, le nouveau premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard peut donc légitimement se vanter d'avoir contribué à sauver son pays. Personne dans sa province ne songerait à lui reprocher son vote de 1995.
Quand on pense que l'ancienne députée péquiste de Laprairie, Monique Simard, avait dû démissionner en 1998 parce qu'elle avait voté à des élections municipales à Outremont, où elle résidait depuis onze mois alors que la loi en exigeait douze!
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Vu du Canada anglais, parler de démocratie québécoise est presque une contradiction. On l'a bien vu à l'occasion du scandale des commandites. N'était-ce pas la faute des politiciens québécois, qui avaient introduit leurs déplorables moeurs dans les nobles institutions canadiennes?
Enfreindre les lois du Québec ne peut constituer une atteinte à la démocratie puisqu'elles émanent d'une «nation» qui en bafoue elle-même toutes les règles. Imaginez, ces gens-là rejettent même le principe de la représentation selon la population à la Chambre des communes!
L'ex-juge Grenier a sans doute été bien timide dans ses «déclarations défavorables», mais il faut dire à sa décharge qu'il avait été cantonné dans un champ d'investigation très exigu. Il n'est ni le premier ni le dernier à se heurter au mur érigé par le gouvernement fédéral, qui interdit aux enquêteurs québécois tout accès à ses livres.
Il est impossible de dire dans quelle mesure les dépenses illégales de 539 000 $ dont M. Grenier a établi la preuve constituent simplement la pointe d'un iceberg, comme Normand Lester le prétend toujours, mais elles traduisent clairement un état d'esprit qui justifie les moyens par la fin, comme le croyaient aussi M. Ghiz et ses amis.
Peu importe que M. Grenier n'ait pas pu découvrir qui avait financé la grande manifestation du 27 octobre 1995 au centre-ville de Montréal. Comme disent les anglophones, «the proof of the pudding is in the eating». Le simple fait que ce love-in ait eu lieu démontre qu'il y a eu dépense illégale.
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Le plus désolant est de constater l'incapacité de la société québécoise de faire bloc pour au moins tenter de faire respecter ses lois. Comment espérer que le reste du pays se restreigne le moindrement si l'Assemblée nationale est incapable de condamner de façon unanime les activités illégales d'Option Canada?
Même si le premier ministre Jean Charest a été exonéré de tout blâme par le rapport Grenier, ses faux-fuyants donnent la fâcheuse impression qu'il aurait fermé les yeux s'il avait été mis au courant. Encore une fois, la nuit portera peut-être conseil, mais on n'a pas senti chez lui une bien grande indignation.
Dans l'enquête qu'il avait menée sur Option Canada après le référendum de 1995, l'ancien directeur général des élections, Pierre F. Côté, avait déjà identifié Jocelyn Beaudoin comme «le personnage le plus obscur» de cette sombre histoire.
Sa nomination au poste de délégué général du Québec à Toronto en disait aussi long sur la détermination de M. Charest à défendre la démocratie québécoise que sur son jugement politique. Le plus étonnant n'est pas d'apprendre que M. Beaudoin ait enfin démissionné mais qu'il ait pu continuer à toucher son salaire plus de 15 mois après sa suspension.
M. Grenier se montrera peut-être plus audacieux dans ses recommandations que dans ses conclusions, mais il ne faut pas se faire d'illusions sur la possibilité que les deux camps soient à égalité de moyens lors d'un prochain référendum. Aucun gouvernement canadien ne renoncera à son «pouvoir de dépenser» autant qu'il le faudra pour préserver l'unité du pays.
Certes, il importe de maintenir des règles strictes et de les appliquer au mieux. Sur les 50 000 voix qui le séparaient du OUI, qui sait combien ces dépenses illégales de 539 000 $ en ont valu au NON?
Il faudrait surtout mieux contrôler ce qui peut l'être. Robert Ghiz et ses amis sont loin d'être les seuls à avoir voté illégalement en 1995. Bien des gens sont négligents, mais il n'était pas normal de retrouver sur les listes référendaires des dizaines de milliers de personnes qui n'avaient pas de carte d'assurance maladie. Oui, je sais, il y a aussi des bulletins du NON qui ont été rejetés. Il faudrait également y voir.
mdavid@ledevoir.com


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