Réplique de Jacques Parizeau

L'interminable débat

Monsieur Limpidité !



L'éditorialiste du Devoir qui, le 7 février, a écrit [«Les craintes de Monsieur»->11669] revient une fois de plus sur l'opposition qu'il y aurait entre la poursuite de l'objectif de rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec et l'intervention de considérations plus larges: l'orientation de certaines décisions en fonction d'un intérêt public plus ou moins bien compris.
C'est un vieux débat et, après 40 ans, on aurait le goût de dire [que c'est] un faux débat puisque chacun peut choisir dans une banque de données de mieux en mieux fournie les «cas», les «exemples» qui font son affaire.
Cette fois-ci, l'exemple choisi, c'est Provigo. Voici le texte: «[...] car il est loin d'avoir été démontré qu'une intervention télécommandée par le pouvoir public a les bénéfices escomptés sur le développement économique. Dans bien des cas, de telles interventions par le pouvoir public se sont révélées coûteuses pour les déposants, sans apporter quelque avantage que ce soit à long terme. L'achat de Provigo par la Caisse en est un bel exemple.»
Provigo n'a pas été achetée par la Caisse. Elle a été créée par la Caisse. Le premier président de la Caisse, Claude Prieur, a acheté un bloc d'actions (de 30 % si ma mémoire ne me trompe pas) dans deux chaînes d'alimentation (une possédée par la famille Turmel, dans les Cantons-de-l'Est, et une autre dans le Saguenay-Lac-Saint-Jean, créée, si je ne m'abuse, par un M. Lamontagne) et dans un grossiste à Montréal, Couvrette et Provost. Il les a ensuite poussés à la fusion qui a été l'embryon de Provigo. Je peux assurer que le gouvernement du Québec n'avait pas la moindre idée de ce qui se tramait, au moins pendant la phase préliminaire.
Beaucoup plus tard, Loblaw (la famille Weston) a offert un montant tel pour les actions de Provigo que les actionnaires (y compris la Caisse) ont décidé de vendre et ont gagné beaucoup d'argent.
Provigo achetait quantité de produits agricoles au Québec. Pour protéger les producteurs agricoles, on obtint de Loblaw la promesse de révéler chaque année la valeur des produits agricoles achetés au Québec. Ce n'était pas grand-chose, et je ne sais pas si cela se fait toujours. En tout cas, Provigo ne me paraît pas un très bon exemple de ce que l'éditorialiste veut démontrer.
Dans la cour de Domtar
Comme exemple d'intervention massive de l'État dans les affaires de la Caisse, je lui suggérerai plutôt celui de Domtar, postérieur à celui de Provigo. La succession venait de s'ouvrir à la présidence de Domtar, entreprise qui, à cette époque, employait à peu près 10 000 personnes au Québec. Deux candidats étaient en lice, tous deux élevés dans le sérail, l'un francophone, l'autre anglophone.
Objectivement, l'anglophone était le meilleur mais, compte tenu de l'atmosphère qui régnait à cette époque (les indépendantistes au pouvoir), ce dernier crut améliorer ses chances en s'engageant, dans sa présentation au conseil d'administration, à ne plus investir au Québec. La Caisse, comme actionnaire, a un représentant au conseil. Celui-ci téléphone au président de la Caisse, qui téléphone au premier ministre, qui téléphone au ministre des Finances et lui demande d'acheter le contrôle de Domtar.
La SGF et la Caisse vont ensemble atteindre l'objectif demandé. Le conseil d'administration est, le plus légalement du monde, mis à la porte (sauf le représentant de la Caisse), l'anglophone est confirmé dans sa présidence après avoir fait amende honorable et, dans les deux ans qui vont suivre, Domtar ouvrira des chantiers d'une valeur d'un peu moins de deux milliards de dollars (construction à Windsor de la plus grande usine de papiers fins au Canada et modernisation de deux usines au Saguenay-Lac-Saint-Jean).
Il s'agit là d'un exemple d'intervention qui ne correspond pas à ce que la rectitude politique réclame aujourd'hui. Alors, passons.
On peut en trouver d'autres qui correspondraient mieux à ce que l'éditorialiste veut démontrer. L'achat de Vidéotron par Quebecor et la Caisse en est un dont les répercussions sur la rentabilité de la Caisse ont ouvert la porte et servi de prétexte à une profonde transformation de l'institution. À la même époque, une aventure dans la mode a eu une portée médiatique hors de toute proportion avec l'événement lui-même.
Tout récemment, la Caisse a réalisé une vaste opération qui correspond exactement à la mission dans laquelle d'aucuns voudraient la voir confinée, c'est-à-dire la préoccupation exclusive du rendement pour le bien des déposants et sans interférence de considérations d'intérêt public. C'est l'affaire du papier commercial appuyé sur des actifs.
Je serais de mauvaise foi de me servir de ce cas pour remettre en cause quoi que ce soit. La crise est universelle, et la Caisse, par l'accord de Montréal, a joué un rôle central pour limiter la casse. Il n'y a pas eu d'intervention du gouvernement, sauf celles qui lui ont été demandées par la Caisse et dont elle se félicite aujourd'hui (il est interdit de sourire).
Tout cela ne mène nulle part. La Caisse, de par sa taille, joue un rôle mondial. Elle joue aussi un rôle important au Canada et essentiel au Québec. Ici, de par sa taille même, elle est impliquée dans le fonctionnement de la société. Ne rien décider, c'est déjà une sorte de décision. Par exemple, avoir des actions dans une soixantaine de banques (dernier relevé, 31 décembre 2006) à travers le monde, un demi-milliard dans la Banque TD, presque un milliard dans le groupe Power et pas un sou dans les actions de la Banque Nationale, cela est -- veut, veut pas -- un signal, un feu vert.
En effet, des six grandes banques canadiennes, la Banque Nationale est la seule dont une société puisse prendre le contrôle jusqu'à hauteur de 65 % (dans le cas des autres, un actionnaire ne peut posséder plus de 20 %), à la condition que le reste du capital soit dispersé dans le public. Sans investir «massivement» dans la Banque Nationale, comme on me le fait dire, un placement de l'ordre de ce qu'elle fait déjà ailleurs ne serait pas sans utilité. Après tout, la Banque Nationale est la plus grande banque des PME au Québec.
Espérons que lorsque la liste des placements au 31 décembre 2007 sera publiée, on constatera que l'opération est commencée.
***
Jacques Parizeau, Ancien premier ministre du Québec
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En 1994, Parizeau mène le Parti québécois à la victoire électorale, formant un gouvernement majoritaire convaincant et devenant premier ministre du Québec. Parizeau promet de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec dans la première année de son mandat, et malgré des objections de toutes parts, il respecte sa promesse. Il fixe la date du référendum pour le 30 octobre 1995. Au début, l'appui à la souveraineté se situait à environ 40 % dans les sondages d'opinion. À mesure que la campagne avance, toutefois, les appuis à l'option du « Oui » se mettent à monter. Malgré cela, l'option souverainiste plafonne, et Parizeau fait l'objet de pressions pour s'adjoidre les services de Lucien Bouchard, le chef extrêmement populaire du Bloc québécois, perçu comme plus modéré et plus pragmatique, en le nommant "négociateur en chef" advenant la victoire du "Oui". Pour le succès de la cause, Parizeau accepte ainsi de jouer un second rôle pour la suite de la campagne.

{[Wikipedia->http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Parizeau]}





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