L'immigration, un faux remède pour l'économie?

Immigration — une politique de dénationalisation



Benoît Dubreuil (à droite) et Guillaume Marois viennent de publier Le remède imaginaire, un essai qui soutient qu'en matière économique, l'immigration est loin d'être une panacée.
Photo: André Pichette, La Presse


Paul Journet La Presse - La ministre de l'Immigration, Kathleen Weil, devrait bientôt annoncer un plan quadriennal d'immigration. Québec prévoit garder le cap et accueillir 50 000 immigrants par année. L'objectif : contrer le vieillissement de la population et pourvoir à 700 000 postes sur le marché du travail. Mais l'immigration n'aura qu'un effet marginal, prévient le philosophe Benoît Dubreuil dans son essai Le remède imaginaire, qu'il signe avec le démographe Guillaume Marois.
Q Si vous écrivez cet essai, c'est parce que vous estimez que le débat public sur l'immigration est mal engagé?
R Oui. L'immigration ne peut pas avoir un effet significatif sur le vieillissement de la population ou les besoins de main-d'oeuvre. Son rôle est marginal. Elle peut aider ou nuire, mais vraiment très peu. Cette idée n'est pas du tout controversée dans la littérature scientifique. Au contraire, elle fait consensus. Mais elle est complètement absente des médias et du discours des politiciens, qui considèrent l'immigration comme une nécessité démographique et économique.
Q N'est-ce pas réducteur de considérer seulement ces aspects de l'immigration? N'y a-t-il pas aussi des considérations politiques et morales?
R C'est une bonne question. Il faut d'abord rappeler que nos programmes d'immigration sont complexes. Ils comportent différents volets qui visent différents objectifs. Par exemple, l'accueil des réfugiés et les regroupements familiaux (gérés par le fédéral) ont des visées humanitaires. Environ 30% des immigrés en bénéficient. Si ces personnes réussissent mal sur le marché du travail, ça ne remet pas en question ces programmes, car ce n'est pas leur but. Notre essai porte seulement sur l'immigration sélectionnée, qui relève du provincial. Le gouvernement la justifie en parlant d'abord de vieillissement de la population et de main-d'oeuvre. Nous vérifions si l'immigration peut remplir cet objectif, mais nous ne traitons pas des finalités de l'immigration.
Q Pourquoi l'immigration ne remplit-elle pas ces deux objectifs?
R D'après les chiffres du gouvernement, si on accepte 43 000 immigrants par année, en 2030, le ratio des personnes âgées de 65 ans et plus par rapport aux personnes en âge de travailler sera de 0,46. Si on accepte plutôt 60 000 immigrants par année, le ratio sera alors de 0,44. Bref, même si on augmente de beaucoup l'immigration, cela ne changera pas grand-chose.
Q Pourquoi?
R Parce que l'immigration augmente la taille globale de la population et du marché du travail, mais elle ne change pratiquement pas la structure relative de l'économie et la structure par âge de la démographie. Le profil des immigrés ne diffère pas assez de celui des natifs pour infléchir les tendances démographiques. Aussi, les immigrés n'occupent pas vraiment plus d'emplois qu'ils n'en créent. La façon la plus efficace de lutter contre ces problèmes, c'est d'avoir des programmes qui favorisent la natalité et de hausser l'âge de la retraite.
Q Mais les immigrés font plus d'enfants que les natifs. Cela ne finira-t-il pas par rajeunir la population?
R Pas vraiment. Au Canada, on a calculé que le taux de fécondité des immigrées (1,9) n'est pas beaucoup plus élevé que celui des autres femmes (1,6). Et les immigrées comptent pour 10% de la population. Cette différence a donc un impact minime. En plus, les immigrées de deuxième génération ont un taux de fécondité un peu plus bas que les autres femmes. On oublie que le taux de fécondité dans le Maghreb et dans d'autres régions du monde s'approche maintenant de celui du Québec. J'ajouterais que les immigrées viennent des classes les plus urbaines et scolarisées de leur pays d'origine et qu'elles font moins d'enfants que leurs compatriotes.
Q L'immigration ne permet-elle pas d'attirer des cerveaux dont le Québec n'a pas dû payer la formation? À certains égards, le Québec n'est-il donc pas doublement gagnant?
R Les immigrés proviennent de tranches d'âge trop variées pour obtenir ce genre de gain économique. Les jeunes déjà formés et qui commencent à travailler ne sont pas les plus nombreux. D'autres groupes sont plus représentés, comme les trentenaires qui ont déjà commencé leur vie active. Quant aux jeunes de moins de 15 ans (20% des immigrés), ils représentent pour l'État une structure de coûts similaire à celle des natifs.
Q Faudrait-il modifier les critères de l'immigration sélectionnée?
R Les critères dépendent de l'objectif visé, et nous ne voulons pas débattre des finalités de l'immigration. Mais si on souhaite améliorer l'intégration au marché du travail, on sait qui à qui donner la priorité: les plus jeunes qui parlent français et qui ont étudié au Canada ou dans un pays où la qualité de l'éducation est élevée. Pour cela, on pourrait changer la grille de pointage pour donner un maximum de points aux 25 ans et moins plutôt qu'aux 35 ans et moins. Sauf que, bien sûr, cela diminuerait le bassin d'immigrants disponibles. Dans notre livre, nous montrons aussi que, si le Québec élevait sa note de passage à ce qu'exige le Canada, cela diminuerait de moitié le nombre d'immigrants. En parallèle, on pourrait toutefois améliorer notre marketing à l'étranger pour attirer ces candidats.
Q En mai dernier, le vérificateur général du Québec a soutenu qu'on ne connaît pas la capacité réelle d'accueil du Québec. Estimez-vous que la cible de 50 000 immigrants par année est bonne?
R J'hésite toujours à parler de chiffres, car on ne peut pas en parler sans les lier à la politique d'immigration. Mais on peut dire que, en ce moment, on a pratiquement toutes les raisons de penser qu'avec nos critères de sélection et les résultats sur le marché du travail, on va se retrouver avec des populations importantes qui auront, de façon durable, des difficultés financières.
Q Si on accueillait moins d'immigrants, cela poserait-il un problème moral?
R Je ne pense pas. Le Québec choisit d'abord ses objectifs - que ce soit simplement augmenter la diversité, la présence du français, rajeunir la population ou améliorer l'économie. Il doit ensuite faire connaître clairement ses critères de sélection pour atteindre cet objectif. Les nouveaux arrivants choisissent ensuite en conséquence. C'est un rapport contractuel.


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