Québec a mal évalué sa capacité d'intégrer les immigrants

Immigration — une politique de dénationalisation


Robert Dutrisac Québec — Le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, juge qu'il y a plusieurs «signes» qui indiquent que le gouvernement Charest doit évaluer la capacité du Québec d'intégrer les nouveaux arrivants, ce qu'il n'a pas fait alors qu'il a porté de 45 000 à 55 000 le nombre d'immigrants reçus chaque année. Le taux de chômage élevé chez les immigrants, le manque d'arrimage entre leur formation et le marché du travail ou encore le fait qu'ils occupent souvent des postes pour lesquels ils sont surqualifiés sont autant de signes que le vérificateur a mis au jour.
Dans le tome 1 de son rapport 2010-2011, qu'il a déposé hier à l'Assemblée nationale, le vérificateur général, après s'être penché sur les pratiques du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles (MICC), note que celui-ci «n'utilise pas d'indicateurs socioéconomiques pour bien cerner la capacité réelle du Québec» à intégrer ses immigrants. «Sans évaluation, le ministère ne peut s'assurer que la province est capable de supporter les hausses progressives des volumes d'immigration», écrit-il.
Renaud Lachance a affirmé qu'il ne pouvait pas savoir si les seuils d'immigration actuels dépassent la capacité du Québec d'intégrer les nouveaux arrivants. Mais il croit que le gouvernement devrait, lui, le savoir. «C'est pour ça qu'on a invité le ministère à se donner un indicateur de cette capacité d'intégration à la lumière des signes qu'on a relevés dans notre rapport», a-t-il dit en conférence de presse.
Le vérificateur a passé au crible le système de sélection des immigrants du ministère dans la catégorie des travailleurs qualifiés, qui représentent 64 % des 49 489 admissions en 2009. Il constate que la grille de sélection de ces immigrants est «d'une efficacité limitée». Seulement 9 % des candidats sélectionnés avaient un profil qui correspondait aux domaines privilégiés par le Québec. Qui plus est, les deux tiers n'ont obtenu aucun point pour leur formation. Les candidats ont été choisis grâce à d'autres caractéristiques que celui de l'adéquation entre leur formation et les besoins de main-d'oeuvre, soit le niveau de scolarité, l'âge et la connaissance du français. M. Lachance a aussi relevé qu'un critère d'«adaptabilité» souvent appliqué ne reposait sur aucun élément mesurable.
Le MICC a fait valoir que deux visions ont cours chez les spécialistes: favoriser l'immigrant au profil généraliste qui présente de meilleures capacités d'intégration (par exemple, le diplômé universitaire qui a une bonne connaissance du français) ou encore le spécialiste dont les compétences sont en demande.
Or, les problèmes d'intégration en emploi des immigrants au Québec sont beaucoup plus importants qu'ailleurs. Le taux de chômage chez les immigrants est de 13,7 % au Québec, contre 10,7 % en Ontario. Qui plus est, l'écart entre les taux de chômage chez les immigrants et la population native est beaucoup plus marqué au Québec, presque trois plus qu'en Ontario.
Parmi les immigrants qui travaillent, 42 % occupent un poste pour lequel ils sont trop qualifiés, a aussi signalé le vérificateur.
«Ce sont là, pour nous, des signes qu'il est nécessaire que le ministère réfléchisse à sa grille de sélection et à ses pratiques de sélection», a fait valoir Renaud Lachance.
En outre, le vérificateur a noté de nombreuses erreurs dans un échantillon représentatif de demandes qu'il a scrutées. En extrapolant, c'est de 40 à 57 % des dossiers qui comportent des erreurs ou des omissions. Dans 34 à 51 % des cas, le ministère ne peut s'assurer de la justesse de la décision d'accorder ou non un certificat de sélection en raison de l'absence d'informations.
La ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, a défendu les pratiques de son ministère tout en se montrant ouverte à certaines améliorations. Faire une évaluation de la capacité d'accueil du Québec n'est pas nécessaire, a-t-elle toutefois laissé entendre, soulignant qu'une commission parlementaire portant sur les objectifs en matière d'immigration avait lieu tous les trois ans.
Quant à l'adéquation de la formation des immigrants, Yolande James estime que par rapport à l'Australie, un exemple qu'a cité le vérificateur, le Québec vivait une autre réalité. «Oui, il y a le marché du travail, mais notre politique d'immigration sert aussi à [assurer] la pérennité de la langue française», a-t-elle affirmé. La ministre a ajouté que «le bassin de francophones» parmi lesquels le Québec sélectionne ses immigrants est beaucoup plus restreint que celui des pays anglophones.
Pour la députée de Rosemont et porte-parole péquiste en matière d'immigration, Louise Beaudoin, le rapport du vérificateur est «dévastateur», «ravageur». Ce n'est pas la capacité d'accueil du Québec qui est en cause, selon elle, mais la sélection «bâclée» et une grille de sélection «inadaptée». Rappelant que 40 % des demandes d'immigration étaient accordées sans entrevue, la députée a souligné l'importance d'accompagner les immigrants avant et après leur arrivée.
Le chef de l'Action démocratique du Québec, Gérard Deltell, estime pour sa part que le Québec n'a pas les moyens accueillir autant d'immigrants et qu'on devrait rétablir le seuil de 45 000 nouveaux arrivants par an. «Ces gens-là deviennent des victimes de notre système, croit-il. Le Québec ne gagne pas et les immigrants, surtout, ne gagnent pas.»


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