Je la revois, à 82 ans, prenant le micro afin d'encourager les milliers de femmes massées devant la Place des Arts à poursuivre le combat. J'imaginais une géante. J'ai vu apparaître une vieille dame frêle à la voix douce. Mais il ne fallait pas se fier aux apparences. La militante Madeleine Parent, qui nous a quittés cette semaine, était une vraie géante dont la voix courageuse a marqué l'histoire. Son héritage est immense.
Je n'ai eu le privilège de croiser cette géante qu'une seule fois, un samedi gris d'octobre 2000. C'était à la toute fin de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté. Le gouvernement avait répondu aux revendications des militantes en leur lançant des miettes - dix cents d'augmentation du salaire minimum et 50 millions en mesures diverses. Devant une foule amère, j'ai vu cette grande dame infatigable livrer un message d'espoir. «Si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain, pourvu que nous restions mobilisées, toutes ensemble», avait-elle dit, non sans avoir dénoncé «la courte vue de nos gouvernements».
Onze ans plus tard, on cherche encore les longues-vues. Je regarde les étudiants qui manifestent depuis un mois. Je les regarde et je me dis qu'ils sont les dignes héritiers de Madeleine Parent, elle qui s'est battue dès les années 1930 pour le droit d'accès universel à l'éducation. Si sa longue maladie ne l'avait pas condamnée au silence ces derniers temps, elle aurait sans doute été dans la rue à leurs côtés, leur rappelant qu'on ne trouve pas les longues-vues si on cesse de les chercher.
J'aime beaucoup l'expression utilisée par l'écrivain Rick Salutin pour décrire Madeleine Parent: «Une volonté de fer et un collier de perles». Tout est là. D'apparence rangée, Madeleine Parent était de ces femmes qui dérangent, qui bousculent l'ordre établi avec autant d'élégance que de ténacité. Rick Salutin (aussi auteur d'un livre sur Kent Rowley, le mari de Madeleine Parent avec qui elle mena la lutte pour l'organisation des travailleurs du textile au Québec) résume par cette anecdote la combativité de cette grande syndicaliste: «Après toute une nuit de négo, c'était habituellement les avocats qui avaient l'air abattu et épuisé alors qu'elle paraissait toute fraîche, calme et coiffée, avec son collier de perles, continuant de se battre pour chaque principe».
Dans l'après-guerre, grâce au travail acharné de Madeleine Parent et de Kent Roley, les travailleurs du textile ont obtenu les gains les plus importants de leur histoire. Même lorsque les grèves ne donnaient pas les résultats attendus, Madeleine Parent y voyait des gains. «Chaque lutte syndicale enseigne au travailleur comment se battre, disait-elle. Rien n'est jamais complètement perdu.»
Dans le recueil Madeleine Parent, militante, qui se lit comme un long hommage, Shree Mulay, ex-directrice du Centre de recherche et d'enseignement sur les femmes de McGill et fondatrice du Centre communautaire des femmes sud-asiatiques, raconte sa stupéfaction quand elle a vu arriver la grande dame à une conférence du Collectif des femmes immigrantes à l'UQAM. Elle avait l'air «d'une religieuse en habit de civil». «Sur son costume gris, je cherchais une croix ou un rosaire discrètement dissimulés. Son apparence ne cadrait pas avec ses propos. Pouvait-elle être une soeur qui défendait le droit à l'avortement?»
Shree Mulay a bien ri de sa méprise quand elle a découvert la frondeuse qu'était réellement Madeleine Parente sous ses allures discrètes. Une femme qui n'avait jamais craint de lutter contre l'Église dans les années 1940 et 1950, même si on l'accusait d'être une femme de «mauvaise vie». Une femme qui ne craignait pas de tenir tête à Maurice Duplessis, quitte à être arrêtée pour «conspiration séditieuse». Une femme qui ne pouvait que devenir un mentor et une inspiration.
Féministe de la première heure, Madeleine Parent a milité pour le droit de vote des femmes aux côtés de Léa Roback. Elle a toujours eu aussi à coeur le sort des pauvres et des oubliés, qu'ils soient francophones ou anglophones, d'ici ou d'ailleurs. «L'avant-gardisme qu'elle a manifesté dans son action syndicale a débordé dans tous les domaines où elle s'est engagée», souligne Monique Simard, qui loue sa grande intelligence, sa constance et son courage.
Elle ne cherchait pas les causes spectaculaires, mais les causes justes. Elle a toujours soutenu les droits des femmes autochtones. Elle a contribué à faire changer la loi discriminatoire sur les Indiens. Elle a défendu les droits des femmes immigrantes et favorisé leur inclusion dans le mouvement des femmes. Dès que quelque chose lui semblait injuste, elle était là, fidèle au front.
Tout en souhaitant l'indépendance du Québec, Madeleine Parent a aussi toujours refusé de «tomber dans un nationalisme étroit qui exclut», rappelle Françoise David. Elle a su construire des ponts là où il n'y avait qu'une multitude de solitudes. Elle a toujours gardé le cap sur ses principes. L'héritage de cette entêtée au collier de perles est plus que jamais d'actualité.
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Les citations sont tirées de Madeleine Parent, militante. Sous la direction d'Andrée Lévesque. Les Éditions du Remue-Ménage, 2003.
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