J'ai 14 ans. Mes parents se disputent dans la pièce d'à côté. Ma mère vient d'apprendre à mon père que les sœurs de Sainte-Anne qui m'enseignent vont augmenter le coût de mes études de 6 $ à 9 $ par mois pour l'année qui vient et mon père refuse de payer. Le ton monte dangereusement. Puis mon père claque la porte. Je comprends que mes études viennent de s'arrêter là.
J'avais réussi à convaincre mes parents que je voulais faire le cours classique, ce qui était une grande prétention pour une fille d'un quartier pauvre, destinée à se marier tôt et à faire des enfants. Mon père, qui n'était pas un mauvais homme, mais un homme de son temps, répétait toujours que je n'aurais pas besoin de diplômes pour changer les couches. Le problème, c'est que j'avais en moi un profond désir d'apprendre, une curiosité insatiable qui m'incitait à chercher les réponses à toutes les questions que je me posais et la certitude qu'on ne changeait pas nécessairement les couches de la même façon quand on était plus instruite. Ma révolte était profonde.
Ma mère a décidé de trouver du travail comme femme de ménage et m'a ainsi permis de prolonger mes études de trois ans, des années qui ont probablement été les plus précieuses pour m'assurer une base solide sur laquelle j'ai bâti tout le reste de ce que j'ai appris par la suite dans la vie.
C'est sans doute la raison pour laquelle je suis de tout coeur avec les étudiants et les étudiantes qui sont dans la rue depuis des semaines. C'est pourquoi je les appuie, car je suis totalement convaincue que nous devons assurer aux jeunes l'accès à la connaissance à laquelle ils ont droit parce qu'ils sont au monde et que c'est le minimum requis pour tirer le meilleur parti de cette vie qui leur a été donnée sans qu'ils aient leur mot à dire sur le sujet.
L'éducation ne peut pas être d'abord une question d'argent. Ce qu'on appelle en ce moment la «marchandisation du savoir» est une autre invention du monde capitaliste, où tout doit être mesuré à l'aune du roi dollar.
L'argument du gouvernement est que nous n'avons pas l'argent pour rendre l'éducation gratuite au Québec. La ministre elle-même prétend que «chacun doit faire sa part».
Notre bien-aimé premier ministre n'arrête pas de lancer l'argent par les fenêtres. Je ne crois pas qu'on peut lui reprocher d'avoir beaucoup hésité au moment de promettre un aréna à Québec ou de construire des routes pavées d'or pour l'industrie minière alléchée par son Plan Nord. Il y a neuf ans que ce gouvernement se comporte comme les vendeurs du temple et qu'il vend même son honneur pour garder les deux mains dans la caisse.
C'est une affiche lors d'une manif qui a retenu mon attention en particulier. On pouvait y lire: «Un peuple de non-instruits est plus facile à manipuler.»
On aurait tort de penser que, quand les jeunes sont dans la rue, ils perdent leur temps. Je pense au contraire que ce sont des heures précieuses de découvertes qu'ils ne feraient pas autrement. Ils découvrent l'art subtil du fonctionnement policier, ils découvrent aussi qu'ils doivent se défendre d'une infiltration sournoise de fauteurs de trouble qui n'ont pour but que de nuire à la cause. Ils apprennent comment communiquer le message, comment garder les jeunes motivés et comment convaincre les parents et les professeurs de les rejoindre en grand nombre. Ils sortiront de l'exercice de meilleurs citoyens, plus engagés et plus soucieux de ce que des élus ordinaires peuvent faire en leur nom.
On parle beaucoup de gouverner autrement, c'est la formule à la mode en ce moment. Mettons-y vite du contenu avant que quelqu'un d'autre ne le fasse à notre place.
Regardons en face le gaspillage éhonté que le gouvernement fait de nos avoirs collectifs, du trou budgétaire que le gouvernement Charest va nous laisser quand le grand homme se sera trouvé une planque dorée quelque part dans le monde. Encourageons-le à aller s'épivarder ailleurs et retroussons-nous les manches. Quand nous aurons arrêté l'hémorragie qui vide nos coffres de l'argent que nous y mettons, nous aurons sans doute les moyens de faire instruire nos enfants sans en faire des «endettés» chroniques.
Qui sont les 37 % de citoyens qui ne paient aucun impôt au Québec? Si on y jetait un coup d'oeil d'un peu plus près? Il se peut qu'une partie de la solution soit là.
En attendant, vous les parents, vous devriez accompagner vos enfants le 22 mars lors de la grande manif. Ne serait-ce que pour leur dire que vous les aimez. Et que vous les appuyez. Ça crée des liens très forts qui durent longtemps.
À la mémoire de Madeleine Parent
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé