Mort d'André Patry : la disparition d'un humaniste

André Patry suivait pas à pas l'évolution du Québec, lui portant un amour à la hauteur de ses exigences.

Nos disparus - 2012


Lucien Bouchard - Associé au cabinet Davies Ward Phillips&Vineberg, l'auteur a été premier ministre du Québec de 1996 à 2001.

La mort de M. André Patry passera sans doute inaperçue auprès du grand public québécois. Il n'en sera pas ainsi cependant pour ceux qui ont pu admirer l'étendue de la culture et la vivacité intellectuelle de cet humaniste largement autodidacte.
André Patry, ce fut d'abord, pour moi, l'une de ces heureuses rencontres qui peuvent jalonner un parcours de vie. Denis de Belleval et moi l'avions comme professeur respectivement aux facultés de sciences sociales et de droit de l'Université Laval, au début des années 60. Il avait lu quelques articles de nous dans le journal Le Carabin que nous dirigions. Sa curiosité fut piquée, si je me rappelle bien, par un texte sur Malraux que j'avais signé. Cela nous valut une invitation au restaurant Marino, alors l'une des meilleures tables de Québec. Cette première rencontre fut suivie de bien d'autres, souvent à l'occasion de repas qui nous sortaient de l'ordinaire des «steaks hachés» du café Buade (59 cents, soupe et desserts compris). Je me souviens en particulier d'un dîner au restaurant Nanking, détruit depuis par un incendie, où notre hôte nous avait fait déguster un poulet apprêté selon une recette sophistiquée des mandarins de Pékin.
Écouter André Patry, c'était marcher sur les crêtes de l'histoire, de la politique, de l'art, surtout de la littérature. Nous le respections comme un maître dans le plein sens du mot, c'est-à-dire, un inspirateur qui nous appelait aux plus hauts défis. Il y avait quelque chose d'exotique et même d'un peu mystérieux dans les voyages qu'il nous décrivait à son retour, des sommités et des curiosités qu'il avait trouvées sur sa route. Il avait connu des personnages comme De Gaulle, Habib Bourguiba, (le libérateur de la Tunisie), travaillé auprès de Paul-Henri Spaak (Secrétaire général de l'OTAN), et surtout assidûment fréquenté André Malraux, mon héros de l'époque.
Il parlait je ne sais combien de langues, dont l'italien, l'espagnol, l'arabe, l'anglais. Le français, il le savourait, le cultivait avec passion. Il suivait pas à pas l'évolution du Québec, lui portant un amour à la hauteur de ses exigences. Conseiller de premiers ministres, diplomate, professeur, écrivain éclectique, journaliste, il a tenu à se cantonner dans les coulisses, par discrétion, goût de la liberté et protection de son sens critique.
Nous ne nous sommes jamais perdus de vue durant ces dernières cinquante années. Il avait toujours une surprise en réserve, par exemple, à Paris, m'amenant chez la duchesse de La Rochefoucauld ou, à Montréal, m'apportant un livre «à dévorer tout de suite» ou une photo en noir et blanc qu'il avait prise en 1950 du sanctuaire de Delphes. La dernière fois que nous nous sommes vus, il avait préféré manger à mon bureau plutôt qu'en ville où nous nous rencontrions d'habitude. Il ne voyageait plus qu'en métro auquel il avait accès directement de son appartement à Westmount.
À 90 ans, il irradiait la jeunesse d'esprit. Il habitait seul au milieu de ses livres, de ses souvenirs de voyage, de tableaux et de manuscrits rares. Je ne l'ai jamais vu s'apitoyer sur lui-même et encore moins se réfugier dans la nostalgie, n'exprimant de regrets que pour les livres qu'il n'aurait pas le temps de lire et les voyages qu'il n'avait pu faire.
Lui, si discret, n'aurait probablement pas voulu qu'on souligne son départ. Il ne pensait peut-être même pas laisser un vide derrière lui. Pourtant, c'est bien ce que ressentent les disciples et amis qui ne l'oublieront pas.


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