Récemment à Montréal, j'ai été frappé par le nombre femmes voilées qu'on y voit. J'arrivais pourtant de Paris, qui est l'une des premières villes musulmanes d'Europe. La France abrite en effet la plus grande communauté musulmane du continent européen. Comment expliquer qu'au grand marché de la Place des Fêtes, dans un arrondissement populaire de Paris, on ne voit pas plus de femmes voilées qu'au marché Jean-Talon de Montréal?
L'an dernier, j'avais constaté la même chose aux Pays-Bas. Dix ans plus tôt, j'y avais à peine remarqué quelques femmes voilées. Aujourd'hui, elles sont partout. Avec pour conséquence que le pays vit une crise profonde et qu'il est aux prises avec une extrême droite parmi les plus radicales en Europe.
S'il y a si peu de voiles en France, c'est probablement à cause de l'opinion publique. Les Français, et cela comprend des millions de Maghrébins, sont réticents à l'affichage des convictions religieuses dans le domaine public. Résultat, le voile, qui est pourtant autorisé dans tous les lieux publics, se fait discret et les minorités religieuses respectent sans trop rechigner cette règle non écrite.
On sait par ailleurs que la France a choisi en 2004 d'interdire le port du voile à l'école et de tout signe religieux ostentatoire. Le débat avait été virulent. Comme d'autres, je m'étais alors opposé à une mesure qui me semblait trop radicale. Trois ans plus tard, je dois cependant admettre que cette loi approuvée par une majorité d'enseignants a réglé le problème. Elle n'a évidemment pas intégré les immigrants d'un coup de baguette magique. Mais précisons que les problèmes des banlieues françaises ne revêtent jamais un caractère religieux.
La loi a mis fin à l'escalade intégriste. À l'époque, certaines familles allaient jusqu'à réclamer l'exclusion de leur fille des cours d'éducation physique et de sciences naturelles. Ce débat est clos. La première année d'application de la loi, à peine 639 familles ont protesté. Le problème a été réglé par la discussion dans l'immense majorité des cas. En 2005, on ne recensait plus qu'une douzaine de cas litigieux. Les musulmans n'ont pas quitté l'enseignement public ni fondé de nouvelles écoles privées comme je le craignais. L'infime minorité d'intégristes concernée s'est simplement pliée à la volonté de la majorité.
Au fond, cette loi fait aujourd'hui l'affaire de l'écrasante majorité des musulmanes qui ne portent pas le voile. Sans oublier celles à qui on aurait voulu l'imposer. La loi fait d'ailleurs des petits, notamment en Belgique, où de nombreuses écoles interdisent le voile. Malgré une tradition juridique très différente, le Conseil d'État belge affirmait récemment que l'interdiction du voile ne contredisait nullement le principe d'égalité et de fraternité.
La France interdit aussi aux employés de l'État le port de signes religieux ostentatoires. Contrairement à la précédente, cette règle n'a jamais fait débat. Je ne connais pas un Français qui ne considère pas qu'un État laïque doit être neutre dans ses gestes comme dans sa représentation. Les Français ne sont d'ailleurs pas les seuls à penser ainsi puisque plusieurs länder allemands ainsi que de nombreuses écoles belges et suisses interdisent aussi le port de signes religieux aux enseignants.
Servir l'État implique en effet des devoirs qui posent nécessairement certaines limites aux droits de l'individu. Au Québec, cela implique par exemple l'obligation de parler français. On présume aussi qu'un policier n'a pas le droit d'afficher ses convictions politiques sans retenue. Les fonctionnaires doivent avoir une tenue et un langage corrects. Pourquoi ces devoirs ne comprendraient-ils pas l'obligation de demeurer discret sur ses convictions religieuses?
Ce devoir de réserve est particulièrement important dans l'administration de la justice. Imagine-t-on un juge portant la kippa qui condamne une femme voilée, ou une policière voilée arrêtant un jeune juif? L'école est un lieu tout aussi délicat. C'est d'ailleurs la Cour européenne des droits de l'homme, pas vraiment du genre laïciste, qui affirmait en 2004: «Aussi semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d'autrui et surtout d'égalité et de non-discrimination que dans une démocratie, tout enseignant doit transmettre à ses élèves».
Il est stupéfiant de constater à quel point la Fédération des femmes du Québec, qui vient de se prononcer pour le port du voile par les employés de l'État, refuse de se poser ces questions. Obnubilée par la seule religion des droits, érigés en absolu, la FFQ va jusqu'à renier ses propres convictions féministes en refusant même d'admettre que le voile islamique est un symbole d'oppression des femmes. Il n'y a pas le moindre mot là-dessus dans le communiqué qu'elle a émis le 9 mai dernier!
Ce faisant, la FFQ défend la vision d'une société multiculturelle de type néerlandais ou britannique, où la laïcité de l'État et l'égalité entre les hommes et les femmes doivent s'effacer devant l'expression des particularismes religieux. L'expérience montre pourtant que cette façon d'agir encourage au contraire l'expression de ces particularismes.
Faudra-t-il attendre de ressembler aux Pays-Bas pour le comprendre?
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crioux@ledevoir.com
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