La Fédération des femmes du Québec a adopté en assemblée générale le 9 mai dernier une résolution qu'elle décrit elle-même comme étant celle du «ni obligation-ni interdiction». Cette résolution concerne le port de signes de nature religieuse par les salariés de la fonction publique québécoise. Mais il est avisé de nommer un chat un chat: il est question du port du voile islamique.
Cette résolution dite du «ni-ni» évoque une réelle tension politique entre les tenantes d'un intégrisme laïque et apparent et celles qui voient dans ce «ni-ni» l'expression d'un équilibre dicté par les termes de la Charte des droits et libertés du Québec elle-même, et notamment par les protections offertes tant au chapitre de la liberté de croyance qu'à celui de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Rien de neuf
Le débat n'est pas nouveau: dans la foulée des travaux de la commission Bouchard-Taylor, le Conseil du statut de la femme a adopté un avis qui proposait l'interdiction totale du port de signes religieux ostentatoires chez les fonctionnaires québécois. Bouchard-Taylor a repris en partie seulement cette proposition en recommandant la plus grande retenue parmi les fonctionnaires en situation d'autorité (juges, policiers, etc.).
Le même débat s'est manifesté dans le contexte de l'adoption du projet de loi 63 amendant la Charte. À l'origine, celui-ci proposait que la norme d'égalité entre les sexes puisse limiter les pouvoirs des tribunaux d'imposer des accommodements qui prescriraient la tolérance du port de signes religieux. Au bout du compte, l'égalité entre les sexes a été consacrée à titre de norme interprétative et non de norme restrictive.
La Charte malmenée
Encore une fois et malgré le récent débat, la Charte et le respect des droits des femmes sont malmenés sans qu'on le dise. D'abord, soulignons l'incroyable aisance avec laquelle est profilée la communauté des femmes appartenant par l'origine au polysémique «monde arabe». La seule affirmation qu'il faut penser pour elles toutes a de quoi estomaquer et s'inscrit à la limite de la discrimination ou du paternalisme néocolonial.
Soulignons ensuite que, pour certaines, la protection de la liberté de religion prévue par la Charte québécoise est de l'ordre de la nuisance oppressante pour toutes les femmes. Ainsi, il vaut mieux escamoter la question et miser sur la quasi-laïcité de l'État québécois, en tolérant, par exemple, le non moins quasi patrimonial crucifix attaché au mur de l'Assemblée nationale. Ce détour bien utile nous laisse croire que l'un s'oppose à l'autre, ce qui est inexact sur le plan juridique. Car l'État n'est pas désincarné et on peine à identifier en quoi la croyance particulière d'une fonctionnaire et qui serait visible, sinon ostentatoire, porte atteinte à la neutralité des services qu'elle rend.
Vision simpliste
De plus, les opposantes au «ni-ni» proposent une vision simpliste du droit des femmes à l'égalité. Les protections renforcées du droit des femmes à l'égalité font appel à toutes et chacune des dimensions de leur vie, y compris lorsqu'il s'agit de leur droit au travail. [...]
Celles pour qui les garanties d'égalité ne demeurent encore qu'une aspiration parce que la société québécoise d'accueil préfère discuter de ce foulard qu'elle ne saurait voir. Dans ce contexte, il n'y a qu'un pas à franchir pour conclure que la société québécoise règle ses comptes avec le catholicisme sur le dos des travailleuses québécoises qui comptent parmi les plus vulnérables.
Besoin d'un emploi et plus...
Ainsi, il est difficile de croire que, par magie, la disparition visuelle du foulard réglera le problème de la faible présence des Québécoises de fraîche date dans la fonction publique. Pour élargir un peu le débat, on doit aussi tenir compte de la présence importante de femmes d'origine arabe dans le secteur para et péripublic et dont on tire avantage de la surcompétence en échange de salaires de misère. Car cette semaine, personne n'a encore soulevé la question de savoir ce qu'on entend au juste par le secteur «public» et on pourrait imaginer que le paysage visuel des Québécois soit confondu avec ledit secteur. [...]
Il faudrait donc soupeser, dans le débat actuel, l'intérêt du gouvernement québécois de maintenir l'attention sur la réfection la plus économique de la Charte que l'on puisse imaginer en cette ère de privatisation et de crise économique: la consécration d'une égalité de neutralité visuelle au Québec. Quelle aubaine!
Le respect de l'autre femme
Nous ne nions pas non plus que l'histoire des religions permet de conclure en général à l'oppression des femmes et que le port du foulard est un signe fort de cette oppression. Mais nous nous méfions des raccourcis.
Les soussignés croient que la dignité humaine passe par le respect de l'autre, y compris de l'autre femme, et croient que ce respect exige que chacun chemine à son rythme dans la société d'accueil, et ce, en fonction des valeurs communes et reconnues. Il nous semble donc malsain et contraire à la Charte d'encourager de fausses oppositions, telle celle entre laïcité et liberté de croyance ou encore celle entre égalité et liberté de religion. Et il nous apparaît non moins malsain de prétendre qu'il existerait des groupes ciblés de femmes pour qui la Charte aurait une valeur relative, partielle ou redessinée.
Puisse au moins l'Assemblée nationale se rappeler que, dans une société, tout ne tient pas de la partisanerie ou du match nul. Et saluons le courage des membres de la FFQ qui ont bien dû sentir que ce vote ne serait pas sans conséquence.
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Ont signé ce texte: Pierre Bosset, professeur de droit public au département des sciences juridiques de l'UQAM; Andrée Côté; François Crépeau, professeur Oppenheimer de droit international à l'Université McGill; Lucie Lamarche, professeure titulaire à l'Université d'Ottawa; Jean-Guy Ouellet, chargé de cours en sciences juridiques à l'UQAM; Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés; Louise Riendeau, coordonnatrice des dossiers politiques au Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale.
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