Le voile : suite et fin

Port de signes religieux


Bonjour et merci à ceux et celles qui ont réagi à mon texte de la semaine dernière. Je voudrais simplement répondre à quelques interrogations, ce qui me donnera l’occasion de préciser ma pensée.
Si le titre de ce blogue indique « suite et fin », ce n’est pas parce que le débat sur la laïcité au Québec est terminé, loin de là! Mais c’est tout simplement parce que, la semaine prochaine, j’aurai envie de vous parler d’autre chose!
Alors, allons-y.
1. Un-e employé-e de l’État doit-il être une personne totalement neutre à tous points de vue? Je ne le crois pas. À mon avis, les institutions publiques doivent manifester leur neutralité de la façon suivante: ne prendre parti pour aucune religion, croyance particulière ou absence de croyance. Mais puis-je demander aux 500,000 employés-es de l’État de devenir une sorte de corps anonyme, homogène, sans opinion et sans diversité? À mon avis, cela n’est pas réaliste. Ce que je veux, c’est obtenir des services de l’État, donnés par des gens compétents et respectueux de la clientèle, que ces gens soient croyants ou incroyants, de droite ou de gauche. Est-ce que cela me dérangerait qu’une préposée portant une croix ou un voile donne des soins à ma belle-mère qui réside dans un centre pour personnes âgées? Pas du tout et je sais que cela ne la dérangerait pas non plus en autant que les soins soient donnés avec gentillesse et efficacité. Évidemment, il ne saurait être question de tolérer le moindre prosélytisme.
En somme, je plaide pour le maintien de la situation actuelle : il y a dans les services publics des travailleuses et des travailleurs portant des signes religieux. Pourquoi, subitement, voudrions-nous interdire quelque chose qui ne soulève aucun tollé au quotidien?
1. Ne pas interdire le port du voile dans la fonction publique et les services publics revient-il à appuyer les intégristes?
Ne pas interdire le port d’une croix très visible, revient-il à appuyer le pape Benoît XVI dans ses opinions sur l’avortement, la contraception et l’ordination des femmes? Poser la question, c’est y répondre.
Le voile est un symbole d’infériorisation des femmes, c’est là mon opinion. Et à Montréal, je suis convaincue que des pressions familiales ou sociales (dans certaines communautés musulmanes) amènent des femmes à le porter. Mais je sais aussi que certaines femmes musulmanes choisissent de le porter pour des raisons identitaires, religieuses ou politiques.
Je refuse de voir en chacune des ces femmes une agente d’un islam fanatique et fondamentaliste. Ça n’est pas la réalité. Ces temps-ci, des tenants d’une laïcité totale se plaignent d’intolérance face à leurs points de vue et cela existe. Je puis vous affirmer, par contre, que j’ai reçu plusieurs courriels franchement intolérants, voire haineux, à l’égard des musulmans-es et des populations arabes, venant de personnes se disant pour une laïcité complète des institutions politiques. Bref, l’intolérance est bien répartie dans notre société!
Je suggère que nous cherchions à comprendre les opinions et modes de vie de nos compatriotes musulmanes portant le voile plutôt que de les « démoniser ». Cela rendra le débat plus facile.
Je rappelle enfin, que la position de la Fédération des femmes du Québec était : ni obligation, ni interdiction. Dans l’effervescence du débat, on a un peu oublié l’aspect : ni obligation. Autrement dit, nous avons le devoir d’accorder notre entière solidarité à toutes celles que des maris ou des lois veulent forcer à porter le voile et à se conformer à des préceptes religieux discriminatoires.
Plusieurs réclament un débat public sur la laïcité au Québec. C’est une excellente idée. Car il faudra bien un jour nous mettre d’accord sur la signification de ce mot et sur le choix du modèle de laïcité que nous voulons.

N’ajoutons pas un voile au voile!
19 mai 2009

Que n’a-t-on pas dit, la semaine dernière sur le voile! J’en rajoute un peu aujourd’hui en vous racontant un pan de ma vie.
J’ai été élevée dans « l’eau bénite » comme la plupart des femmes de ma génération. Ma mère, une femme intelligente et généreuse, était très croyante et très attachée aux rites et aux préceptes religieux. C’est ainsi que j’ai fait carême, porté un voile à l’église, mangé du poisson le vendredi (d’infects bâtonnets congelés!), récité le chapelet lors du mois de Marie, etc. Ma mère consultait son confesseur pour les décisions importantes de sa vie. Elle m’interdisait de lire des livres « à l’index ». Oui, j’ai connu tout ça!
Mais j’ai eu une enfance heureuse puisque tout cela me paraissait normal. J’y adhérais sans me poser de questions. Jusqu’à la fin du secondaire. Là, j’ai commencé à douter, à me rebiffer, à ne plus avoir envie d’être une enfant de Marie. À lire les livres interdits par ma mère, à voir en cachette des films défendus. Il faut dire que le Québec changeait aussi! J’ai tout laissé tomber, croyances religieuses, pratiques, rituels, interdits. Je ne suis pas devenue anticléricale mais indifférente à tout ce qui touchait le religieux. C’était sorti de ma vie.
Je suis devenue une militante de gauche et, par la suite, féministe. C’est alors que j’ai compris comment toutes les religions, et surtout leurs maîtres, oppriment les femmes. On l’a vu et on le voit encore dans des pays musulmans fondamentalistes. On voit aussi l’influente Église catholique, en Amérique latine, soutenir fortement les gouvernements qui, partout, refusent aux femmes le droit à l’avortement.
En 1995, nouveau choc « culturel » dans ma vie. Avec la Fédération des femmes du Québec, nous organisons la marche Du pain et des roses. Et je découvre avec stupeur des réseaux de femmes laïques ou religieuses catholiques… et féministes! Elles hébergent et nourrissent des marcheuses, contribuent financièrement à l’organisation, signent des lettres d’appui, etc. Plus tard, certains de ces réseaux deviennent membres de la FFQ. Elles sont présentes activement dans tous les combats, se gardant parfois une réserve lorsqu’il s’agit d’avortement ou d’homosexualité, par exemple. Mais jamais elles ne votent contre le libre-choix, elles préfèrent s’abstenir.
Au début, ma perplexité est totale : comment concilier un engagement dans ce qui me paraît être l’une des institutions les plus patriarcales au monde…et militer comme féministe? À force d’observer ces femmes, à force de discuter avec elles, j’en viens à comprendre qu’elles souhaitent véritablement transformer l’Église catholique. Cela me parait être un gros parcours à obstacle. Je leur dis. Elles en conviennent…mais elles ont la foi, elles sont courageuses, patientes, déterminées.
Pour être complètement franche, elles ne m’ont pas convaincue que cette église est réformable, en tout cas, pas à court terme. Mais leur engagement aux côtés des femmes du Québec et du monde m’est apparu complètement sincère. Certaines sont devenues des amies.
Et le voile?
Vous comprendrez donc que mon regard sur les personnes qui sont engagées au sein de religions ou d’églises a changé. Je crois toujours que les églises oppriment les femmes de toutes les façons : refus de les ordonner, interdiction de la contraception et de l’avortement, prescriptions quant aux vêtements et aux modes de vie, soumission aux maris et aux religieux, sanctions comme l’excommunication ou, plus dramatique encore, la lapidation. C’est intolérable. D’autant plus intolérable que des religieux cherchent depuis toujours à imposer leurs vues aux pouvoirs politiques. C’est ce qui arrive aujourd’hui dans une partie du monde musulman où politique et religion sont intrinsèquement liées. N’oublions pas non plus les hindouistes intégristes qui ont leur parti en Inde (le BJP) et le conservatisme de l’Église catholique qui s’oppose à toute libéralisation de l’avortement en Amérique latine. Rappelons-nous enfin l’influence des chrétiens fondamentalistes sur l’ex-président des États-Unis, Georges W Bush. Tout cela je le dénonce avec vigueur.
Mais je refuse que l’on fasse subir aux femmes elles-mêmes, en l’occurrence, les femmes portant le voile, au Québec, plus de discrimination qu’elles en subissent déjà. Je pense que la plupart portent le voile à cause des pressions familiales, sociales et religieuses. Je reconnais cependant que certaines le portent pour des raisons identitaires ou politiques et qu’on retrouve parmi elles des féministes. Comme beaucoup de Québécoises, je ne comprends pas que l’on choisisse de cacher son corps ou une partie de son corps pour des raisons religieuses. Mon enfance à l’eau bénite me rappelle combien une église peut peser lourdement sur les femmes.
Mais je me rappelle aussi mon cheminement et celui de ma mère. Et je pense à mes amies religieuses. Pourquoi donc ne pas accepter que des femmes cherchent par divers moyens le chemin de leur libération? Pourquoi ne pas appuyer celles qui, à l’intérieur des églises, travaillent à les transformer? Pourquoi ne pas poursuivre sur le chemin des rapprochements et de l’intégration puisque des femmes portant le voile travaillent déjà dans la fonction publique et les services publics? À ce jour, personne ne s’est élevé pour critiquer les comportements des éducatrices en service de garde, enseignantes, infirmières, médecin, portant le voile. L’an dernier, Jean Dorion, alors président de la Société St-Jean Baptiste, a rendu un témoignage émouvant devant la commission Bouchard-Taylor, sur sa gardienne portant le voile, et qui est devenue une amie de la famille. Il avait découvert la femme sous le voile.
Et puis, imaginez… Un gouvernement dépose un projet de loi pour interdire le port de signes religieux ostentatoires dans les services publics. Une telle loi serait probablement irrecevable devant les tribunaux. Plus grave, elle diviserait grandement la population. Je vois d’ici les hauts cris des catholiques! Nous venons de vivre une semaine éprouvante où le débat a souvent cédé le pas aux invectives et même au racisme. En témoignent certains courriels reçus à Québec solidaire. A-t-on envie de vivre cela durant des mois?
Je suggère donc que nous adoptions deux mots : ouverture et vigilance.
Vigilance devant toute tentative du religieux d’infiltrer le politique. À court terme, d’ailleurs, nous devrions surveiller de près les agissements des groupes pro-vie appuyés officiellement par le cardinal Ouellet la semaine dernière. Un projet de loi conservateur pourrait bien revenir par la porte de derrière! Vigilance aussi devant les imams et devant la prolifération des Églises chrétiennes fondamentalistes, au Québec, une situation dont on ne parle jamais mais qui devrait nous inquiéter. Est-ce que l’on a la moindre idée de ce qui se dit dans ces églises le dimanche? On y prône une complète égalité entre les femmes et les hommes?
Vous, le savez-vous? Voulez-vous nous en parler?
Et finalement, ouverture : la vigilance n’empêche pas le dialogue et la compréhension. N’ajoutons pas un voile au voile, cela ne nous mènera nulle part.


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