Je voulais rédiger ce carnet, ce journal de bord politique (et parfois intime), loin de l'agitation dans laquelle j'évolue depuis cinq ans, depuis la fondation de Québec solidaire (QS). Mais l'actualité m'a rattrapée. L'effondrement du Bloc québécois et le balayage néodémocrate au Québec lors des élections fédérales du 2 mai dernier. La saga de l'amphithéâtre Quebecor-Labeaume et l'opposition courageuse de QS au projet de loi 204 destiné à accélérer ce projet de manière peu démocratique. Les soubresauts qui ont agité le Parti québécois. La sympathie exprimée dans les sondages à l'égard de l'éventuel parti de François Legault. Le rapport Duchesneau sur la corruption.
Ces événements nous montrent sur quel terrain mouvant évolue la politique ces temps-ci! Se pourrait-il qu'une population désabusée, découragée par trop de politique bêtement partisane, par l'odeur de corruption qui plane sur nos villes et villages, par la crise économique et l'arrogance de la finance et de l'industrie, en vienne à souhaiter un grand balayage? Du changement et ça presse! Mais est-ce qu'on examine d'assez près la vraie nature des changements qu'on nous promet?
Besoin de réponses
Au-delà des péripéties de la scène politique québécoise, je sens le besoin de faire le point, de mieux dénoncer ce qui m'indigne profondément, de mieux célébrer ce qui me donne espoir. [...] J'écris avec un sentiment d'urgence. Nourrie par une saine colère. Le gouvernement Charest est en train de vendre le Québec, même pas aux plus offrants: aux moins offrants! Nos terres, notre fleuve, nos paysages, le Grand Nord, nos villes et villages sont en danger. Des entreprises délocalisent des milliers d'emplois plus au sud, là où la main-d'oeuvre n'est pas syndiquée, là où les lois du travail sont encore plus complaisantes envers les patrons que chez nous. Nos services publics sont menacés. Montréal s'anglicise. Les jeunes familles revendiquent du temps auprès de leurs enfants, une vie ailleurs que dans l'éternel «métro-boulot-dodo», un environnement sain. Elles ont besoin de réponses.
D'où la nécessité de réfléchir autrement au Québec de demain. D'oser imaginer un autre développement, un autre vivre-ensemble, une autre société. Solidaire. Habitée par un sentiment de responsabilité, je veux vous proposer un projet collectif pour le Québec. J'ai confiance. Je sais le Québec capable d'autres révolutions plus ou moins tranquilles.
Un dialogue engagé
Ce carnet de colère et d'espoir, c'est la poursuite d'un dialogue engagé depuis plus de 30 ans entre vous, femmes et hommes de toutes les régions, et moi, la militante féministe, la démocrate de gauche. [...]
La colère est un moteur pour l'action. Et l'action est possible, car déjà entamée partout! Mais la colère sans l'amour est vaine. Vengeresse et revancharde. Les plus grandes révolutions, la révolution féministe par exemple, sont fondées sur l'amour pour les personnes avec qui l'on se bat, construit, discute. Avec qui l'on vit, tout simplement. Ceux et celles qui construisent le Québec aiment profondément leur territoire et les gens qui y habitent. Je veux modestement leur rendre hommage.
J'aimerais vous faire partager mon enthousiasme pour l'engagement social et politique. Oui, vous avez bien lu: enthousiasme! À 63 ans, il ne se dément pas malgré des journées parfois grises ou lassantes. Les choses changent... lentement, mais elles changent! Voyez les peuples du Moyen-Orient qui se battent pour la dignité, pour la liberté. Il y a à peine un an, qui l'aurait prédit? Ces peuples m'inspirent par leur courage. Bien sûr, ils subiront des revers. Bien sûr, il leur sera difficile de construire une véritable démocratie. La difficulté n'est pas un argument pour renoncer. Leurs masses sont encore dans la rue à réclamer des changements véritables, au moment où les jeunes chômeurs et chômeuses d'Europe manifestent d'Athènes à Madrid! Liberté d'expression, démocratie, travail, dignité, respect des droits: partout, des humains résistent à l'injustice et nous donnent l'exemple.
L'enthousiasme est parent de l'espoir. Je veux vous parler d'espoir. De celui que je porte en voyageant dans les régions du Québec depuis maintenant 30 ans. Je veux vous faire connaître des actions en cours pour sauver des villages, refaire de vrais quartiers dans des villes déshumanisées, protéger des terres et des paysages, soutenir des gens mal pris, protéger la langue française. [...]
À propos de son enfance:
C'est mon éducation familiale qui m'a conduite à l'engagement social et, finalement, politique. Ma révolte devant les injustices et les discriminations ne vient pas d'un manque d'argent ou d'accès à la beauté, aux voyages, aux droits sociaux. Justement, j'ai très vite voulu que tout le monde y ait accès! Au début, l'engagement humaniste et chrétien de mes parents m'a inspirée. J'ai conservé l'humanisme et, petit à petit, au fur et à mesure de mes propres expériences, j'y ai ajouté une compréhension politique de l'évolution du monde.
À propos de ce qu'elle est:
Si l'on veut absolument me cataloguer aujourd'hui, je dirais: une militante féministe, écologiste, à gauche de la social-démocratie et souverainiste. Une démocrate. Une citoyenne qui rejette et combat le discours d'une droite sans complexe et souvent agressive à l'égard de l'État, des fonctionnaires, des syndicats, des pauvres et des personnes immigrantes. Car cette droite n'a rien de bon à proposer pour réduire les inégalités sociales qui continuent de me révolter.
À propos de la pauvreté:
Les personnes pauvres n'ont pas choisi de l'être. Des travailleuses autonomes tombent malades, de petits entrepreneurs font faillite, des usines de bois de sciage ferment, des professionnels font une dépression dont ils ne sortent pas indemnes, des immigrantes diplômées se font refuser des emplois. Sans compter les milliers de travailleuses et de travailleurs à qui on offre seulement des emplois à temps partiel, occasionnels, sur appel ou par les agences de placement. Les travailleuses et travailleurs que l'on appelle atypiques, c'est-à-dire sans emploi régulier rémunéré à temps plein, forment le tiers de la main-d'oeuvre québécoise et vivent très souvent dans la précarité. Voilà la réalité, que beaucoup de politiciens-nés et certains médias préfèrent ignorer.
À propos de la laïcité:
Je tiens à un État laïque autant qu'à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la solidarité sociale, ou la promotion de la langue française. Ce sont pour moi des ingrédients fondamentaux (mais pas les seuls) de l'identité québécoise moderne. Par contre, je diverge d'opinion avec ceux et celles qui font de l'absence de signes religieux dans les services publics un symbole fondamental de la laïcité de l'État.
À propos de l'université:
Je plaide pour des universités résolument accessibles à qui veut y aller. Des universités qui recentreraient leur mission sur la transmission du savoir et la formation d'une pensée critique autonome. Je propose la gratuité scolaire de la maternelle à l'université. Un tel choix indiquerait clairement toute l'importance que la société québécoise devrait accorder à l'éducation. C'est ce que font, sans se ruiner, la Finlande et les pays scandinaves.
À propos des services publics:
Si j'insiste tant sur le maintien des services publics, c'est que le secteur privé me semble ces temps-ci tout envahir. Sans gêne, sans complexe, certain de son bon droit. Nous n'avons pourtant pas élu des gouvernements pour qu'ils sous-traitent à l'entreprise écoles, hôpitaux, services de garde, résidences pour personnes âgées, infrastructures routières, activités culturelles. N'a-t-on pas mille raisons de s'inquiéter de la grande proximité entre le gouvernement et plusieurs secteurs du monde des affaires?
À propos d'un Québec souverain:
Le pays du Québec existe déjà au fond de moi. Et dans le coeur de millions de Québécoises et Québécois. Le pays, ce n'est pas d'abord une chicane constitutionnelle. C'est une histoire, une culture, des institutions démocratiques, des valeurs partagées, une terre, des luttes et des projets. Un pays se respire, s'entend, se vit au quotidien dans les villes et les villages. Il s'apprivoise par ceux et celles qui le découvrent et s'y attachent. Mon pays, c'est mon peuple, ma nation. Il veut continuer à vivre, ouvrir grand ses ailes et le faire en français.
À propos de la langue:
Ce qui manque cruellement, selon moi? Une politique linguistique cohérente pour franciser les milieux de travail et redonner le goût de parler français partout, un français de qualité. Une remobilisation des mouvements sociaux, des partis politiques toutes tendances confondues, des milieux d'enseignement et même des gens d'affaires (on peut rêver!), des artistes, bref, de toute la population, autour de la langue française. Une politique culturelle digne de ce nom, qui cherche à rejoindre tout le monde, dans tous les quartiers et régions. Bref, il faut se redonner la passion de la «langue belle» chantée par Yves Duteil.
À propos de l'économie de l'avenir:
Je suis donc loin d'inventer un nouveau modèle économique. Il existe déjà! Pourquoi ne pas lui accorder toute la place qui lui revient? Après tout, l'économie sociale et solidaire fait partie de nos gènes, est inscrite dans l'ADN du Québec. Depuis au moins un siècle, depuis Alphonse et Dorimène Desjardins, depuis la création de coopératives financières et forestières, depuis que la Gaspésie a refusé la fermeture de villages et a déployé l'Opération Dignité dans les années 1970, depuis la création des premières garderies et des coopératives culturelles (le théâtre Parminou, par exemple), des leaders visionnaires cherchent à bâtir une économie alternative. Essais et erreurs compris.
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Françoise David - Présidente de Québec solidaire
Extraits du nouveau livre de Françoise David
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