Guatemala Ciudad - Le Forum social des Amériques a débuté hier [le 8 octobre 2008] et j'assiste à un atelier sur la violence envers les jeunes. Luis, 18 ans, nous raconte que 17 garçons ont été assassinés en deux mois dans une petite ville de province. Le YMCA local travaillait avec eux, les formait à devenir des leaders dans leur communauté. Est-ce pour cela qu'ils ont été tués? Ou bien, les tueurs - on ne sait trop si c'est la police, l'armée ou des milices extrajudiciaires - ont-ils pris simplement prétexte d'une descente contre les gangs de rue?
Il ne fait pas bon être jeune, au Guatemala, particulièrement dans les quartiers populaires des villes. Pris entre deux feux, les gangs et la police, bien des jeunes cherchent simplement à survivre dans un pays qui ne leur donne guère de chances. «Nous enterrons nos amis et nos rêves», dit Luis. Il ne fait pas bon non plus être autochtone, je l'ai compris en écoutant les témoignages bouleversants de femmes villageoises.
Ces temps-ci, des minières canadiennes font des ravages dans les régions autochtones dont le sous-sol est très riche: assèchement des cours d'eau qui approvisionnent les champs et les villages, destruction des maisons affaiblies par les dynamitages des mines à ciel ouvert, poursuites des minières contre les opposants (des gens sans le sou), détérioration du tissu social à cause des divisions dans les villages, rien ne va plus pour plusieurs communautés autochtones.
Loin de l'euphorie
Plusieurs autres questions sont abordées au cours de ce troisième Forum social des Amériques qui réunit 6000 personnes, militants des droits sociaux, principalement en Amérique centrale. Le Québec est bien représenté avec environ 80 personnes, surtout des jeunes. On retrouve aussi quelques Mexicains, États-Uniens et Canadiens.
Ce Forum de 2008 tranche avec celui de Caracas en janvier 2006. Cette année-là, beaucoup célébraient l'avènement de gouvernements de gauche dans plusieurs pays d'Amérique du sud. Tous les espoirs étaient permis. Ils le sont encore... mais en Amérique centrale, au Guatemala, au Honduras, au Salvador, on est bien loin de l'euphorie.
Les écarts de richesse s'accroissent. On assiste à une militarisation effrénée de sociétés où les gouvernements préfèrent les méthodes autoritaires et la répression à des changements sociaux, politiques et surtout économiques qui favoriseraient la majorité des populations. On revient aux monocultures dans des pays où les terres sont riches et pourraient nourrir convenablement tout le monde.
Pourquoi? Parce que des multinationales favorisent la culture d'agrocombustibles (le maïs, par exemple) pour produire de l'éthanol; cela pour le bien-être des pays du nord. Les villes sont extrêmement polluées, Guatemala Ciudad n'étant pas en reste! Les églises fondamentalistes pullulent et exercent un contrôle social austère sur une bonne partie de la population, en particulier les femmes. Bref, les militantes et militants écologistes, syndicaux, féministes, autochtones, ont de quoi s'inquiéter, et ce Forum est l'occasion de faire le point.
La gauche politique est interpellée par les participants, et surtout les participantes: «Quand vous déciderez-vous à travailler avec toutes les personnes - femmes, hommes, autochtones, jeunes - engagées dans la lutte contre une domination qui est aussi bien capitaliste que patriarcale et raciste? Par exemple, quand soutiendrez-vous le droit des femmes à l'avortement (à peu près inexistant en Amérique centrale)? Vous engagez-vous à respecter l'autonomie des mouvements sociaux, leurs leaders, leurs pratiques?» Des questions limpides et franches auxquelles la gauche politique centro-américaine aura le devoir de répondre.
«Brisons les murs, tous les murs!»
C'est ce qu'affirmera avec force la plénière de clôture du Forum social des Amériques. Abattons le mur qui sépare honteusement le Mexique des États-Unis et ne règle en rien les problèmes d'immigration illégale. Abattons les murs d'incompréhension entre les populations blanches, métissées et autochtones. Abattons le machisme qui pèse lourd sur les femmes. Abattons l'esprit de clocher, lui qui divise parfois les mouvements sociaux de pays différents.
Retrouvons le vrai sens de la souveraineté des peuples, disent les participantes et participants. Non à l'ingérence nord-américaine, non au contrôle des populations autochtones par des transnationales avec l'appui de gouvernements corrompus, non aux politiques simplistes reposant sur l'autoritarisme, le mensonge et la répression. Mais oui à la participation citoyenne de tous et toutes, oui à la démocratie, oui à une vision écologiste du développement économique et social. Et vivement une nouvelle gauche politique plus inclusive et plus large!
Au lendemain d'une élection canadienne qui a remis au pouvoir un gouvernement, allié indéfectible des États-Unis, un parti politique aux racines véritablement conservatrices, un chef dont le rêve est de déstructurer l'État et les programmes sociaux, sommes-nous si loin du Guatemala?
On retrouve ici aussi des groupes en attente de propositions pour mieux vivre: les nations autochtones, les personnes vivant dans la pauvreté, les nouveaux arrivants, les travailleuses et travailleurs à statut précaire. N'y a-t-il pas, ici même au Québec, un urgent besoin de projets mobilisateurs et solidaires, unissant la très grande partie de la population dans toute sa diversité? Le riche et dynamique mouvement social québécois et le parti politique dont je suis l'une des deux porte-parole incarnent, chacun à leur façon, cet espoir d'avancer vers un Québec plus juste, plus vert, plus égalitaire. Pourquoi ne pas s'y engager?
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Françoise David : Porte-parole Québec solidaire - Membre de la délégation AlterUQAM au Guatemala
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