Cré-moi, cré-moi pas..

Insolites....

Quand les députés du Parlement européen ont massivement voté pour l'interdiction du commerce des produits du phoque cette semaine, j'avais l'esprit ailleurs. Alors qu'ils étaient barricadés à Strasbourg dans leur grand hémicycle de verre et d'acier, j'ai imaginé le visage d'Alexis Tremblay. Il s'agit du héros de Pour la suite du monde, de Pierre Perrault et Michel Brault, qui est probablement le plus grand film québécois. Je me suis souvenu de la première image, dans laquelle un homme scrute l'horizon sur lequel se détache un clocher, comme s'il craignait de voir son univers s'évanouir.
J'ose imaginer que si les technocrates de Bruxelles avaient entendu la voix d'Alexis, ils auraient peut-être eu un petit pincement au coeur avant de condamner une pêche qui fait partie de la culture d'un peuple. Aujourd'hui, le film de Brault et Perrault, qui décrit une pêche aux marsouins à l'île aux Coudres, serait probablement dénoncé par les grands prêtres de la rectitude politique. Le cinéaste et le poète seraient à l'index, car ils ne braquent pas leur caméra sur ces pauvres cétacés qui s'échouent sur les côtes, mais bien sur les hommes et les femmes de l'île dont ils nous révèlent la richesse, la poésie et l'humanité profonde.
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]Que pèse aujourd'hui un Alexis Tremblay, un pêcheur de Cap-aux-Meules ou un Inuit du Labrador à côté d'un phoque sur la banquise? Ce qu'il y a de plus outrageant dans la décision des bureaucrates européens, ce n'est pas tant ses répercussions économiques que le mépris des hommes et de leur culture. Il fallait entendre Christophe Marie, qui représente la fondation Brigitte Bardot, expliquer savamment que l'industrie du phoque ne rapporte que 6 millions de dollars. Des pinottes pour un Parisien des beaux quartiers! Il n'en tenait donc qu'aux gouvernements de remplacer cette pêche par des subventions. Comment un jeune homme aussi bien élevé aurait-il pu imaginer un seul instant qu'une population fière puisse préférer gagner sa vie à la sueur de son front en pratiquant une chasse dangereuse plutôt que de vivre de l'aide sociale?
Le vote qui s'est déroulé cette semaine est le résultat d'une curieuse alliance entre les technocrates désincarnés de Bruxelles et des organisations écologistes mondialisées parmi les plus radicales. Il illustre la force d'une idéologie qui déifie démesurément la nature au mépris des cultures. Certes, il existe une écologie humaniste. Mais, pour le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), la Human Society International et Greenpeace, il n'y a plus de place pour l'homme dans la nature. Il est tout simplement de trop!
Il serait injuste de ne pas reconnaître que les parlementaires ont eu un tout petit remords avant de passer au vote. C'est pourquoi ils ont accepté une petite exception à l'embargo concernant les chasses «traditionnelles» pratiquées par les communautés inuites et indigènes. On se demande néanmoins pourquoi la chasse aux phoques qui se pratique aux Îles de la Madeleine depuis 400 ans serait moins traditionnelle? Les traditions d'un pêcheur des Îles ne méritent-elles pas le même respect que celles d'un Innu de la Côte-Nord?
Difficile de trouver meilleur exemple de cette détestation de l'homme blanc que pratique une certaine gauche. Il y a longtemps que le débat ne concerne plus les méthodes d'abattage des phoques ou les moyens de préserver l'espèce. Derrière la résolution adoptée à Strasbourg se profile une nouvelle religion écologique qui place la survie des cultures humaines, en particulier occidentales, loin derrière celle des animaux et des plantes. C'est ce même fanatisme qui pourrait bientôt venir à bout des corridas de Madrid ou du foie gras du Périgord.
Les députés européens ont autorisé une seconde exception pour certaines chasses destinées à protéger les stocks de poisson. Comble du ridicule, la vente du fruit de ces chasses, pourtant permises, ne devra pas «laisser penser» qu'elles sont faites «à des fins commerciales». Difficile de pousser le mea culpa plus loin!
La cause des chasseurs de phoques ne semble pourtant pas passionner beaucoup plus les technocrates d'Ottawa, qui se sont réveillés longtemps après que la cause a été entendue à Bruxelles. Mercredi, les pêcheurs ont pu constater que les réactions manquaient pour le moins de conviction. Le premier ministre avait plutôt les yeux tournés vers Prague, où démarraient les négociations d'un traité de libre-échange avec l'Union européenne qui pourrait rapporter 30 milliards de dollars.
Le virus animaliste ne touche pas que l'Europe. Selon les sondages, entre 44 et 71 % des Canadiens désapprouvent aussi la chasse au phoque. Cette réalité n'a probablement pas échappé au gouvernement de Stephen Harper. Comme elle n'a pas échappé au député Amir Khadir, symbole même de cette nouvelle gauche mondialisée et cosmopolite, qui a refusé de voter la résolution de l'Assemblée nationale du Québec contre la décision du Parlement européen. Le député prétend qu'il refuse d'en appeler à l'OMC. Mais, on peut se demander s'il ne cherche pas surtout à ne pas déplaire à une frange du mouvement écologiste que convoite justement Québec solidaire.
Heureusement qu'Alexis Tremblay n'est plus là pour entendre ça.
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crioux@ledevoir.com


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