Post mortem

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Le hasard a voulu qu'ils meurent à quelques jours de distance. Ces deux hommes que tout séparait, qui ne fréquentaient pas les mêmes lieux et qui se regardaient en chiens de faïence se trouvent donc réunis dans la mort. On ne choisit pas ses compagnons de cercueil.
La semaine dernière, la France pleurait la mort de deux écrivains qui avaient consacré leur vie à la langue française. Deux êtres profondément différents. Le premier était largement connu, alors que la renommée du second n'avait guère dépassé le cercle des initiés.
Tout le monde connaît Maurice Druon, que ses polémiques avec les féministes ont rendu célèbre au Québec. Mais Maurice Druon était surtout connu pour sa série de romans historiques à succès intitulée Les Rois maudits. Ces livres ont passionné des millions de lecteurs, jeunes et moins jeunes. On en compterait aujourd'hui des centaines de millions d'exemplaires traduits dans toutes les langues.
La légende de leur auteur était telle que plusieurs le croyaient mort depuis longtemps. Elle venait de son passé de résistant, du Chant des partisans qu'il composa avec Joseph Kessel, de son élection à l'Académie française à 48 ans et de son bref passage au ministère de la Culture.
Fait inusité pour un gaulliste, Maurice Druon était fédéraliste et ami de Paul Desmarais. Le poème qu'il a commis sur le «sublime hiver de Sagar», où les Desmarais ont leur résidence d'été, ne passera pas à l'Histoire. Il y compare les Laurentides avec «ce qui reste de l'Atlantide quand elle était le paradis».
Avouons-le, la langue que chérissait Maurice Druon avait souvent les relents d'un grand corps-mort. Sans doute gardait-il le souvenir d'un universalisme tombé dans l'oubli. Il n'avait pas toujours tort en dénonçant certains excès dans la féminisation du vocabulaire. Mais son entêtement à refuser ce qui est depuis entré dans l'usage tenait du dogmatisme.
Druon aimait vanter le «génie» de la langue française avec des formules pompeuses qui trouvent parfois un écho au Québec. Pour lui, cette langue était un bijou fabriqué au XVIIIe siècle qui n'avait fait que décliner depuis. C'est probablement parce que le français parlé chez nous n'avait pas connu cet «âge d'or» qu'il jugeait notre langue «pittoresque». Il y a des mots comme ça qui peuvent faire de l'ombre aux plus grands.
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Cette conception d'une langue-musée déplaisait suprêmement à Henri Meschonnic. Mort quelques jours plus tôt, ce poète et traducteur de la Bible ne fréquentait pas les grands de ce monde. Il préférait l'amitié de Gaston Miron qui venait parfois cogner à la porte de sa jolie maison de Chelles, en banlieue de Paris.
Pour Meschonnic, le «culte» que pratiquaient Druon et ses disciples était le meilleur moyen de momifier la langue française. Loin des «fables» du déclin et du progrès du français, Meschonnic répliquait à Druon qu'aucune langue au monde n'avait jamais eu de génie. La française pas plus que les autres. Et il ajoutait: ce sont ceux qui la parlent et qui l'écrivent qui en ont... ou n'en ont pas.
Meschonnic, qui connaissait bien le Québec, n'était pas contre les législations linguistiques. Il en reconnaissait la nécessité, surtout chez nous. Mais il en avait contre ces discours creux que l'on entend en France et au Québec et qui font de la langue française un objet d'idolâtrie. Je pense à Meschonnic chaque fois que j'entends notre ministre de l'Éducation vanter l'importance de l'apprentissage du français et dans la phrase d'après, affirmer, anglicisme à l'appui, qu'il faut se «donner des cibles» (target = objectif) dans la lutte contre le décrochage...
Le seul point commun entre Druon et Meschonnic était peut-être leur opposition commune à un enseignement du français réduit à la simple communication. Tous deux estimaient que le français devait être appris à partir de ce qui se fait de mieux, c'est-à-dire de la littérature. Je ne suis pas certain qu'ils se seraient entendus sur le choix de toutes les oeuvres. L'ancien ministre de la Culture n'avait-il pas déclaré que Les Paravents de Jean Genet, sur la guerre d'Algérie, n'avait pas sa place dans un théâtre public? La pièce avait pourtant été défendue par son prédécesseur, André Malraux.
La nostalgie qui animait Druon n'existait pas chez Meschonnic. Son combat, il le menait au jour le jour avec ses étudiants à l'université et en véritable poète qui se colletaille avec la langue et la pousse dans ses retranchements.
Alors que Druon, perché sur son académisme, traitait les Québécois de haut, Meschonnic essayait de les comprendre. Il y a plusieurs années, il m'avait confié que la meilleure manière de défendre la langue française était l'attaque. «À ce titre, le XXe siècle québécois est d'une créativité extraordinaire, disait-il. Il y a 30 ans, les Québécois avaient honte de leur accent, ils essayaient de le cacher. Je pense que c'est fini. Il y a eu une explosion de la littérature québécoise. Gaston Miron et Réjean Ducharme valent bien un bataillon!»
Nul doute que, là où ils sont, les deux hommes se chicanent encore. Il me semble d'ailleurs que je les entends toujours.
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crioux@ledevoir.com


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