Des athées impénitents et fiers

Quatorze athées québécois rendent publiquement raison de leurs convictions

Livres 2009 - Arts - cinéma - TV - Internet

«Les athées, écrit le jésuite Jean-Guy Saint-Arnaud dans les Cahiers de spiritualité ignatienne (janvier-avril 2009), demeureront toujours un défi pour les chrétiens et les chrétiennes. Ils seront toujours des dérangeurs, des "désenclaveurs", des éveilleurs de conscience. Ils ont des raisons valables de refuser ce qu'ils refusent et c'est être fidèle à la vérité que de le reconnaître.»
Les athées militants bousculent aussi les esprits tièdes, indifférents, qui font l'impasse sur cette grande affaire en se réfugiant dans ce que Pascal appelait le divertissement. Or, ajoute Saint-Arnaud, «on n'échappe pas, en effet, à la religion, tout comme on n'échappe pas à la politique. Le refus de s'engager en politique constitue une position politique.»
Aussi, pour ces raisons, on ne peut que se réjouir du fait que 14 athées québécois aient décidé de rendre publiquement raison de leurs convictions. Réunis par Daniel Baril et Normand Baillargeon dans Heureux sans Dieu, un plaidoyer collectif en faveur de l'athéisme, ces artistes (Arlette Cousture, Louisette Dussault, Martin Petit, Ghislain Taschereau), journalistes (Daniel Baril, Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu), scientifiques (Cyrille Barrette, Yves Gingras) et intellectuels (Normand Baillargeon, Hervé Fischer, Louis Gill, Yves Lever) s'affichent sans gêne pour dire «qu'il existe des athées, qu'il est tout à fait possible de vivre une vie pleine, riche et heureuse en étant incroyant, et que cette position n'a rien de honteux ni d'inavouable».
Dans leur texte de présentation, Baril et Baillargeon se désolent du fait que les livres religieux abondent au Québec, alors que ceux qui plaident en faveur de l'athéisme sont si rares. Il n'y a pas là, pourtant, de mystère. Il est normal et logique, en effet, que ceux pour qui l'hypothèse Dieu est sans intérêt parlent d'autre chose. Aussi, conclure, comme le font Baril et Baillargeon, que cette rareté s'explique par un ostracisme dont souffriraient les athées est une hypothèse qui ne tient pas la route.
À l'heure actuelle, au Québec, il est plutôt de bon ton d'exprimer son incroyance. Au Devoir, par exemple, mes textes traitant de la chose religieuse avec bienveillance recueillent plus de sourires polis que d'enthousiastes adhésions. C'est à la croyance religieuse, plus qu'à l'incroyance, qu'on réserve «cette dérision goguenarde qui court dans l'époque et agite les médias», selon les mots de Jean-Claude Guillebaud. Reconnaître ce fait n'enlève rien à la pertinence d'un plaidoyer sérieux en faveur de l'athéisme, mais relativise le courage revendiqué par ses auteurs.
Baril et Baillargeon n'ont cependant pas tort de souligner que «la principale révélation de ce livre, pour certains croyants, sera sans doute d'apprendre que les athées ont une morale». Les esprits religieux dogmatiques, en effet, colportent souvent ce préjugé de l'athée sans loi parce que sans foi. Tous les participants à cet ouvrage le récusent avec raison en rappelant que les sources de la morale sont multiples. «Il me semble également, explique le biologiste Cyrille Barrette, que j'ai d'autant plus de raisons de cultiver la morale, l'éthique, l'humanisme, puisque je crois que nous sommes seuls dans un univers qui nous est indifférent et que, par conséquent, toute la responsabilité d'une vie bonne nous appartient entièrement; elle ne nous est pas imposée par la peur ou l'autorité.»
L'argument de Barrette, qui signe le meilleur texte de ce collectif, est fort, et repris par Yves Gingras, mais sa conclusion, qui fait de la peur et de la soumission à l'autorité les principales motivations de la morale religieuse est décevante. La religion dépeinte dans cet ouvrage, d'ailleurs, a souvent des airs anciens et caricaturaux. La meilleure réflexion théologique actuelle -- qui ébranle le dogme du péché originel, renouvelle la pensée sur l'existence du mal dans le monde et l'image du Dieu tout-puissant et plaide pour un engagement en faveur de la justice ici-bas -- semble étrangère à plusieurs des auteurs de cet ouvrage, obnubilés par la religion populaire de leur jeunesse. Quand Louis Gill, par exemple, se réjouit de voir sa fille tourner en dérision le rite funéraire de l'Église ou quand Louise Gendron affirme que les religions «reculent à mesure que la science avance», on est forcé de conclure qu'ils renversent des épouvantails (un rite désymbolisé et le Dieu bouche-trou) plutôt qu'une vision du monde honnêtement appréhendée.
Un autre argument cher aux athées est ici avancé par Yves Lever et Daniel Baril. «Les valeurs éthiques les plus hautes auxquelles adhèrent les croyants, écrit ce dernier, n'ont rien à voir avec leur religion.» La thèse exactement inverse, dans le cas du christianisme, a récemment été solidement défendue par Frédéric Lenoir, dans Le Christ philosophe, Luc Ferry, dans L'Homme-Dieu ou le sens de la vie, et Jean-Claude Guillebaud, dans Comment je suis redevenu chrétien. L'individualisme, l'aspiration égalitaire, la notion d'universalité, l'idée d'espérance, donc de progrès, explique ce dernier, «trouvent leur source dans le biblique». La thèse de leur traduction laïque, dans la modernité, est certes défendable, et on peut bien plaider que l'hypothèse Dieu ne leur est pas nécessaire, mais affirmer, comme le fait Lever, que ces valeurs «n'ont pas leur origine dans les religions» revient à refuser injustement une reconnaissance de dette.
Normand Baillargeon a raison de souligner que même les croyants sont toujours athées devant les divinités des religions autres que la leur. L'athéisme relatif, en ce sens, est donc universellement partagé, et ce constat constitue une invitation à un sain dialogue, même avec les athées absolus. «Ce sont des adversaires mais non des ennemis, écrit Saint-Arnaud. Leurs différences et leurs différends constituent, en vérité, des richesses et non des menaces pour les croyants.»
Dans ce passionnant débat, l'attitude qui consiste à caricaturer l'adversaire pour mieux le vaincre devrait être interdite. Certains des auteurs d'Heureux sans Dieu transgressent cette règle. Les croyants qui voudront entrer dans le jeu devraient accepter de se frotter à la position d'un Cyrille Barrette, l'athée le plus convaincant de ce livre, qui se dit agnostique par esprit scientifique, athée par conviction, mais fidèle aux valeurs évangéliques.
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Heureux sans Dieu
Sous la direction de Daniel Baril et Normand Baillargeon
VLB
Montréal, 2009, 176 pages


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