Essais québécois

L'esprit du christianisme contre la résignation

Livres 2009 - Arts - cinéma - TV - Internet


Charles Péguy, Georges Bernanos, François Mauriac et Fernand Dumont étaient-ils des hommes à genoux? Jacques Grand'Maison, Pierre Vadeboncoeur, Michel Chartrand et Léo-Paul Lauzon sont-ils des hommes à genoux? C'est cette bêtise que nous sert [Christian Bouchard, professeur de littérature au collège Laflèche, dans son «devoir de philo» du 3 octobre dernier->22255].
Il se sert de Diderot pour définir la foi comme un chemin «où vivre à genoux l'emporte sur vivre debout». Il avance aussi que la religion incite à la résignation, à la souffrance, qu'elle est le parti des prêtres plutôt que celui de l'humanité et que la science serait plus utile dans la quête du bonheur. La seule nomenclature qui ouvre cette chronique offre un démenti à cette attaque primaire. C'est, en effet, au nom de leur foi catholique que ces penseurs et militants ont chanté l'homme debout, qu'ils ont clamé sa dignité et ont combattu ce qui le dégradait et le faisait souffrir. D'autres, bien sûr, se sont aussi réclamés de la même religion pour justifier l'injustifiable — les pharisiens sont de toute époque —, mais il n'est nul besoin d'être grand clerc pour affirmer qu'il s'agissait là de mauvais lecteurs ou d'hypocrites.
«Il arrivera, écrit Paul-Émile Roy dans Le Christianisme à un tournant, que des gens qui se disent chrétiens usent de la violence et de la force, mais ils ne seront pas en cela fidèles au christianisme. [...] quand George W. Bush se présente comme le défenseur de la civilisation chrétienne pour faire la guerre en Irak, il doit être dénoncé comme quelqu'un qui se pare des vêtements chrétiens mais qui trahit l'esprit chrétien.»
Grand lecteur et admirateur de Pierre Vadeboncoeur, militant indépendantiste de longue date et auteur d'une oeuvre essayistique abondante quoique inégale, l'écrivain octogénaire Paul-Émile Roy se livre, dans son dernier essai, à une ardente défense et illustration du christianisme. «Je me trompe peut-être, écrit-il prudemment, mais j'ai l'impression que la société actuelle, la civilisation actuelle, malgré le développement absolument inédit des sciences, a évacué en quelque sorte l'Inconnu de son champ de préoccupations. [...] La culture actuelle est de l'ordre du spectacle, du vécu, de l'actualité, du sensationnel. Elle ne s'intéresse pas aux raisons, au sens, au fondement. Elle est une réalité de surface, et c'est pourquoi elle est tellement bruyante.»
Le christianisme, écrit Roy, est au fondement de la civilisation occidentale. Il repose sur la conviction «que Dieu existe, que lui seul est Dieu et que par conséquent l'homme est libre par rapport à tout le reste». Le ressentiment lui est donc étranger, tout comme l'ascétisme puisque l'intériorité du Christ «n'est pas de l'ordre de l'ascèse ou de l'effort mystique, mais de l'ordre de l'être». La foi chrétienne véritable, ajoute l'essayiste, est «révolutionnaire» parce qu'elle «ne s'accommode pas de n'importe quoi». Elle choisit l'espérance et combat la résignation. «Parler chrétien, clamait Bernanos, revient à parler en homme libre face au monde, à refuser de pactiser avec lui, à répandre le message de la charité du Christ et à proclamer la vérité.»
C'est au christianisme, ajoute Roy à la suite de Jean-Claude Guillebaud, que l'Occident doit les concepts de primauté de la personne, de progrès — une idée «qui est une laïcisation de l'espérance chrétienne» — et d'aspiration égalitaire, ce «sentiment que tous les humains sont égaux» et qui sera au fondement de la démocratie. Or notre monde, qui se croit libéré de cette inspiration qu'il ne reconnaît même plus comme telle, est résigné. «Il a perdu le sens de l'espérance, constate Roy. La très grande majorité, la presque totalité des gens ne voient pas ce que pourrait être le monde si on s'y mettait vraiment, si l'on développait toutes les ressources dont nous disposons.»
À l'époque des Lumières, la chrétienté, cette civilisation «dans laquelle les institutions religieuses coïncident à peu près avec les institutions civiles», avait fait son temps. Aussi, l'essayiste ne conteste pas son dépassement, mais il déplore le fait qu'on ait rejeté, dans l'élan, le souffle de la foi, la spiritualité chrétienne qui fait de la transcendance «une dimension de la réalité», sous prétexte que ces notions n'ont pas de sens dans la logique de la raison instrumentale. Or, écrivait Paul Bénichou que cite Roy, «l'utopie à prétention scientifique» ne peut tenir lieu d'éthique, car «aucune science ne peut nous prescrire nos choix».
Au Québec, la Révolution tranquille, qui fut un peu notre sortie du modèle de la chrétienté, était nécessaire, mais elle a, elle aussi, dans son élan, perdu de vue qu'une modernité saine ne saurait se construire sur le rejet d'une intériorité nourrie aux sources de la foi qui a donné sens à son monde. La foi, bien sûr, ne se commande ni ne s'impose, et il ne s'agit surtout pas d'en appeler à une conversion au sens propre du terme, mais de redire que la quête de sens, dont la foi chrétienne, comme l'art, est une modalité, une nécessité vitale pour l'humain.
«Le Québec semble avoir perdu le goût de vivre», constate tristement Paul-Émile Roy dans cet essai d'une belle intensité. Plusieurs des exemples qu'il propose à l'appui de cette thèse sont mauvais (la réforme de l'éducation n'a rien à faire ici et l'appel au «gros bon sens» devrait être interdit dans toute argumentation), mais le fond du propos est juste. Les Québécois, qui écoutaient naguère l'évangile du dimanche et ont fait la Révolution tranquille, se vautrent maintenant dans la bouillie publicitaire des centres commerciaux. Quelque chose de fondamental s'est perdu qu'il urge de retrouver, sous une nouvelle forme, bien sûr, puisque «personne ne verse du vin nouveau dans de vieilles outres».
***
Le christianisme à un tournant
Paul-Émile Roy
Bellarmin
Montréal, 2009, 208 pages


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